Culture et modèle social

La part d’estime de soi qu’exige la constitution d’une authentique compétence esthétique se trouve anéantie en régime social-démocrate.

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Culture et modèle social

Publié le 28 janvier 2013
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La part d’estime de soi qu’exige la constitution d’une authentique compétence esthétique se trouve anéantie en régime social-démocrate.

Par Hadrien Gournay.

C’est presque une évidence pour les Français de lier l’identité de leur pays à sa haute culture et à son modèle social et d’opposer tout cela au « modèle anglo-saxon », à son « ultralibéralisme » et à son inculture crasse. Il est donc dans la logique des choses de voir les Français désireux de séparer la culture et le marché pour la confier aux bons soins de l’État.

Pourtant, comme souvent, peu d’éléments résistent à l’examen parmi ceux qui composent cette évidence.

La France est un pays d’une haute culture. Le fait est indéniable à moins de nier par principe qu’une culture puisse être supérieure à une autre. Même si l’on souhaite éviter de parler de supériorité, certaines cultures sont plus riches en connaissances et plus propices aux découvertes. Entre le XVIIème siècle et le XIXème siècle, la France a produit un nombre de scientifiques, de penseurs, d’écrivains, de musiciens et de peintres qui la situent globalement dans les premiers rangs mondiaux. Sur cette époque, deux pays dans le monde pourraient soutenir la comparaison : la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le mérite de ces pays pendant cette période et, un peu plus largement de l’Europe occidentale est double. Leur culture a été tout d’abord bien plus développée que ne l’était le monde dans le même temps mais de cela bien d’autres civilisations ont pu à un moment donné de l’histoire s’en prévaloir, de l’Égypte antique à la Chine. Ce qui, en revanche, singularise les progrès alors accomplis par l’Europe est qu’ils seront à la source des connaissances ultérieures de l’humanité, circonstance qui selon toute vraisemblance ne devrait plus se reproduire à l’avenir. Dans le passé, la Grèce antique ou l’Italie renaissante pourraient se vanter d’avoir eu une telle influence.

Louis XIV en 1661 par Charles Le Brun. Pour bien des Français, le règne du roi soleil est emblématique de la manière dont le pouvoir assure la magnificence des arts.

Dans ce travail de défrichement de nouvelles idées, les penseurs de certains pays sont à l’origine du libéralisme économique et ces penseurs sont français plus encore qu’écossais. Boisguilbert commence une généalogie poursuivie par Gournay, les physiocrates, Turgot et Condillac.

Mais cette influence de la France sur le monde est-elle encore vraie aujourd’hui ? Pour le libéralisme, la réponse négative est déjà trouvée. Mais qu’en est-il de l’attachement de notre pays aux disciplines artistiques ?

Le lien entre la France et l’État providence, s’il est si fort actuellement, n’est pas une évidence au regard de l’histoire. Le privilège d’avoir l’une des cultures (la culture ?) les plus fécondes au monde, vrai dans le passé, semble de moins en moins accompagner notre pays.

Pourtant de toutes ces fausses évidences, c’est à la dernière d’entre elles que nous nous attaquerons : celle qui lie culture et État et l’oppose au marché libre. Après tout, une vue d’ensemble sur l’histoire de notre pays permettrait d’y situer l’âge du « capitalisme triomphant » entre les guerres de l’empire et la première guerre mondiale, voire 1936. Or il est difficile de trouver un siècle d’une culture plus riche que celui-là.

Étudier les effets de la social-démocratie et du capitalisme sur l’art et la culture ne peut se faire qu’en référence à l’autre modèle. Décrire les bienfaits de l’un revient indirectement à souligner les méfaits de l’autre. Néanmoins, des considérations didactiques m’ont conduit à adopter un propos au cours duquel ces deux aspects seront examinés successivement.

Effets de la social-démocratie sur la culture

La social-démocratie consiste dans les politiques de redistribution et les discours qui les justifient. Les politiques qui en sont inspirées reposent sur l’idée que les besoins comblés avec un revenu inférieur au revenu moyen sont plus urgents que les autres. Cela suppose que les besoins des individus sont assez homogènes. Les politiques redistributives ont donc pour objet de pourvoir les besoins les plus urgents.

C’est surtout en raison de la mentalité dont elle imprègne la société dans son ensemble que la social-démocratie affecte le jugement esthétique de la population, autant par les politiques qu’elle met en œuvre que par les discours qui la justifient.

Méfaits des politiques sociale-démocrates

Évaluer les besoins en fonction de leur urgence semble a priori raisonnable. Qui ne voudrait voir le soulagement des plus grands malheurs de l’humanité précéder la satisfaction de ses petits plaisirs ? Pourtant, certains désirs ne sont urgents que parce qu’on s’empresse de les combler. Il en est ainsi des drogues. Si elles avaient de tels résultats, les politiques de redistribution contribueraient à nous empêcher d’être maitres de nous-mêmes.

