Il y a des arguments pour la baisse des prix de l’immobilier comme pour son maintien aux niveaux actuels ou plus élevés. Lesquels croire en ces temps incertains ?
Par Vincent Bénard.
Jean-Christophe Bataille et Loïc Abadie ont livré deux visions radicalement différentes de l’avenir du marché immobilier français en France dans ces colonnes ces derniers jours. Alors, qui croire ?
Petit rappel : Loïc Abadie pense, statistiques à l’appui, que l’immobilier va plonger. Jean-Christophe Bataille estime que les facteurs structurels alimentant la demande et contraignant l’offre ne permettront au mieux (ou au pire), que de voir des corrections locales de 5 à 20 %.
Ces facteurs sont, entre autres, la poursuite de la décohésion des ménages, la politique malthusienne de raréfaction artificielle du foncier constructible, et, dans les emplacements premium comme les beaux quartiers de Paris, la Savoie ou la côte d’Azur, des achats massifs d’étrangers fortunés qui chercheront à mettre leur patrimoine à l’abri de la folie injectrice des banques centrales.
Correction ou implosion en fonction des caractéristiques immobilières ?
Qui a raison ? Bien malin qui peut le dire avec certitude. Il me semble que ces deux analyses s’en tiennent à une agrégation moyenne d’éléments économiques généraux. Mais en phase de turbulence économique, il me semble que deux typologies de marché assez différentes vont voir le jour, donnant en partie raison (ou tort, si on est pessimiste), à nos deux analystes.
Autant le dire tout de suite : d’un point de vue macro-économique général, le scénario de Loïc Abadie serait plus sain, et serait celui qui se produirait si les gouvernements laissaient faire la grande correction de l’excès de dettes qui est en train de s’opérer. Mais quelques facteurs d’origine gouvernementale me laissent croire que le scénario de Jean-Christophe Bataille sera observable sur une certaine typologie de marché.
Notamment, une correction faible à modérée sera observable sur le marché du logement de plus de deux pièces dans toutes les grandes et moyennes agglomérations et leur proche périphérie, là où se concentrent presque deux tiers de la population française, à la notable exception des quartiers frontaliers des zones urbaines dites difficiles. Par contre, dans les campagnes éloignées (20 km) des grands centres pourvoyeurs d’emplois, ou sur le logement de petite surface (studios et petits deux pièces) on se rapprochera d’une chute selon l’analyse de Loïc Abadie, qui a d’ailleurs déjà commencé.
Pourquoi ces divergences d’analyses en fonction des secteurs ?
Petites surfaces : le dégonflement du Scellier va se faire sentir
Ces dernières années, dans des grandes villes de province (Nantes, Strasbourg, Montpellier, etc.), de nombreux programmes en collectif ont été modifiés à la dernière minute pour transformer des trois/quatre pièces initialement prévus en étages élevés en deux pièces ou en studios.
Pourquoi ? Parce que compte tenu des revenus moyens des ménages français, leur limite de solvabilité se situait autour de 160 000 euros, et que pour fourguer du défiscalisé Scellier à 3000 euros du m2, il ne fallait pas dépasser 50 m2.
Certes, tous les ménages de France ne voudront pas vivre dans un deux pièces cuisine. Mais rappelez vous que la défiscalisation tend à rendre l’investisseur aveugle à ces questions de simple bon sens. En ce moment arrivent sur le marché des montagnes de petites surfaces, certes garanties BBC, mais dont je doute qu’elles suscitent une demande locative à la hauteur de l’offre. Le phénomène déjà observé depuis 4 ans dans les villes de taille inférieure (Angers, Poitiers, Niort, Pau, Rodez, Vichy… liste non exhaustive ici), où des investisseurs incapables de trouver une demande intéressée pour leur Robien (précurseur du Scellier) se sont retrouvés massivement étranglés et contraints de revendre en urgence et à perte leurs logements, notamment à des bailleurs sociaux, trop heureux de se constituer ainsi un parc à bon compte, subventionné par l’aveuglement fiscal d’investisseurs crédules.
En contrepartie, dans ces villes où, traditionnellement, les bassins d’emplois sont variés et offrent un (faible) espoir de retrouver du travail à ceux qui viennent de perdre le leur, la demande pour des logements un peu plus grands, adaptés à une famille, restera à des niveaux corrects ; j’y reviendrai.
Campagnes lointaines : l’effet SCOT ne regonflera pas la bulle…
Enfin pas tout de suite.
La première décennie de ce millénaire a vu les communes situées à 5-25 km de la périphérie des grandes agglomérations accueillir massivement tous les laissés-pour-compte du renchérissement du logement en grande ville.
Les familles qui ont fait grimper la population de petites bourgades de 15 à 40 % en dix ans sont arrivées là, non pas par goût de la vie à la campagne, ou plutôt en lotissement dortoir à la campagne, mais parce que là se trouvaient les seuls terrains qu’elles pouvaient encore financer.
