Ce que la gauche ne comprend pas chez Ayn Rand

Les critiques d’Ayn Rand, la philosophe et écrivain américaine née en Russie, passent à coté de ce qui importe dans ses idées.

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Ce que la gauche ne comprend pas chez Ayn Rand

Publié le 7 septembre 2012
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Les critiques d’Ayn Rand, la philosophe et écrivain américaine née en Russie, passent à coté de ce qui importe dans ses idées. 

Par Cathy Young, depuis les États-Unis.

Ayn Rand, l’écrivain originaire de Russie et se disant philosophe qui est décédée il y a trente ans, est de retour dans l’actualité : elle fait partie des auteurs favoris du candidat Républicain à la vice-présidence, Paul Ryan. Au cours de ces dernières années, Ayn Rand, l’individualiste passionnée, la pasionaria du capitalisme a été défendue en tant que championne de la liberté par beaucoup de conservateurs et de libéraux, et dénoncée comme prophète du lucre et du narcissisme par beaucoup à gauche. Pourtant, si ses admirateurs ont tendance à ignorer les manques de sa vision, ses détracteurs la réduisent à une caricature grotesque, et interprètent sa popularité comme une preuve de la bizarrerie de la droite.

Une méprise majeure consiste à croire que Rand vénérait les riches, et considérait la réussite financière comme le but le plus élevé de la vie. En fait, la plupart des nantis parmi ses personnages sont pathétiques, repoussants ou les deux. Des hommes d’affaires engraissés par des affaires pas très nettes ou des avantages octroyés par l’État, des gens de la haute société qui remplissent leur vie avec du luxe. On trouve aussi des personnages issus de la classe ouvrière, pauvres et sympathiques.

Dans « La Source vive », le premier best-seller et le meilleur roman de Rand, le héros, l’architecte Howard Roark, décrit « l’homme dont le seul but est de faire de l’argent » comme une des variantes de « celui qui vit par procuration », qui vit à travers autrui, ne cherchant qu’à impressionner avec sa richesse. Roark lui-même refuse des commandes lucratives plutôt que de sacrifier son intégrité artistique, se retrouvant à un moment sans le sou.

Rand encensait « l’égoïsme », mais pas vraiment dans son sens habituel. (D’une certaine manière, elle employait la tactique polémique aujourd’hui familière consistant à faire d’une insulte adressée à un groupe stigmatisé, ici, les vrais individualistes, une étiquette dont ils peuvent être fiers.) Le rival de Roark, l’arriviste et opportuniste Peter Keating, abandonne à la fois le travail et la femme qu’il aime vraiment pour faire avancer sa carrière. La plupart des gens, explique Rand, condamnerait Keating pour son « égoïsme » ; alors que son vrai problème est son manque d’amour-propre.

Pour Rand, être « égoïste » signifiait assumer d’être soi-même, ne pas sacrifier ses propres désirs ni piétiner les autres. De la même manière, l’opposition de Rand à l’altruisme n’était pas une attaque contre la compassion, mais une critique des doctrines qui subordonnent l’individu à un collectif ; que ce soit l’État, une église, une communauté ou la famille.

L’individualisme de Rand était-il trop radical ? Oui. Son hostilité envers l’idée de toute obligation morale vis-à-vis d’autrui l’a amené à avancer que, si aider un ami dans le besoin est convenable, le faire aux dépens de quelque chose auquel il vous coûte de renoncer est « immoral ». Dans ses fictions, même la charité privée est méprisée en tant que vocation ; il en est de même, en bonne partie, de la famille. Rand ne laissait que peu de place au fait que certains ne s’en tirent pas sans que ce soit de leur faute, ni que beaucoup de réussites individuelles sont rendues possibles par ceux qui nous soutiennent.

