Pour sauver l’Europe de ses problèmes de dettes publiques et de faible croissance, certains réclament de l’inflation. Mais l’inflation n’est plus une alternative. Elle est déjà là.
Par Gabriel A. Giménez-Roche.
Un article de l’Institut économique Molinari.
Dans notre dernier billet, nous avons décrit les conséquences néfastes d’une politique inflationniste. Il est donc tout à fait raisonnable de craindre l’inflation et d’éprouver de la gratitude envers les banques centrales qui chercheraient à stabiliser la création monétaire et à contrôler le niveau des prix.
Hélas ! Ne crions pas victoire ! Les figures 1 et 2, ci-dessous, nous montrent l’évolution de la base monétaire en zone Euro et aux États-Unis. Nous pouvons observer que les banques centrales n’ont pas stabilisé la masse monétaire. En effet, celle-ci ne cesse de s’accroître avec une hausse annuelle moyenne de 10,83% côté Banque centrale européenne (BCE) et de 16,55% pour la Fed entre 2002 et 2012.
Figure 1 : Évolution de la base monétaire, milliards d’euros et dollars (Sources : BCE, St. Louis Fed, 2013)
Dans la figure 2, nous pouvons même constater que la variation de la base monétaire américaine fait un saut brutal de 80% en 2009 correspondant aux mesures de « quantitative easing » prises à la suite de la crise financière des subprimes.
Figure 2 : Variation % de la base monétaire € et $ (Sources : BCE, St. Louis Fed, 2013)
Les banques commerciales n’ont que timidement suivi ces stimulations de liquidités des banques centrales, comme nous pouvons le constater dans la figure 3 ci-dessus. Les banques américaines ont procédé à une expansion moyenne de monnaie scripturale de 4,5% par an, tandis que leurs consœurs européennes ont été un peu plus généreuses avec une expansion de 5,95% par an.
Figure 3 : Variation % de l’expansion de la monnaie scripturale des banques (Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
En gros, l’offre monétaire totale (M2) augmente pratiquement au même rythme en Europe et aux États-Unis, avec une moyenne annuelle de 6,4% en Europe et de 6,18% aux États-Unis (figure 4).
Figure 4 : Variation % de l’offre monétaire totale (M2) des € et $ (Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
Et pourtant, lorsqu’on regarde les indices de prix à la consommation, on constate que l’inflation-prix n’accompagne apparemment pas cette évolution monétaire. La figure 5, ci-dessous, nous montre une inflation moyenne assez faible de 2,12% par an en Europe et de 2,4% aux États-Unis pour la période 2002-2012.
Ne faudrait-il pas dès lors en conclure que les banques centrales Euro-américaines réussissent bien à maîtriser l’inflation-prix en dépit d’une forte expansion monétaire ?
Figure 5 : Variation % de l’IPC Zone Euro et États-Unis (Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
Ce serait aller trop vite en besogne. Pour rappel, l’inflation des prix consiste en une hausse généralisée, mais pas nécessairement homogène, des prix. Or, les biens de consommation ne constituent qu’une partie de l’ensemble des biens négociés sur le marché. La donne change complètement quand on observe l’évolution de leurs prix.
Commençons par la zone Euro. Les indices de prix de la production d’énergie et de l’immobilier nous montrent une réalité bien différente de celle des biens de consommation (Figure 6). L’inflation annuelle moyenne est de 5,61% pour le secteur énergétique et de presque 4% pour l’immobilier. Il est important de remarquer que ces indices s’envolent quand l’expansion monétaire s’accélère avec des pics pouvant atteindre 14% par an dans le secteur énergétique.
Figure 6 : Variation % des indices de prix dans le secteur énergétique et l’immobilier (Source : BCE, 2013)
L’évolution des indices des commodities (matières premières et autres biens fongibles) est encore plus grande (Figure 7). La moyenne annuelle pour les commodities alimentaires était de 6,86% entre 2002 et 2012, avec des hausses de presque 20% en 2008, 2010 et 2011. Pour ce qui est des commodities non-alimentaires (e.g., minerais), la moyenne annuelle pour la même période est de 10,10% avec des pics de 40% et presque 60% en 2006 et 2010 respectivement.
Figure 7 : Variation % de l’indice de prix des commodities, Zone Euro (Source : BCE, 2013)
Aux États-Unis, le scénario n’est pas très différent de ce qu’on voit en Europe. Les indices de prix industriels ont facilement dépassé le seuil de 10% entre 2002 et 2012 (figure 9). Les moyennes annuelles sont de 8,7% (matières premières), 7,5% (secteur énergétique), 4% (commodities industrielles), 8,2% (matières intermédiaires), et 4,2% (secteur énergétique intermédiaire).
Figure 8 : Variation % des indices de prix industriels aux États-Unis (Source : St. Louis FED, 2013)
Comment dès lors expliquer que l’évolution des prix à la consommation soit restée modérée ? Il est notoire que les indices de prix à la consommation sous-estiment l’impact des prix de l’immobilier et de l’énergie. L’IPC le plus divulgué aux États-Unis, par exemple, n’inclut pas ces deux aspects dans les indices de la consommation américaine. En Europe, la sous-estimation de ces deux postes de dépenses est souvent la règle.
D’un côté plus pratique, il ne faut pas négliger l’impact de la délocalisation de la production industrielle dans les pays émergents, surtout en Chine, Inde, Turquie, et autres pays asiatiques. Cette délocalisation vise à contrecarrer des prix élevés et inflexibles sur le marché du travail et dans l’immobilier industriel. Du coup, une bonne partie de l’inflation euro-américaine est exportée ailleurs – de la même façon que l’inflation américaine de l’après-guerre a été exporté en Europe jusqu’à la fin des années 1970.
