Nudge, un livre important qui sort des sentiers battus

Livre qui a eu un fort retentissement dans son pays d’origine, Nudge n’est pas un ouvrage libéral, mais il contient la matière à de réelles avancées pour la philosophie libérale.

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Nudge, un livre important qui sort des sentiers battus

Publié le 28 juin 2012
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Livre qui a eu un fort retentissement dans son pays d’origine, Nudge n’est pas un ouvrage libéral, mais il contient la matière à de réelles avancées pour la philosophie libérale.

Par Alain Cohen-Dumouchel.

Nudge est un livre important qui a eu un fort retentissement dans son pays d’origine. L’édition originale est parue aux États-Unis en 2008. Il a connu un succès grandissant, aussi bien auprès des milieux démocrates que conservateurs. Il a été traduit en français en 2010.

Disons le tout net, Nudge n’est pas un ouvrage libéral, mais il contient la matière à de réelles avancées pour la philosophie libérale. Contrairement à la quasi totalité des essais économiques, politiques ou sociétaux, Nudge présente la particularité de ne pas ignorer les problèmes soulevés par les libéraux et d’y répondre avec franchise, et même avec une certaine bienveillance, sans tenter de déformer la philosophie libérale.

C’est un fait remarquable, car l’abondante littérature socialisante que nous subissons en France et dans le monde nous a habitués au contraire. Comment le dialogue peut-il s’engager alors que la quasi totalité des essayistes de gauche ou de droite fustigent un libéralisme fictif dans lequel aucun militant libéral ne se reconnait ? En effet, s’il existe de nombreux ouvrages, discours, pamphlets libéraux qui critiquent le socialisme sans avoir besoin de le déformer, le contraire n’est pas vrai. Il est extrêmement difficile de trouver des ouvrages étatistes qui critiquent ou réforment la pensée libérale sans la dénaturer. Nous avons récemment commenté  l’ouvrage de Joseph Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, qui est tout à fait représentatif de la méthode employée par les étatistes pour falsifier les idées libérales.

Rien de tel chez Nudge et pourtant, l’un des deux auteurs, Cass Sunstein, est directeur du bureau de l’information et des affaires réglementaires (OIRA) de l’administration Obama. Il est par ailleurs juriste spécialisé en droit constitutionnel, professeur à Harvard et à l’université de Chicago. Richard Thaler, le deuxième auteur, est économiste, spécialiste des sciences du comportement. Il a publié de nombreux articles sur les anomalies de marché.

To nudge, c’est pousser du coude, remettre sur le droit chemin par une petite impulsion. Nudge propose d’analyser nos choix à la lumière de la psychologie sociale et de les guider doucement, sans contrainte, en utilisant les techniques découvertes par les nouveaux comportementalistes. Les auteurs appellent cette philosophie le paternalisme libéral (libertarian paternalism, mal traduit dans le livre français par paternalisme libertaire).

À noter que le mot américain liberal est également mal traduit (page 14 de l’édition française) par libéral au lieu de gauche ou libertaire.

 

Les trois idées principales de Nudge

Le livre s’articule autour de trois idées principales.

Les individus se trompent

Tout le monde connait la fameuse formule libérale : nul ne connait mieux son propre intérêt que chaque individu, ou formulé différemment : les êtres humains prennent de meilleures décisions pour eux-mêmes que celles que n’importe qui prendrait à leur place.

C’est ce postulat que les auteurs contestent, non pas d’une manière générale, mais pour de nombreuses situations de la vie courante : épargne, mariage, retraite, santé, placements. Ils vont jusqu’à ajouter que cette hypothèse est « fausse – et même, évidemment fausse« .

Voilà qui ne va pas plaire à certains libéraux. Et pourtant, les auteurs sont très convaincants et leur livre, qui s’appuie sur des études scientifiques précises, est très bien documenté.

 

Les individus doivent toujours être libres de choisir

Selon les auteurs, les gens doivent être libres de faire « ce qu’il veulent – et de changer d’avis s’il en ressentent la nécessité. »  Pas question donc d’imposer quoi que ce soit, ni épargne, ni retraite, ni placements, ni assurance. Pas de sécurité sociale ni de retraite par répartition obligatoire. Nudge s’oppose résolument à toute forme de coercition. Les individus qui veulent se prendre en main doivent pouvoir le faire dans tous les domaines.

En particulier les auteurs expriment clairement leur méfiance vis-à-vis des choix dictés par l’État, et par les fonctionnaires :

Nous sommes absolument d’accord pour affirmer que les risques qu’un gouvernement commette des erreurs, fasse preuve de partialité ou intervienne sans nécessité sont réels et parfois sérieux […] Et nous tenons essentiellement à ce qu’aucune restriction ne vienne limiter le libre choix, car cela réduit les risques de propositions ineptes, voire corrompues. La liberté de choix est le meilleur rempart contre la mauvaise architecture du choix.

Les libéraux classiques devraient retrouver l’envie de lire ce livre !

 

Il est possible d’influencer les bons choix par la méthode douce

Si les Hommes se trompent massivement, mais qu’il est admis qu’il faut leur laisser la possibilité et le droit fondamental de le faire, alors il faut trouver des méthodes pour les remettre sur le bon chemin. Ces méthodes non coercitives sont possibles et résultent, elles aussi, de la façon dont les individus se comportent dans la vie courante. La mise en œuvre de ces méthodes est dénommée l’architecture du choix, la philosophie générale qui les sous-tend, le paternalisme libéral. Pour les auteurs, c’est principalement l’État qui doit être cet architecte, mais rien n’empêche les sociétés privées de s’en charger dans certains domaines. Une des techniques simples pour guider vers le bon choix (supposé) consiste à toujours présenter des options par défaut.