Et pourtant, de grandes idées peuvent venir de penseurs dans l’erreur. Les tirades de Rand contre l’altruisme se dirigent souvent contre un homme de paille, mais elle a raison en ce que le réflexe de traiter les buts altruistes comme nobles a aidé le mal ; par exemple, en aveuglant des Occidentaux bien intentionnés face à la monstruosité du communisme. Quand des commentateurs alarmés par l’individualisme à la Rand se gaussent du « mythe » de l’autonomie de l’individu, nous devrions nous souvenir que c’est ce « mythe » qui nous a donné la liberté et les droits de l’Homme, et qui a libéré des énergies créatrices qui ont haussé le bien-être de l’humanité à des niveaux naguère impensables. L’œuvre de Rand offre une puissante défense des fondements moraux de la liberté, et une analyse clairvoyante de la parenté des idéologies anti-liberté, qu’elles soient « progressistes » ou « traditionnalistes ».

Les idées de Rand s’appliquent au plan politique, mais aussi au plan personnel. Pas besoin d’aller aussi loin que Rand pour reconnaître que la valorisation du « sacrifice » et l’accusation d’être « égoïste » peuvent être des armes puissantes pour ceux qui les utilisent, manipulateurs ou despotes familiaux ; ou encore que la dépendance ne mène pas à des relations humaines saines. Pour l’exprimer comme Rand, pour dire « Je t’aime », il faut commencer par savoir dire « Je ». Une critique commune consiste à dire que Rand attire des adolescents qui pensent qu’ils sont auto-suffisants, différents, et voués à un grand destin. Pourtant, le monde serait sans doute plus pauvre, matériellement et spirituellement, sans personne pour porter un peu de cet « esprit de jeunesse », comme l’appelait Rand, dans le monde des adultes.

Les attaques contre Rand se sont aussi concentrées contre sa personne, depuis sa relation extraconjugale désastreuse avec un de ses protégés bien plus jeunes jusqu’à son bref engouement, quand elle avait 23 ans, pour un tueur notoire qu’elle décrivait comme « un garçon exceptionnel » perverti par une société conformiste. C’est répugnant, évidemment ; mais de nombreux autres intellectuels ont eu des vies personnelles sordides, et ont fait passer des meurtriers pour des rebelles.

Rand devrait être vue comme une non-conformiste brillante. Mais il y a des raisons pour lesquelles cette femme a attiré des hordes de disciples, en a influencé bien d’autres, et a impressionné des gens intelligents, depuis le journaliste Mike Wallace au philosophe John Hospers. Ceux qui traitent Rand comme un loup-garou gauchiste seront pris au dépourvu par ses attraits.


Article paru sur Reason.com sous le titre What Liberals Don’t Understand About Ayn Rand.
Traduction : Benjamin Guyot pour Contrepoints

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  • Cet article associe sans nuance tous les critiques d’Ayn Rand. Or, il y en a au moins de deux catégories: ceux qui critiquent cette œuvre sans la connaître, et ceux qui la critiquent parce qu’ils la connaissent et savent qu’elle est boiteuse, mal construite et mal articulée. (Moins nombreux, il est vrai, mais bien réels.)

    En faisant passer les seconds pour les premiers, cet article ne fait qu’accroître l’ignorance qu’il prétend combattre.

    • « et ceux qui la critiquent parce qu’ils la connaissent et savent qu’elle est boiteuse, mal construite et mal articulée. »

      Des noms, des noms svp!

      • Une partie des critiques de Rand qui sont présentées comme des erreurs ou une mécompréhension de son œuvre ne viennent pas des socialo-communistes. Une partie de l’argumentation de l’article tombe donc à l’eau. Murray Rothbard, par exemple, a critiqué sa dimension hallucinée et sectaire. De nombreux philosophes ont relevé divers problèmes et contradictions ou erreurs de raisonnement qu’on trouve un peu partout dans l’œuvre de Rand, comme Kukhatas ou Scott Ryan (qui traite son œuvre de pseudo-philosophie).

        • Que Rothbard critique la dimension « hallucinée et sectaire » de Rand, voilà qui me fait doucement rire. Quand on sait comment lui-même a engendré son propre culte (entretenu il est vrai avec un vrai talent par le Mises Institute), ou bien comment il a géré ses contradicteurs au sein du mouvement libertarien (par un don de l’invective, une violence rhétorique et une intransigeance qui font penser à bien des groupes gauchistes), on ne peut que relativiser la critique qu’il adresse à Tatie Rand.