En pratique, le social-démocrate estime pour les raisons précisées plus haut que ce sont ceux dont les revenus sont insuffisants sur le marché qui doivent recevoir en priorité les allocations versées par l’État. Aussi, il suffira de ne pas produire suffisamment pour en recevoir. Les dommages pour la prospérité générale d’une situation où le niveau de consommation de chacun ne dépend plus de sa contribution à la consommation de tous sont trop évidents, mais nous n’y reviendrons pas. Nous nous intéresserons ici aux conséquences touchant directement le récipiendaire des allocations. Rendu par habitude rétif à tout effort, ses choix de consommation se porteront sur les objets dont la jouissance nécessite un faible investissement préalable. Enfin, il sera dissuadé d’accomplir celui qui lui permettrait l’accès à des œuvres exigeantes.

Certains estimeront que de toute manière, il est légitime de préférer « la préservation de notre modèle social » à l’élévation spirituelle des citoyens. Ce n’est pas ce qui est discuté ici, nous nous bornons à dire pourquoi être favorable à notre culture. Malgré tout, si l’on exclue les retraités, seule une minorité de la population vit essentiellement d’allocation même si tous profitent de services publics gratuits. C’est pourquoi l’effet délétère de ces habitudes serait encore modéré sans les discours venant justifier ces politiques.

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850). L’écrivain mit en garde contre les effets niveleurs de la passion pour l’égalité dans les démocraties.

Dangers des discours sociaux-démocrates

Le défaut de la social-démocratie est ici lié à ses fondements démagogiques. Déjà, le discours démocratique fondé sur le principe « un homme/une voix » légitime l’aspiration de chacun à voir reconnaitre à ses opinions la même valeur qu’à celles d’autrui. Lorsque le discours social-démocrate se substitue au discours démocrate, c’est à l’idée que ses besoins, à partir du moment où il en ressent le caractère impérieux, ont vocation à être satisfaits par la société que le public sera accoutumé.

Cela confère une telle légitimité au ressenti de chacun, en flatte si bien l’amour-propre, qu’il deviendra impossible de faire admettre une autre logique en matière esthétique. Alors que le contraire est assumé à tout propos par l’ensemble du discours public, comment convaincre que dans ce cas précis tout progrès est essentiellement lié à un effort personnel et ne peut relever d’une créance sur la société ? Comment faire admettre que ce qui plait d’abord puisse avoir une valeur très médiocre et des œuvres difficiles être très supérieures à celles que l’on affectionne ? De telles distinctions dans la reconnaissance des goûts de chacun seraient assimilées à des vexations. Enfin, lorsque la médiocrité des goûts populaires est devenue trop évidente, c’est toujours le marché et les producteurs, et jamais le public qu’attaquent les accusateurs.

Nous assistons à une évolution contre laquelle Alexis de Tocqueville mit en garde, notamment dans De la démocratie en Amérique (Tome I, 1ère partie, chapitre III) :

Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté.

Il est vrai que la social-démocratie, entendue comme système économique, est plutôt la conséquence et non la cause d’un tel discours. Il reste que le choix d’un système économique, fût-il contraire à l’intérêt général, est propice à l’émergence d’intérêts favorables à sa préservation. Si elle n’en a pas été précédée, la social-démocratie sera immanquablement suivie de discours imprégnés d’un système de valeur tendant à la justifier et à la défendre.

Contraires aux mécanismes qui viennent d’être décrits, comment ceux du capitalisme fonctionnent-ils ?

Conséquences du capitalisme sur la culture

Le capitalisme produit une civilisation plus raffinée en raison du regard que nous y portons sur nous-mêmes et de l’attachement que nous y avons pour le regard des autres.

Poids du regard que nous portons sur nous-mêmes

Parce qu’elle tend à pourvoir chacun indépendamment de ses efforts, parce qu’elle se préoccupe exclusivement de satisfaire les besoins et les désirs du consommateur, fussent-ils urgents, la social-démocratie nous conduit à occulter le chemin par lequel nous pourrions y parvenir par nous-mêmes. Au contraire, en faisant constater à chacun la valeur relative de ses œuvres par la différence des réussites, le capitalisme met les individus face à leurs responsabilités quant au sens de leur vie et à leur place dans la société. Le niveau de consommation auquel nous accédons dépendant en grande partie de nos choix, le système capitaliste nous invite à porter un regard sur notre propre existence. La question « pourquoi ai-je moins de richesse qu’untel ? » invite à se demander « quels choix a-t-il fait pour cela que je n’ai pas su faire ? » et enfin « comment faire à l’avenir ? »

Ainsi, c’est la part d’estime de soi qu’exige la constitution d’une authentique compétence esthétique qui se trouvera anéantie en régime social-démocrate.