La capacité des humains à se tromper et les façons de les influencer sont décrites avec pas mal d’humour. L’ouvrage est agréable à lire, il expose les aspects théoriques de la doctrine tout en les illustrant avec des anecdotes amusantes et des récits d’expériences réalisées sur le terrain. Le style est  volontairement léger, et les auteurs n’hésitent pas à se moquer de leurs propres travers. Le livre développe principalement les points 1 et 3, le point 2 étant admis comme un principe, ce qui ne nous dérangera pas outre mesure.

Nous continuerons dans un prochain article à explorer les biais et les bourdes révélés par Nudge puis nous évaluerons les recommandations des auteurs, en particulier celle de confier à l’État la mise en œuvre d’incitations vertueuses.

—-
Sur le web.

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  • Alors, utilisons leur argument contre l’étatisme.

    Ce sera facile : Si même l’individu n’est pas capable d’identifier au mieux son (meilleur) intérêt, il est parfaitement utopique que l’état puisse le faire à sa place.

    La première affirmation peut se comprendre au sens où la vie et le parcours intellectuel d’un individu n’est pas figé, et ses aspirations à 20 ans peuvent être différentes de ses aspirations à 40, surtout qu’il se connait mieux à 40 ans.

    Comme disait socrate, la seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien, et encore plus si je suis fonctionnaire et que je doive m’exprimer sur la vie des autres !!

  • « nul ne connait mieux son propre intérêt que chaque individu, ou formulé différemment : les êtres humains prennent de meilleures décisions pour eux mêmes que celles que n’importe qui prendrait à leur place. »

    Non, les deux formules ne sont PAS équivalentes. Et la 2ème est une approche purement utilitariste. Un libéral jusnaturaliste dirait plutôt que peu importe les conséquences du choix pour l’individu, bonnes ou mauvaises, il doit rester libre de son choix… Ce qui amène au point 2 du livre.

    « Voilà qui va faire voir rouge (si nous pouvons nous permettre cette expression) à certains libéraux »

    Non ce ne fera voir rouge que les anti-libéraux qui pensent que les libéraux croient en la rationalité « objective » systématique des individus, ou ceux qui connaissent mal le libéralisme. Ceux qui ont un minimum de culture libérale n’apprendront pas grand chose (sauf peut-être les utilitaristes purs et durs, mais il n’y en a plus beaucoup :p ), du moins les « autrichiens », qui savent qu’on ne peut juger la rationalité d’autrui, puisque seul l’individu en question « connaît », consciemment ou inconsciemment, l’intégralité des raisons ayant poussé au choix, à l’action. Et par conséquent, personne d’autre que l’individu ne peut juger s’il a fait le « meilleur » choix.

    « (libertarian paternalism, mal traduit dans le livre français par paternalisme libertaire). A noter que le mot américain liberal est également mal traduit (page 14 de l’édition française) par « libéral » au lieu de gauche ou libertaire. »

    Aïe, une traduction faite avec une telle incompétence n’augure rien de bon. D’ailleurs, comment peut-on se dire traducteur professionnel et commettre de telles erreurs?
    Bref, la version anglaise est-elle accessible?

    Concernant le point 3, quelques exemples seraient le bienvenu, car présenté comme ça, ça sent le constructivisme à plein nez.

  • « Concernant le point 3, quelques exemples seraient le bienvenu, car présenté comme ça, ça sent le constructivisme à plein nez. »

    C’est exactement la reflexion que je me suis faite : l’Etat doit pousser les citoyens a faire les « bons » choix (ceux qui l’arrange lui ?), en presentant les options par « defaut » (en eliminant toutes les autres options ?). Ce point ressemble pour moi a un appel implicite a l’utilisation de la propagande et a la coercition pour inculquer les bonnes decisions aux peuple, celui prenant forcement de mauvaises decisions si on le laisse faire…

  • Ce livre semble être une tentative désespérée des collectivistes américains d’adapter leurs thèses à une opinion qui leur est apparemment de moins en moins vraiment favorable.

    On apprécie notamment le déséquilibre de point de vue entre un Etat présentant des « risques parfois sérieux » et des individus qui « se trompent massivement ».

    L’image de couverture de l’éléphant adulte (l’Etat ?) guidant avec douceur l’éléphanteau (le peuple américain ?) est l’aveu de l’incroyable prétention de ces gens et de leur rejet des valeurs constitutionnelles des EU.

  • Hum, il me semble qu’il y a une différence entre admettre qu’on ne peut juger de la rationalité (ou de l’irrationalité) d’autrui et admettre que les individus se trompent massivement dans pas mal de circonstances de la vie courante.
    Je crois qu’il y a des libéraux « modernes » qui sont insensiblement passés du « laissez nous faire ! » des origines à un « qu’on les laisse faire ! ».

    Le point 3) n’est pas du constructivisme car ici, il n’y a aucune intention de changer la nature de l’Homme. Au contraire il s’agit de prendre en compte la nature humaine. Ce n’est pas du tout du socialisme.

  • Les commentaires sont fermés.

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Ian Bremmer est chroniqueur des affaires étrangères et éditorialiste au Time Magazine. Il est le président d'Eurasia Group, un cabinet de conseil en risques politiques, et de GZERO Media, une société qui se consacre à la couverture et l'intelligence des affaires internationales. Il enseigne la géopolitique à l'université de Columbia.

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