Les directives européennes rendent le prochain crack inévitable. Au lieu de stigmatiser et de réglementer sans discernement le « monde de la finance », Bruxelles devrait plutôt s’efforcer de restaurer le sens des responsabilités au sein du secteur bancaire.
Par Daniel Hannan, depuis Oxford, Royaume Uni.
Depuis mi-septembre, le parlement Européen est de retour en séance plénière, comme si rien de fâcheux n’était en train de se passer derrière ses murs. José Manuel Barroso en appelle au fédéralisme et à un nouvel ordre mondial. Les députés régulent des entreprises privées dont ils comprennent à peine le travail. La cible principale de cette session est le secteur financier qu’ils trouvent à l’unanimité déroutant et effrayant.
Nous ne serions pas surpris d’apprendre que leurs propositions amènent l’activité en dehors de l’Union Européenne dans son entier et de Londres en particulier. Ce qui risque de vous surprendre, en revanche, est que dans le même temps ils s’apprêtent avec une quasi certitude à mettre en place un nouvel effondrement bancaire.
Les faillites bancaires ne sont pas le signe que le capitalisme serait défaillant. Bien au contraire, elles sont un signe de ce que le capitalisme fonctionne. Le marché repose sur le fait que les entreprises défaillantes laissent la place à la compétition ; c’est le procédé qui permet de tenir la croissance économique et d’augmenter les standards de vies. C’est ainsi que nous pouvons jouir de conforts matériels que nos arrières grands-parents n’auraient jamais pu imaginer.
Or, l’approche de l’Union Européenne dans le secteur bancaire et financier est fondée sur la négation de toute faillite. Toutes les propositions, depuis la nécessité de détenir un certain montant de capital jusqu’à la forme de contrôle extérieur, sont conçues afin de créer un système où les banques ne pourraient faire faillite.
En définitive, notre but devrait plutôt être de créer une situation où les banques pourraient faire faillite mais sans effet désastreux. Un marché pluraliste dans lequel des centaines de fournisseurs seraient en compétition et dans lesquels la faillite de l’un d’eux serait l’opportunité pour des rivaux plus compétents de reprendre ses opérations courantes et de proposer un meilleur service.
Environ un million de personnes sont employés dans les services financiers en Angleterre ; la moitié dans des sociétés avec moins de 200 employés. Ces petites sociétés sont dirigées par leurs propriétaires et n’ont pas besoin qu’on leur rappelle de rester solvables, la faillite veut dire tout perdre. Et pourtant, elles sont obligées de passer de plus en plus de temps à se mettre en règle avec les directives britanniques et avec celles de l’Union Européenne, non pas pour répondre à un problème spécifique mais bien pour donner l’impression que quelque chose est train d’être fait. Le guide de réglementation de la FSA (ie Financial Security Administration) contient à ce jour 10.500 pages. Aucune banque ou société financière ne peut s’en sortir sans dépenser 5% de son budget en respect de ces normes, argent qui sinon aurait pu être dépensé en création d’emplois et maximisation des retours sur investissements. D’épais documents sont emailés aux investisseurs potentiels, qui ne les lisent jamais mais qui en retirent l’impression que, quelqu’un, quelque part, est au-dessus de tout risque.
Beaucoup de petits opérateurs incapables de s’offrir le coût de cette mise à niveau sont alors repris par des concurrents. Bruxelles ne doit pas être la seule à être pointée du doigt, Gordon Brown aussi a fait sa part pour encourager les consolidations bancaires. Mais Bruxelles est encore plus sensible aux lobbying que les banques géantes veillent à maintenir au sein des gouvernements nationaux. Ces monstres sont affamés de règlementations, sachant que c’est la meilleure façon de faire mettre la clé sous la porte à leurs petits rivaux. Dans toute l’Europe, ils font bien attention de s’assurer que les créateurs de règlementations aient un intérêt à leur succès.
Les conseils d’administration des plus grandes banques françaises sont remplis de hauts fonctionnaires. Quatre grandes banques contrôlent 85% du marché français. Dans la plus grande partie du continent européen et maintenant aussi en Grande Bretagne, les grandes banques sont dirigées quasiment comme des entreprises nationalisées. Comme toutes les entreprises nationalisées, elles fonctionnent avec l’idée sous-jacente que les contribuables paieront si les choses tournent mal. Ces grandes banques sont à l’origine du crack et sont en train de forcer l’Union Européenne et maintenant le FMI à reprendre leurs passifs. Les Eurocrates quant à eux tendent l’autre joue à l’organisation qui a encombré les contribuables avec ces passifs colossaux tout en demandant la plus extrême prudence envers les petits fonds d’investissement qui étaient, eux, totalement extérieurs à la dépression de 2008.
