Ayn Rand : rétablir la vérité contre la caricature

La diatribe anti-Ayn Rand parue dans Le Monde des 9 et 10 septembre apparaît tellement truffée de contre-vérités et d’assertions calomnieuses qu’elle appelle sans tarder une mise au point précise rétablissant les faits.

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Ayn Rand : rétablir la vérité contre la caricature

Publié le 28 septembre 2012
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La diatribe anti-Ayn Rand parue dans Le Monde des 9 et 10 septembre apparaît tellement truffée de contre-vérités et d’assertions calomnieuses qu’elle appelle sans tarder une mise au point précise rétablissant les faits.

Par Alain Laurent.

Article publié en collaboration avec l’Institut Coppet.

La longue diatribe de Timothy Snyder contre Ayn Rand (1905-1982) dans Le Monde des 9 et 10 septembre, apparaît tellement truffée de contre-vérités et d’assertions calomnieuses à l’encontre de cette écrivaine et philosophe américaine qu’elle appelle sans tarder une mise au point précise rétablissant les faits. Inutile d’épiloguer sur l’allégation voulant que Rand ait su que « son idéologie ne pouvait fonctionner que comme sadomasochisme » : c’est là typiquement le genre d’affirmation aussi hasardeuse que douteuse prétendant révéler les dispositions mentales secrètes d’un penseur sans en apporter la moindre preuve, dont il est déplorable de voir un éminent universitaire de Yale faire usage. En revanche, il est aisé d’établir sans conteste que tout ce que dernier avance au sujet de prétendues célébrations du « capitalisme anarchique« , d’adulation de « la loi de la jungle » et de la conviction anarchiste que « l’État finira par disparaître » contredit formellement la pensée d’Ayn Rand. Car il suffit en l’occurrence de rappeler les textes dans lesquels elle s’est on ne peut plus clairement exprimée sur ce point.

Dans un article intitulé « La nature du gouvernement » publié en décembre 1963, elle précise ainsi notamment que « l’anarchie, comme concept politique, est une naïve et flottante abstraction (…) Une société sans un gouvernement organisé serait à la merci du premier criminel venu, et elle se précipiterait dans le chaos d’une guerre entre gangs. (…) Même une société où chacun serait pleinement rationnel et rigoureusement moral ne pourrait pas fonctionner dans un état d’anarchie ; c’est le besoin de lois objectives et d’un arbitre pour régler les conflits entre individus honnêtes qui nécessite l’établissement d’un gouvernement ». Alors, « anarchiste », vraiment, et adepte enthousiaste de la loi du plus fort ou de la guerre de tous contre tous ?

Ce qu’en outre il faut savoir, c’est que sans craindre la redondance, Rand a dans tous ses écrits constamment et explicitement réaffirmé cette prise de position en faveur d’un État de droit. Et surtout qu’elle s’est maintes fois attachée à définir les fonctions légitimes et nécessaires de cet État (que les Américains nomment plus volontiers « Government ») qui en gros correspondant à ce qu’en France on appelle les  « fonctions régaliennes ». Dans le texte déjà cité, elle indique ainsi que « la seule fonction propre du gouvernement d’un pays libre est d’agir comme une agence qui protège les droits individuels » – et dans un autre paru en décembre 1961 que « les fonctions propres d’un gouvernement sont : la police, pour protéger les individus des criminels ; les forces armées, pour protéger des invasions étrangères ; et la justice, pour protéger la propriété et les contrats de la force et de la fraude, et régler les désaccords entre individus selon des lois objectives ».  Quelle apologie de la loi de la jungle !

La tradition du libéralisme

À la vérité, Ayn Rand ne fait pas œuvre originale en défendant de telles conceptions. Elle se contente de s’inscrire à sa manière dans la tradition libérale de l’État minimum (à comprendre comme justifiant la nécessité d’un minimum d’État), d’un « limited Government », chère aux Pères fondateurs des États-Unis dont elle veut retrouver l’inspiration dans leur opposition à un État omnipotent et intrusif. Et elle est si peu « anarchiste » que dès leur apparition dans le paysage politico-intellectuel américain, elle dénoncera les libertariens de tendance anarcho-capitaliste comme des fous dangereux – lesquels la voueront aux gémonies en la traitant…d’étatiste.

Une autre allégation figurant en fin d’article s’avère rigoureusement infondée et, partant, totalement calomnieuse. Selon Snyder, Rand, dans son célèbre roman et best-seller  Atlas Shrugged (La Grève, Belles Lettres, 2011 pour la traduction française), qualifierait les Américains ordinaires de « parasites ». Si elle emploie effectivement  ce terme, c’est en réalité exclusivement pour désigner et dénoncer ceux qui renoncent volontairement à vivre par eux-mêmes en utilisant leurs capacités créatrices et productives alors qu’ils le pourraient. Et qui préfèrent subsister en se faisant entretenir par les autres, que ce soit par les mânes d’un Welfare State [État providence] hypertrophié ou en s’insinuant au sommet des rouages de l’État (bureaucrates et politiciens composant l’establishment). Les « parasites » sont d’autant moins les salariés ordinaires ou modestes que dans le roman, ceux-ci sont au contraire décrits et magnifiés comme ayant, infiniment mieux que les élites, continué à courageusement cultiver les vertus de responsabilité personnelle léguées par les Pères fondateurs.

Pour savoir ce qu’il en est véritablement de La Grève, et à défaut de l’avoir lu soi-même, il n’est que se reporter à la longue relation d’une grande honnêteté intellectuelle  qu’en a faite un chroniqueur du Monde, Thomas Wieder, dans l’édition du 29 août 2008. Ou encore à celle, non moins pertinente mais plus brève, parue le 14 décembre 2011 dans Télérama – qu’on ne saurait soupçonner d’être un suppôt du « capitalisme anarchique ».

Tout au long de son réquisitoire, T. Snyder accuse Ayn Rand d’être une« idéologue », coupable d’avoir fourni une « idéologie dépassée » à Paul Ryan, le colistier républicain de Mitt Romney. Qu’elle soit encline à donner un tour manichéen et volontiers dogmatique  à sa pensée n’est certes pas douteux – je l’ai moi-même récemment observé et critiqué dans sa biographie intellectuelle (Ayn Rand, ou la passion de l’égoïsme rationnel, Belles Lettres, 2011). Mais vouloir résumer sa philosophie et son engagement au service des idées à ce seul aspect ne relève-t-il pas moins de l’idéologique ? Car le propos même du pourfendeur de Rand  présente et souffre lui aussi de toutes les caractéristiques de l’animosité venimeuse qui est l’autre face de l’idéologie : stigmatisation caricaturale d’un grand Satan dont viendrait tout le mal, falsification flagrante des thèses de l’ennemi désigné, raccourcis simplificateurs et simplistes, substitution de l’anathème et de l’affirmation péremptoire à l’argumentation. Éternel remake de l’arroseur arrosé… Ce n’est assurément pas de la sorte qu’on enrichit le débat !

Article paru initialement dans Le Monde

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