David Hume, l’athée

Ses idées sur la religion coûtèrent à David Hume sa carrière professionnelle à l’université

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David Hume, l’athée

Publié le 14 janvier 2012
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Nous ne saurons jamais ce qu’il pensait réellement. Mais il est clair qu’il est passé dans l’histoire des idées comme philosophe, économiste et athée. Une très bonne personne, sans doute… mais athée.

Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne

Tout au long de l’histoire, le monde de la science et de la culture a eu, dans beaucoup d’occasions, des relations difficiles avec des théologiens et des hiérarchies des plus diverses confessions religieuses. Dans l’Europe du Sud, on pense, parfois, que les églises protestantes furent exemplaires dans leur tolérance. Mais je crains que même dans la libre Grande-Bretagne une telle chose fût certaine. Newton, par exemple, dût cacher toute sa vie ses doutes sur la Très Sainte Trinité, car s’il les avait rendus publics, il aurait été expulsé de l’université de Cambridge. Et ses idées sur la religion coûtèrent à David Hume sa carrière professionnelle à l’université… et elles auraient pu lui coûter encore plus cher.

Personne ne remet en question le rôle important qu’ont joué, dans la seconde moitié du 18e siècle, les Lumières écossaises dans la naissance de l’économie politique moderne. Adam Smith fut, certainement, son principal représentant. Mais Hume apporta également des contributions décisives à la nouvelle science. Pour ne citer que l’exemple le plus significatif, il faut se souvenir qu’aujourd’hui encore nous utilisons ses idées sur l’argent et le mécanisme d’ajustement de la balance des paiements. Cette analyse lui permit de jeter par terre le mythe mercantiliste de la balance commerciale – c’est-à-dire la théorie qui établit qu’un pays s’enrichit quand il exporte et s’appauvrit quand il importe – et mis au rencart la vieille idée selon laquelle l’objectif d’une politique économique extérieure de tout pays devait atteindre une balance commerciale à tout moment. Hume démontra qu’une balance commerciale favorable ne peut se maintenir de manière permanente, car l’entrée d’or dans un pays, générée par un solde positif, aurait comme effet une croissance de la quantité de monnaie. Celle-ci élèverait le niveau des prix interne et réduirait la compétitivité extérieure du pays, ce qui empêcherait de maintenir l’excédent. C’est-à-dire, selon notre économiste, qu’il existe un mécanisme automatique qui rend impossible que, en bien ou en mal, le fonctionnement de la politique mercantiliste.

L’économie, cependant, ne constitua qu’une partie de sa vaste œuvre. Hume fut, avant tout, un grand philosophe empiriste ; mais aussi un des historiens les plus importants qu’a produit la Grande-Bretagne. Né à Édimbourg en 1711, il étudia le droit et la philosophie dans l’université de cette ville. Intellectuel brillant dès sa jeunesse, à 26 ans il avait déjà publié son Traité de la nature humaine, livre qui, même s’il n’obtint pas la reconnaissance qu’il méritait, est aujourd’hui considéré comme une des œuvres fondamentales de la philosophie moderne. Malgré cela, jamais il n’obtint de chaire universitaire.

Et il essaya au moins à deux reprises. La première fois à Édimbourg, l’année 1744. Mais il n’y parvint pas, principalement parce que le clergé d’Édimbourg l’accusa d’athéisme et demanda aux autorités municipales de rejeter sa nomination. Ce ne fut pas là son seul problème en Écosse. Des années plus tard, il tenta d’obtenir la chaire de philosophie à l’université de Glasgow. Et, de nouveau, il fut rejeté pour son attitude face à la religion. De plus il fut accusé d’hérésie devant les tribunaux. Il put éviter la condamnation et fut absout ; utilisant, entre autres, l’argument selon lequel on pouvait être difficilement accuser d’hérésie quelqu’un que la propre église considérait athée. Mais il ne fait aucun doute que cette désagréable affaire lui ferma toute possibilité de suivre une carrière académique et il orienta sa vie vers d’autres chemins. Hume occupa un poste à responsabilités à l’ambassade britannique à Paris et devint une figure intellectuelle très respectée des deux côtés de la Manche. Il n’eût pas non plus de bonnes relations avec l’Église catholique. Ses œuvres furent incluses dans l’Index des livres interdits la première fois en 1761 ; et y restèrent pendant beaucoup de temps. Ce qui n’empêcha pas, il est vrai, que le les figures les plus importantes de la cour de Louis XV, avec Madame de Pompadour en tête, les lurent.