Inutile de dire que ces familles seront plus touchées que les autres par la grande gifle économique que la loi va subir dans les deux prochaines années. En effet, les bassins d’emplois ruraux sont généralement plus sensibles à la perte d’un gros employeur que ceux des grandes villes, et ces familles modestes, voire très modestes, ont fait construire des logements de basse qualité parce qu’après avoir payé le terrain une petite fortune, l’argent manquait pour les finitions garanties BBC.
Le législateur et sa bureaucratie, sans doute soucieux d’éviter que les familles ne puissent continuer à se loger à bas prix loin des centres urbains (à ce niveau, c’est une véritable guerre contre les aspirations des Français qui est lancée. Autre débat…), a donc promu de nouvelles lois tendant à exporter l’urbanisme malthusien des grandes villes vers les bourgades de campagne sus-mentionnées. C’est ainsi que de plus en plus de municipalités, même parmi les plus modestes, sont tenues de s’inscrire dans des SCOT, schéma de cohérence territoriale, dans lesquels les préfectures, converties à l’intégrisme anti-étalement urbain, forcent les villages à créer des opérations d’urbanisation basées sur de petites parcelles. 450 m2 par terrain en moyenne, tel est le nouveau leitmotiv de l’administration. « Il faut DENSIFIER », qu’ils disent. Et le rythme des nouvelles constructions autorisable est lui aussi défini par la bureaucratie selon des critères qui n’appartiennent qu’à sa pseudo-logique déconnectée de toute réalité de marché.
Soyons clairs : aucune personne un tant soi peu dotée de moyens financiers n’a envie de venir se terrer dans un trou rural sur une parcelle de 450 m2 à touche-touche avec quatre voisins dans du lotissement uniformisé. En campagne, ceux qui auraient les moyens de venir s’installer par goût veulent 800 m2 minimum, un peu d’intimité, et du charme. La folie bureaucratique fera en sorte que les villages de campagne se spécialisent dans le logement de gamme moyenne-basse, celui dont la clientèle sera la plus négativement impactée par la crise.
Et lorsqu’une vague de chômage touchera une commune parce qu’une usine d’une centaine d’employés aura fermé, les marchés locaux seront inondés de logements médiocres vendus en urgence par des familles incapables de payer leur crédit, ou déménageant pour trouver un nouvel emploi. Malgré la relative raréfaction foncière opérée par l’expansion du cancer des SCOT, la tendance sur les marchés ruraux et rurbains (unités urbaines inférieures à 10 000 habitants) sera baissière, hors zones d’attractivité touristique particulière (zones balnéaires, villages typiques du Lubéron, etc.).
Bulles de la peur
En contrepartie, la peur de la dépréciation monétaire et du marasme économique va amplifier ce que j’appellerai les bulles spéculatives de la peur, par opposition aux bulles euphoriques (Internet, immobilier) de la période 1995-2008.
Les produits susceptibles d’attirer durablement l’argent de la peur ne sont pas si nombreux : tableaux de maîtres, obligations suisses, horlogerie et joaillerie fine, métaux précieux, et immobilier.
Aujourd’hui, les agents immobiliers constatent de plus en plus de demandes d’achat émanant de personnes ayant un peu de capital et qui pensent le mettre à l’abri dans la pierre. À la limite, les acheteurs sont même prêts à accepter un risque de perte, qu’ils jugent moins important que pour d’autres biens, sans doute à raison. Mais ces investisseurs-là ne sont pas dans le même état d’esprit, ou plutôt d’aveuglement, que les acheteurs de Scellier montalbanais. Ils veulent des biens de bonne qualité.
Cette bulle de la peur sera renforcée par l’insécurité grandissante qui naîtra du marasme économique : les périmètres jugés insécuritaires vont augmenter au fur et à mesure que l’État de droit se délitera. Cela renforcera la demande de familles affluentes pour des quartiers réputés plus sûrs, et rendra même acceptable un risque de perte de long terme sur les biens achetés, ce prix étant considéré comme la rémunération de la ségrégation par l’argent permettant de se protéger de la promiscuité avec le marasme des autres. La réalité n’aura que faire du politiquement correct « vivre-ensembliste » socialement mixte dont les élites autoproclamées, qui vivent elles-mêmes dans les quartiers les plus huppés, dégoulinent à longueur d’interventions médiatiques.
À noter que même en Allemagne, jusqu’ici épargnée par la bulle, des phénomènes de ce genre sont déjà observables : la bulle de la peur est en train de prendre son essor dans les grandes villes premium telles que Munich ou Hambourg.
Et si les taux montent beaucoup ?
L’un des éléments clé du raisonnement de Jean-Cristophe Bataille est que dans la situation actuelle, les taux d’intérêt ne peuvent que rester bas. Je ne parierai pas sur des taux bas éternels, mais avant que l’argent des quantitative easing n’irrigue à nouveau le crédit, il se passera au mieux quelques trimestres. La pompe de l’inflation se réamorcera donc un peu avant la remontée des taux des banques centrales.