On peut en vouloir à beaucoup de monde pour le resserrement de crédit (credit crunch) : aux banques, aux organismes de régulation, aux agences de notation. Mais ceux à qui vous ne pouvez en vouloir sont les hedge fund et les autres sociétés financières. Bien au contraire, ils sont parmi les victimes principales. Certains ont coulé, d’autres ont pris leurs pertes stoïquement. Aucun n’a demandé à être renfloué. Néanmoins, plusieurs règlementations européennes comme la directive du 8 juin 2011 sur les gérants de fonds d’investissement alternatifs continuent de les viser.
Pourquoi ? En partie parce que 70% des capitaux gérés le sont depuis Londres et que l’Angleterre a peu d’amis à Bruxelles. En partie aussi à cause d’une attitude un peu médiévale face au capitalisme. La plupart des députés et des fonctionnaires de la commission sont aux prises avec l’idée que les services seraient des biens tout aussi tangibles que les produits manufacturés. Leur vision structurelle est que les gérants de fonds sont des pilleurs qui profiteraient du « vrai travail » de ceux qui frappent le métal pour vivre. (L’ironie n’a jamais été le fort du fonctionnaire européen, raison pour laquelle il est capable, sans rougir de se plaindre de ce que quelqu’un d’autre « ne fait pas son travail correctement »).
Quand une bagarre éclate dans un pub, on ne va pas taper le type qui l’a commencé, vous allez cogner sur celui que vous envisagiez de cogner depuis toujours. C’est encore plus vrai lorsque le type qui a commencé la bagarre est un colosse bodybuildé. C’est ainsi que les services financiers britanniques se retrouvent pointés du doigt à cause d’une histoire sans relation provenant des banques du Léviathan. Et ce n’est pas simplement que l’Union Européenne tape sur la mauvaise cible, c’est surtout que les règlementations de Bruxelles sont activement en train d’exacerber le problème en encourageant les OPA et en décourageant les nouveaux arrivants.
Comme tout élu, j’ai sur mon bureau une pile chancelante de lettres émanant de petits entrepreneurs qui désespèrent de trouver des crédits. Juste à coté, j’ai une autre pile, au moins aussi grande, d’épargnants du troisième âge dont les épargnes ont cessé de générer des profits. Pourquoi personne ne met-il les premiers en relation avec les seconds. Où sont les nouvelles banques ? La réponse est qu’elles sont difficiles à créer. Les dossiers de création demandent au moins deux ans. Et même s’il existe des nouveaux sur ce marché, ils restent dominés par de gros conglomérats, exactement comme au Japon avant son propre crack bancaire en 1990.
Quelle est la solution ? Nous devrions oublier toute idée de contrôle extérieur des services financiers. La FSA (Financial Security administration) a sans nulle doute prouvé son inutilité et les trois nouvelles instances de régulations de l’Union Européenne devraient exacerber encore plus ces défauts. Au lieu de cela, nous devrions rendre les directeurs de banque responsables personnellement pour leurs pertes, ainsi que Steve Baker, le fantastique député de Wycombe, l’a proposé dans sa proposition de loi. La raison pour laquelle les grandes banques sont à l’origine de plus de problèmes que les petites est que leur conseil d’administration se comporte comme des employés plutôt que comme des propriétaires et leurs actionnaires eux, se comportent comme des investisseurs plutôt que comme des partenaires dans la durée.
Regardez le problème sous cet angle. Les trois grandes professions de la City sont les avocats, les auditeurs et les financiers. Les deux premières travaillent encore largement sous forme de partenariat : les dirigeants contrôlant l’entreprise en question. Quel secteur est à l’origine du crash ?
Quand le Brésil avait sa propre banque, il passa une courte loi rendant les dirigeants de banques directement responsables. Il y a eu très peu de problème à déplorer depuis. Plutôt que de prétendre qu’une agence extérieure pourrait réguler le système, il faut remettre en marche les prédispositions humaines. Nous ne devrions pas avoir besoin de dire aux banques de ne pas faire faillite : la faillite n’est pas un bon business. De même, nous ne devrions pas avoir besoin de dire aux banques de prêter ; c’est ainsi qu’elles font du profit. Tout ce que nous devrions faire est de nous assurer que les dirigeants souffriront directement si les choses tournent mal. Assez tristement cependant, l’Union Européenne prend la direction opposée, en passant des règlementations qui sont à la fois onéreuses et inutiles, assassinant les petits opérateurs, et en augmentant les barrières d’entrée. En d’autres termes, Bruxelles elle-même crée le phénomène de « Too Big To Fail » (« Trop grand pour échouer ») qui est l’origine même du problème.
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Sur le web.
Traduction : Institut des libertés pour Contrepoints.
Merci pour la traduction de cet article vraiment très clair et riche en enseignements pour un novice comme moi !