La crise de la dette révèle un grave problème de fonctionnement de nos démocraties, l’accusation portée contre les marchés n’étant pas justifiée.
Par Domi
Pour de nombreux commentateurs des médias, les marchés seraient responsables des problèmes de financement actuels des États. Même si cette responsabilité existait, serait-elle l’explication essentielle de la crise ?
Lorsque l’on vous a mis en garde contre le danger de glisser sa main à travers les barreaux de la cage où se trouve le lion, vous pouvez, au moment où vous êtes mordu, mettre en cause l’agressivité du lion, mais votre imprudence n’est-elle pas la raison principale de vos blessures ? N’étions-nous pas prévenus que l’accumulation des déficits conduirait immanquablement à la faillite dont nous sommes aujourd’hui très proches ?
Quant à la responsabilité des marchés elle-même, l’accusation qui la fonde est dénuée de sens. Les prêteurs potentiels, anticipant le fait qu’ils ne seront pas remboursés, cessent de prêter. Ceux qui portent une appréciation négative sur cette attitude fondent celle-ci sur l’arbitraire et l’incompréhension des mécanismes des crises de la dette. L’arbitraire parce que personne en particulier ne peut être jugé responsable de l’incapacité d’un État à se financer. Dans le cas de la Grèce, les non prêteurs sont bien plus nombreux que les prêteurs. Celui qui entend désigner un non prêteur particulier comme responsable de la crise grecque peut prêter ses économies au gouvernement grec.
On devine donc derrière cette critique que certains prêteurs potentiels seraient tenus de se sacrifier et de prendre tous les risques pour sauver la Grèce tandis que d’autres n’encourraient aucun reproche. À l’évidence, ce sont les riches ou les grandes institutions bancaires et financières qui sont visés par de telles attaques. C’est à eux qu’incomberaient tous les devoirs, ce sont eux qui devraient soutenir une société passive et spectatrice qui aurait tous les droits. Si les riches sont comme les autres, les légitimes propriétaires de leur argent, il peut sans doute exister des obligations morales, sans sanction juridique, associée à la grande richesse mais il est absurde d’inclure parmi ces devoirs l’obligation de prêter à un État en faillite pour le maintenir artificiellement à flot.
C’est absurde, tout d’abord parce qu’il y a des causes bien plus légitimes que soutenir l’irresponsabilité des dirigeants politiques des pays riches : il y a des pays où les gens n’ont pas de quoi se soigner ou se nourrir et ne jouissent d’aucune des libertés économiques qui leur permettraient d’améliorer leur sort. C’est eux sans doute que les riches devraient aider en priorité ainsi que les plus pauvres de leur propre pays.
C’est absurde ensuite parce que les riches ont des responsabilités dont la première est d’investir raisonnablement leur argent en évitant une faillite personnelle dangereuse par exemple pour leurs entreprises et les salariés qu’ils emploient. Dans le cas des banques, elles ont la responsabilité de gérer l’argent de leurs épargnants qui regarderaient d’un mauvais œil de telles initiatives.
C’est absurde enfin (et c’est ce en quoi ceux qui critiquent les marchés ne comprennent pas les mécanismes d’endettement des États), parce qu’une telle initiative aggraverait le problème des États surendettés.
Les crises de financement arrivent lorsque les investisseurs anticipent le fait qu’ils ne seront pas remboursés. D’où la question : si les marchés pouvaient ne pas faire de telles anticipations les crises pourraient-elles être évitées ? En économie fermée, l’endettement croissant conduirait à absorber une manne financière toujours plus importante au titre des charges de la dette (nous supposons qu’une augmentation des impôts n’est pas mise en œuvre pour rembourser l’accroissement des dépenses publiques lié aux engagements antérieurs). Or, les investisseurs ont d’autres choix pour leur argent que le prêter à l’État. Ils peuvent également l’investir pour financer le monde de l’entreprise ou pour consommer. Même si un filtre d’amour pour la dette publique persuadait les investisseurs, quels que soient les chiffres et la situation économique, que leurs prêts seraient remboursés aux taux prévus, il y a un moment où le montant des prêts deviendraient insuffisants, leur augmentation ne pouvant être indéfinie. Par exemple, si les prêts aux entreprises se faisaient plus rares pour faire la place au financement de la dette publique, la rémunération de ces prêts augmenterait, ce qui les rendrait plus attractifs et freinerait mécaniquement le financement de la dette. L’ultime barrière est que la consommation présente ne peut être réduite indéfiniment au profit d’un gain futur. En l’absence de toute faculté d’anticipation des marchés, l’effondrement d’une économie publique (ou privée d’ailleurs) fondée sur la dette étant inéluctable, le mieux, lorsque le redressement n’est plus possible, est qu’elle arrive au plus vite, les conséquences étant alors moins lourdes.
Une autre variété de ces argumentations absurdes est celle qui consiste à accuser la « dictature des marchés » qui priveraient les peuples de leur souveraineté. C’est oublier qu’un peuple souverain n’a pas de droit sur l’argent des étrangers non résidents sur le territoire national de ce peuple. Si cet argent ne vient pas, la responsabilité en revient à ceux qui ont placé le peuple sous une telle dépendance.
La question est alors de savoir si ce sont les dirigeants ou les populations qui ont fait les mauvais choix. À titre individuel, l’électeur aurait peut-être préféré voter pour un candidat ou un parti s’engageant à équilibrer le budget mais il n’en a peut-être pas eu la possibilité. La responsabilité reviendrait donc au personnel politique qui n’a pas su proposer d’autres solutions. Mais s’il ne l’a pas fait n’est-ce pas qu’il n’en ressentait pas le besoin au sein du peuple ?
Plus fondamentalement les crises de la dette révèlent un grave problème de fonctionnement de nos démocraties et leur dépendance à l’égard de la dépense publique.
L’accusation portée contre les marchés n’est pas justifiée.
A celui qui ne comprend pas qu’on puisse refuse de prêter : qu’il prête lui-même.