Mais même si les taux montaient plus vite que je ne le pense, cela affecterait en priorité les achats des familles les moins affluentes du spectre de la demande solvable, celles obligées de prendre des crédits à fort levier, avec peu d’apport personnel : c’est donc la demande bas de gamme précédemment décrite qui dévisserait en priorité. Les familles encore capables de payer malgré la crise, et avec une proportion d’apport personnel suffisant, ne seront pas arrêtées par quelques dizaines de points de base supplémentaires.
Conclusion : une baisse nécessaire mais hélas partielle
Si l’analyse qui précède est correcte (mais il faut toujours rester modeste quand il s’agit d’avenir…), nous verrons donc une dichotomie croissante entre le marché du logement de M. tout le monde où la baisse des prix, et plus encore des volumes de transaction, sera sensible, et celui des classes moyennes supérieures où la baisse sera modérée, voire faible. La différence de comportement actuel entre l’ouest parisien et la province (Cf. courbes de Friggit citées par Loïc Abadie) ne s’explique à mon avis pas autrement. En période difficile, la qualité de l’emplacement sera la clé absolue de la valeur, bien plus qu’en période faste, où même des cochonneries partaient à des tarifs incompréhensibles.
Au risque de surprendre, je rappellerai un dernier point que d’aucuns jugeront contre-intuitif : la baisse de l’immobilier serait une excellente chose, et elle serait un préalable à un redémarrage économique. En effet, l’immobilier est d’abord un bien de consommation, à dépréciation lente, certes, mais un bien de consommation tout de même. Et la baisse des prix des biens de consommation en termes relatifs, phénomène économique on ne peut plus normal, signifie un gain de pouvoir d’achat pour les ménages qui en bénéficient, gains de pouvoir d’achat qui pourront alimenter soit de la consommation de nouveaux produits, soit de l’épargne productive.
Depuis quinze ans, la part consacrée par les ménages à leur logement augmente trop vite, alors même que cette période a vu pour la première fois un retournement de la qualité du service de logement offert : baisse des surfaces moyennes des programmes neufs, stagnation dans la progression du confort des logements. Croire que le monde s’enrichit parce que le prix d’un même bien immobilier augmente sans amélioration du service rendu est un leurre. Une grande partie de nos ennuis actuels viennent de cette croyance erronnée dans l’effet richesse dû à l’immobilier. Les USA perdront deux décennies de richesse à cause de cette erreur. L’Espagne… trois.
Voilà pourquoi je disais en début d’article que le scénario de Loïc Abadie était celui que je préférerais voir se matérialiser, même si je n’y crois que partiellement. Et voilà pourquoi je souhaite toujours que nos lois foncières soient radicalement modifiées, pour que lorsque l’économie repartira (un jour…), nous ne connaissions pas à nouveau un épisode de bulle des prix immobiliers, et tout le cortège de destructions économiques qui ira de pair.
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Lire également :
Articles sources :
Loïc Abadie : L’immobilier français est sur le point de plonger
JC Bataille : Les prix de l’immobilier français ne s’effondreront pas
Du Même auteur
Défiscalisation, piège à cons
De l’étalement urbain à l’étoilement urbain
Grenelle et foncier, des lois de guerre contre les français
(Aout 2008) : Immobilier, une baisse en trompe l’oeil faute de vraie réforme foncière
Economie bullaire et fausse création de richesse
Regarde l’Europe tomber
Vive la déflation !
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Mon Livre, Logement, crise publique, remèdes privés
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Félicitations ! Une des meilleures synthèses de la question de l’immobilier, qui évite les positions extrêmes (fausses) trop souvent radotées.
Toutefois, il faut noter que si l’immobilier est partiellement un bien de consommation, détruit par son utilisation, il est avant tout un bien d’investissement. En effet, l’utilisation de ce bien ne détruit pas le foncier qui y est attaché, ni les fondations, ni les murs. L’immobilier conserve indubitablement de la valeur, y compris de la valeur d’usage, même amoindrie par un usage antérieur.
L’immobilier est un des rares moyens de se constituer un capital pour tous ceux qui n’ont pas une âme d’entrepreneur. Dans une perspective de très long terme, l’immobilier est un excellent levier pour sortir une famille de la pauvreté, parce qu’il permet l’accumulation du travail et du capital de plusieurs générations.
On ne peut analyser valablement l’évolution des prix de l’immobilier si on ignore que l’immobilier est non seulement un investissement mais surtout un investissement de très long terme.
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Des taux d’intérêt artificiellement bas et une masse monétaire artificiellement gonflée, ont produit les résultats annoncés par Hayek: des distorsions sectorielles et des excès de production. Plus un secteur dépendra du crédit, plus il tendra à « gonfler » au détriment des autres. Cela a été le cas dans l’immobilier, très dépendant du crédit. Des purges ont eu lieu dans certains pays (USA…). Dans d’autres, il n’y a pas eu de bulles (l’Allemagne). Partout ailleurs, comme en France ou en Belgique, la bulle n’a pas encore éclaté et la purge n’a pas encore eu lieu. La cure sera d’autant plus douloureuse!
à suivre
Quel ρlaisir de lire votre site web
Je n’ai pas eu le temps de terminer de lire cependant je repasse dans la journée