“Muss” de l’écrivain italien Malaparte est une intéressante analyse historique des conditions d’émergence du fascisme, de son inscription dans l’histoire italienne, une préfiguration aussi de ce que sera l’Allemagne d’Hitler à partir de ce qu’il voit de l’Italie de Mussolini.
Par Thierry Guinhut.
Nous avons les gouvernements que nous méritons, dit-on souvent. Malaparte, portraiturant Mussolini, brosse un portrait peu flatteur de l’Italie de son temps : vanité, mauvaise foi, bêtise… L’écrivain italien, de passage en France, devait en 1931, pour l’éditeur Grasset, écrire une biographie du Duce. Probablement ne s’attendait-on pas à cet essai, descente en flèche du prototype du fascisme.
Après avoir, dans Technique du coup d’État, assuré la perspicacité de son analyse du phénomène Hitler, Malaparte en remettait une couche en déshabillant ce modèle de la tyrannie. Crimes « contre les corps » et « contre les consciences » sont les péchés de l’icône politique, associés à ceux de son imitateur autrichien que notre auteur devine devoir se révéler encore plus violent. C’est ainsi que le nouveau César est replacé dans son contexte historique, dans la distorsion d’une nouvelle légalité capable d’auto-justifier ses crimes. Pourtant la mère de l’écrivain a été « amoureuse » du « pauvre Muss », comme elle l’appelait.
Fallait-il publier ces manuscrits hélas inachevés ? Certes, oui ! Interrompus par sa relégation politique en des lieux perdus de la péninsule, il pensa reprendre ces travaux dans les années quarante. S’il a, un temps, été fasciné par les personnalités d’exception des gouvernements autoritaires, au point d’avoir été un théoricien apprécié du fascisme italien, le voilà renvoyant dos à dos ce totalitarisme et celui communiste.
Mieux encore, son second opus consacré à Mussolini, Le Grand imbécile, devient une franche bouffonnerie, dans laquelle une révolte grotesque balaie l’homme pas si fort du régime. Le tyran sans humour est brocardé de façon à montrer qu’il n’aurait pas été si difficile de le renverser, du moins si le peuple avait su en assumer la décision. Après avoir trop pris au sérieux le surhomme, Malaparte déboulonne celui qui porte « la tomate jaune de son kyste sur sa nuque lardeuse » avec les armes efficaces du rire…
Curzio Malaparte : Muss, suivi de Le Grand imbécile, traduit de l’italien par Carole Cavallera, Quai Voltaire, 224 p, 18 €.
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Sur le web.
Paru initialement dans Le Matricule des Anges, avril 2012.
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