La question que beaucoup de spécialistes de son œuvre se sont posée depuis plus de deux siècles est celle de savoir si notre personnage fut réellement ou non athée. Et la réponse à cette question n’est pas facile. Certains considèrent qu’il le fut réellement, bien que dans son œuvre il n’attaque jamais la religion avec la virulence d’autres personnages du siècle des Lumières, comme le baron Holbach. D’autres, en revanche, pense qu’il fut plutôt un homme sceptique, qui avait de sérieux doutes sur l’existence de dieu. Nous ne saurons jamais ce qu’il pensait réellement. Mais il est clair qu’il est passé dans l’histoire des idées comme philosophe, économiste et athée. Une très bonne personne, sans doute… mais athée.


Article originellement publié par Libre Mercado.

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  • Intéressant article. Voir Hume mis à l’honneur sur Contrepoints.org est tout à fait plaisant.

    Hume, athée ou pas ? La question n’a jamais trouvé de réponse tranchée. Certains lui prêtent une préférence pour telle ou telle position en vogue à l’époque, par exemple pour un « déisme atténué » (attenuated deism) ou pour un « déisme minimal ». Au fond elle n’en trouvera sans doute jamais. Hume, tout en creusant la question de la religion à travers divers écrits et essais, n’y a jamais apporté de réponse claire. Il ne le pouvait pas, légalement parlant, et peut-être même philosophiquement, dans la mesure où l’on ne peut savoir réellement si Dieu existe ou non – tout au plus peut-on le croire, et en avoir la quasi-certitude, mais non le prouver formellement. Rien ne permet d’inférer avec certitude l’existence ou la non-existence de Dieu.

    Il me semble néanmoins que les positions de Hume penchent soit vers un relatif athéisme, soit vers une sorte de déisme épicurien.

    – Dans le Traité de la nature humaine, I, IV, V, il se pose la question de savoir si l’âme est immatérielle ou non. Nous ne faisons jamais l’expérience de l’âme ; nous ne la percevons jamais. Tout au plus la supposons-nous, sans avoir aucune preuve ni de ce qu’elle soit « immatérielle », ni même immortelle. Hume condamne donc le débat sur l’immatérialité de l’âme, car un tel débat ne peut trouver de solution.

    – Il s’agit en fait de trouver une solution rationnelle, car dans l’Enquête sur l’entendement humain, chap.X, il fait une critique des miracles en usant entre autres d’un argument très fort. (Qu’on peut résumer ainsi : nos croyances et nos connaissances sont fondées sur l’habitude ; un miracle va à l’encontre de toutes nos connaissances et nos croyances ; donc, toutes nos croyances tendent à ne pas nous le faire croire, et tendent à donner plus de crédit à l’idée selon laquelle celui qui raconte avoir vu un miracle se trompe ou ment ; c’est le goût du merveilleux présent dans la nature humaine qui pousse les crédules à croire des fariboles.)
    Cette critique des miracles est aussi une critique de la religion. Nos croyances religieuses, conclut Hume, sont fondées sur la foi et non sur la raison.

    – Dans l’Histoire naturelle de la religion, le philosophe enquête sur l’historicité des croyances religieuses… il évite les risques en se réclamant de la thèse du dessein intelligent, arguant que celle-ci est la preuve d’un progrès plus haut que le polythéisme et le monothéisme fidéiste, mais cela n’empêche pas que le dessein intelligent soit bancal, car fondé sur des inférences inopérables. On peut déconstruire le dessein intelligent à l’aide des arguments du chap.X de l’Enquête sur l’entendement humain – ce dont Hume ne se privera pas dans les Dialogues sur la religion naturelle, qui paraîtront après sa mort.

    – Cela dit, au chapitre XI de la même Enquête, Hume défend une vision de type épicurienne au sujet de la notion de providence. Vision dans laquelle les dieux ne se préoccupent pas du sort des mortels. Même si un Dieu existait pour Hume, ce Dieu n’interviendrait pas dans la vie commune, il ne serait qu’un créateur aux origines et non un acteur providentiel (si on suit la thèse du dessein intelligent), ou alors il serait un Dieu épicurien ne regardant pas les mortels. Ou encore un Dieu préférant que ses créatures soient épanouies, donc authentiquement vertueuses, plutôt que passant leurs temps en prières et en flatteries (c’est dans les derniers chapitres de l’Histoire naturelle de la religion).

    Ce qui rend les choses compliquées, c’est que Hume en dit beaucoup sans donner de conclusion claire.
    Tout dépend de l’accent que l’on donne à tel de ses écrits plutôt qu’à tel autre. Mais il semble effectivement peu probable que Hume ait été croyant.

  • « Une très bonne personne, sans doute… mais athée. »

    Heu ça voudrait dire que c’est mal d’être athé ?

  • « elles auraient pu lui coûter encore plus chères » ‘cher’ au lieu de ‘chères’

    l’argument selon lequel on pouvait être difficilement accuser d’hérésie quelqu’un… » ‘être’ est en trop

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