          Quant aux problèmes de la pensée de Rand, ils sont évidents, je dirais même béants (après tout, tous les intellectuels font des erreurs). Ceci était dit, l’article rappelle « Et pourtant, de grandes idées peuvent venir de penseurs dans l’erreur. ». A moins d’avoir un esprit de système fermé sur lui-même, on ne peut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et il faut reconnaitre que certaines de ses intuitions sont assez fécondes.

          Disclaimer : je ne suis ni rothbardien, ni randien, et pourtant je lis, de temps à autres, ces deux auteurs avec un grand intérêt.

          • Pour être rothbardien et randien, j’avoue que j’ai un peu de mal avec votre « violence réthorique » ? donc, selon vous, faire usage de la raison et être intransigeant avec cet usage, c’est donc totalitaire et gauchiste ??
            Quand aux problèmes de la pensée de Rand, ils sont béant. Oui, très bien, mais lesquels exactement ? Elle est minarchiste, ce qui pour les rothbardien est idiot, mais encore ? je cherche …

  • Encore une fois, un article qui ne comprend pas l’égoïsme d’Ayn Rand. Ayn Rand n’est pas contre la compassion, l’article le reconnaît lui-même; elle dénonce simplement le fait de se sacrifier par compassion. Elle comprend qu’un échange est productif si j’accorde moins de valeur à ce que je perds qu’à ce que je gagne: si la satisfaction d’être généreux l’emporte sur la valeur de ce à quoi j’ai renoncé, mon temps libre, mon argent, mes organes… alors je n’ai commis aucun sacrifice.

    Cependant, il y a un non sequitur dans son œuvre : quand elle estime que la générosité doit être un acte marginal puisque non sacrificiel.

    J’aimerais faire remarquer, enfin, que l’épistémologie d’Ayn Rand est brillante, novatrice et féconde.

    • @ Jeffrey : tout à fait d’accord avec vous !!
      Si l’on reprend le discours de john galt dans la grêve, Tand affirme clairement qu’elle ne blame pas la compassion, et que l’on peut se sacrifier par compassion,m ais que si on le veut soi-même, et non par obligation morale ou étatique.

  • Il n’y a pas que la gauche qui ne comprend pas cette xenophobe. Comme cette ignoble campagne publicitaire affichée sur les réseau de bus de San Francisco reprenant une citation d’Ayn Rand sur les hommes peu civilisés que sont « les arabes » qui sont c’est bien connu une population très homogène intéllectuellement.

    [url]http://atlasshrugs2000.typepad.com/.a/6a00d8341c60bf53ef017617256560970c-600wi[/url]

    • Pas si décontextualisé que ça, tout de même:

      « The Arabs are one of the least developed cultures. They are typically nomads. Their culture is primitive, and they resent Israel because it’s the sole beachhead of modern science and civilization on their continent. When you have civilized men fighting savages, you support the civilized men, no matter who they are. Israel is a mixed economy inclined toward socialism. But when it comes to the power of the mind—the development of industry in that wasted desert continent—versus savages who don’t want to use their minds, then if one cares about the future of civilization, don’t wait for the government to do something. Give whatever you can. »

      • Oui enfin elle a dit ça dans la première moitié du XXè siècle … ils en étaient où, les « arabes »(*) à cette époque-là? Alors oui, on peut parler de la colonisation, etc, mais il n’en demeure pas moins que les sociétés (à ne pas confondre avec les ciilisations) « arabes » étaient pour le moins peu développées, hein?

        (*) « arabes » ça ne veut rien dire, soyons clair! c’est juste un marqueur anthropologique mais tout à fait dénué de réalité scientifique.

  • Rand est le Bakounine des libéraux…laissons la dans la poubelle, avec Bakounine, Marx et Freud!

    • @ mr wiggles :

      lisez d’abord bakounine, marx, freud et Rand, et ensuite vous pourrez (peut-être) faire une vraie différence entre eux et savoir qui doit être mis à la poubelle …

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