Nous constatons ainsi que l’inflation moyenne annuelle (IPC) au Brésil est de 6,56% [1] (inflation actuelle : 6,15%), et en Inde de 7,07% [2] (inflation actuelle : 11,17%). Le cas de la Chine est plus difficile à évaluer puisque les statistiques y sont réputées peu fiables. Cependant, les hausses de prix vécus par les visiteurs des grands centres de Shanghai et Pékin, laissent penser que l’inflation-prix pourrait y dépasser les deux chiffres.
L’inflation n’est donc pas une alternative. Elle est déjà là. Donc ceux qui proposent de l’inflation comme solution veulent seulement dire qu’ils en veulent plus. Jusqu’où cela risque-t-il de nous mener ?
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Sur le web. Publié initialement sur 24hGold.
Notes :
Comment a-t-on pu mettre dans la tête des gens que l’inflation, c’est la hausse des prix. « some people prefer to attribute the cause of inflation not to an increase in the quantity of money but, rather, to the rise in prices. » Ludwig von Mises, https://mises.org/daily/6294/Inflation
Defining Inflation and Deflation
Webster’s says, « Inflation is an increase in the volume of money and credit relative to available goods, » and « Deflation is a contraction in the volume of money and credit relative to available goods. » To understand inflation and deflation, we have to understand the terms money and credit.
http://lynncoins.com/deflation1.htm
Article tres interessant!
Rappellons que l’inflation entraine l’augmentation du cout d’achat des matieres premieres pour les entreprises, l’augmentation du cout des importations pour les menages, la pauperisation des epargnants (notamment par la diminution en valeur des 2000milliards detenus en assurance-vie par les menages francais) donc la diminution du potentiel de revenus d’impots de l’etat, l’augmentation des taux d’interet de la dette, l’augmentation de l’incertitude des investisseurs ce qui est negatif pour l’innovation et l’entreprenariat.
Comment on exporte l’inflation chez les autres ? Je n’arrive pas à capter le processus, quelqu’un pour m’éclairer en quelques lignes ?
Les américains impriment des dollars pour les envoyer à l’étranger (plan Marshall) La masse monétaire des pays concernés augmente donc leur inflation.
Avoir la monnaie la plus puissante du monde permet d’en imprimer à loisir car toutes les transactions se font avec et donc tous les utilisateurs trinquent, les USA ne subissent qu’une partie du choc, une bonne part est exportée.
Il est aussi possible d’importer des gens valeureux …
…comme des Obélix ou des cerveaux formés à grands frais à l’étranger.
Voilà l’article qui manquait. Le consommateur et néophyte en économie que je suis se demandait comment on pouvait injecter autant »d’argent » à travers les différentes mesures de QE (FED) ou de bazooka illimité OMT (BCE) sans avoir d’inflation importantes sur la baguette de pain. Ce n’est pas là qu’elle est !
Pas un seul centime n’a encore été versé dans le cadre de l’OMT. A moins d’être au bord de la faillite, aucun politicien ne veut de ce programme jugé trop contraignant.
il y a une cause de l’inflation dont on parle peu, mais qui d’apres moi, est importante, notemment en france: c’est le remplacement des independants ( artisans, mecanos, commercants … ) travaillant seul, en famille, ou avec un nombre restreint de salariés, par des structures plus grosses, de type SARL , ayant beaucoup plus de salariés.concernant l’evolution des prix, cet aspect, qui n’est pas monnaitaire, a son importance, avec un autre, dont on commence a saisir l’effet deletèrre, la multiplication des normes.
l’exemple le plus connu par le francais lamba, est celui des mecaniciens auto: 30 ans en arrière, un mecano dans chaque village, et un coup de reparation tres abordable. aujourd’hui, seules les grosses structures ont subsistées, avec plethore de salariés aux 35 heures, impots sur les sociètées, etc: resultat, on ne peut plus se payer une reparation, et il vaut mieux s’acheter une voiture neuve dans les pays de l’est.
un » coup de jarnac » et un cout de reparation » evidement
Si l’on prend comme raison de délocalisation le fait de « contrecarrer des prix élevés et inflexibles « , il me semble que l’ensemble du système va subir une révision de prix vers le bas.
Et la crise de l’immobilier ne fait que commencer en Europe, car l’Europe est trop chère dans une vision mondiale, l’inflation pourra peut être éviter une trop grande fragilisation de cette bulle, mais il ne faut pas rêver, le futur client n’est plus prêt de mettre le prix actuel !
« Comment dès lors expliquer que l’évolution des prix à la consommation soit restée modérée ? » Parce que la base monétaire n’est pas encore de la monnaie et rien ne dit qu’elle le deviendra un jour.
« Il est notoire que les indices de prix à la consommation sous-estiment l’impact des prix de l’immobilier ». Lesquels ? Les prix à la location sont inclus dans l’IPCH (c’est facilement vérifiable), tandis que les prix d’achat, qui représentent des investissements, n’ont rien à faire dans un indice de consommation. Il ne faudrait pas tout confondre.
Quant aux prix de l’énergie, ils sont constitués en bonne partie de taxes (jusqu’à la caricature fiscale française). S’il y a une inflation à dénoncer à ce sujet, c’est celle des taxes.
Enfin, les graphiques contredisent l’idée selon laquelle les BC auraient provoqué l’inflation en gonflant leurs bases monétaires, ces dernières progressant visiblement après les phases d’inflation.
Sujet important qui mériterait un meilleur traitement. Dommage.
Il serait egalement interessant de voir des chiffres concernant la vitesse de circulation de la monnaie : si elle diminue fortement, on peut tres bien imaginer que la quantite de monnaie augmente pour compenser la decroissance sans evolution de prix (car sauf erreur de ma part, le PIB est egal a la masse monetaire multiplie par la velocite de la monnaie)…