Bien sûr, une personne préalablement consciente de sa responsabilité face à la destinée n’aurait pas besoin d’un tel auxiliaire. À l’inverse, certains, après s’être assurés la jouissance des plaisirs qu’ils convoitaient par leur travail, ne recherchent en aucune manière un quelconque progrès personnel par la suite. Pour ces deux franges extrêmes de la population, l’une incorrigiblement matérialiste, l’autre spontanément idéaliste, ces incitations resteront sans incidences. Cependant, il est toute une frange intermédiaire pour laquelle le niveau de consommation servira d’aiguillon et permettra une prise de conscience.

C’est ainsi que le regard que le capitalisme nous fait poser sur nous-mêmes nous portera à acquérir un goût délicat et à apprécier la beauté.

Plus puissant encore sur notre comportement est l’effet de l’attention portée au regard des autres.

Le comte Robert de Montesquiou (1897) par Giovanni Boldini. Représentant des membres de la haute société de la Belle Époque cultivant vie mondaine et passion pour les arts. Il inspira le personnage de Des esseintes à Huyssmans et du baron de Charlus à Marcel Proust.

Importance de l’attention portée au regard d’autrui

Dans ce que nous nommons ambition, quel que soit le jugement que nous portions sur ce sentiment, le désir d’ascension sociale prévaut sur la logique consumériste consistant dans le simple usage du bien acquis. Parce qu’il rend possible des réussites économiques très variées, parce que – dans une moindre mesure – il les fait dépendre des mérites de chacun, l’environnement concurrentiel stimule ce sentiment. Il le satisfait également.

Il reste à savoir de ces deux aspects – satisfaction et stimulation – lequel l’emporte car de cette question, dépend en grande partie l’action du capitalisme sur l’élévation culturelle d’un peuple. Si c’était le premier, le libre marché n’aurait pas de répercussions favorables. En effet, si l’argent est un bon moyen de contenter un tel besoin de reconnaissance, affirmer un réel discernement artistique l’est également. Aussi, satisfait d’un côté dans notre ambition, nous risquons de négliger d’autres moyens de la combler. Si au contraire, le capitalisme aboutit principalement à stimuler l’ambition, nous serons incités à explorer toutes les voies donnant accès à la reconnaissance d’autrui, aussi bien matérielles, qu’esthétiques et spirituelles. La réponse est fournie par l’expérience.

De tout temps, l’ambition ne s’est jamais arrêtée à l’acquisition de la puissance concrète que le pouvoir donne au roi, au conquérant, à l’homme d’État ou l’importante fortune à l’homme d’affaire. Tous ont cherché à acquérir un prestige accru. Au bout de quelques générations, les rois dont les ancêtres ont été les conquérants les plus barbares possèdent tous les usages qui caractérisent une vie de cour et n’ignorent rien de ses raffinements. Les « parvenus », sentant l’insuffisance de la situation que leurs seuls revenus leur ont permis d’atteindre, n’ont de cesse de montrer d’autres signes de leur légitimité à intégrer le monde auquel ils rêvent d’être intégrés.

Une raison de ce phénomène est qu’un regard favorable des autres est utile à l’amour-propre et que l’argent et le pouvoir n’y suffisent pas. Ils inspirent des sentiments mêlés aux personnes n’ayant pas eu la même réussite, sentiments fluctuants entre la plus basse envie et l’espoir de pouvoir être agrégé au milieu de la personne ayant connu cette sorte de succès. Les personnes faisant partie du milieu auquel l’ambitieux tente d’accéder se montrent quant à elles soucieuses de conserver toute la valeur honorifique du privilège consistant à lui appartenir en se gardant de l’ouvrir à tous les vents et en exigeant des personnes l’incorporant qu’elles puissent en justifier par des qualités précises dont le prestige rejaillira sur tous les membres.

Conclusion

La redistribution social-démocrate conduit directement à réduire la consommation artistique. Elle obère les revenus de ceux qui la chérissent le plus et en dévalorise les goûts, elle incite chacun à n’accomplir aucun effort et à attendre tout de la société, attitude incompatible avec une culture digne de ce nom. Enfin, elle coupe le lien existant entre notre niveau de consommation et les choix d’existence de chacun, modifiant le regard que nous portons sur nous-mêmes et la crainte et l’espoir du regard d’autrui.

Si l’argent contribue à satisfaire un tel besoin, il n’en livre pas tous les accès. À nous même, il montre que toutes les existences possibles n’ont pas la même valeur. Qu’il s’agisse de discours politique ou de situation individuelle, le capitalisme favorise les valeurs qui sont favorables à la recherche de l’élévation artistique.

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