Hollande à l’Elysée fera des sudokus
Tout le monde le sent maintenant : la France est à un tournant. Les mois qui viennent devront marquer un profond renouvellement dans la vie de ce pays. Et il est parfois nécessaire de faire un exercice prospectif, soit parce que c’est courtoisement demandé (ici, par Val et l’Hérétique), soit parce que tout simplement, on veut réfléchir deux minutes à ce que pourrait donner le pays au cas où …
On se souviendra que j’avais déjà tenté un exercice s’en rapprochant, le 28 septembre dernier, en imaginant les différentes possibilités pour le second tour de ces élections présidentielles, tout en prenant les précautions d’usage.
On est en effet encore assez loin de ce scrutin final, et la situation, notamment économique, de l’ensemble du monde en général et de la France en particulier laisse présager des moments assez rock’n’roll qui empêchent toute certitude.
Pour l’exercice du jour, je vous propose de poser une hypothèse aussi hardie que justement elle est contraire à mon propre pronostic du 28 septembre dernier. Ce jour-là, j’envisageais en effet que Sarkozy serait réélu. Oublions donc ce résultat, et partons du principe que Babar l’autre pays du chômage a décroché la timbale (par exemple à la faveur d’un accord en béton armé avec Europe Eco-lol-gique comme le dit fort bien Gérard Mentor dans son billet à ce sujet).
Partant de cette hypothèse, force est de constater que le nouveau président se retrouve, dans le meilleur des cas, avec un pays au bord de l’asphyxie financière. Dans le pire, c’est un pays exsangue et déjà en défaut de paiement dont il hérite d’un Sarkozy bien trop heureux de lui filer la patate bouillante.
Sur le plan stratégique, du reste, on comprendra que Sarkozy, s’il doit perdre, a tout intérêt à rendre les clefs de l’Elysée alors que le pays peut encore payer ses dépenses courantes. L’échec complet est alors imputable, au moins en partie, au nouvel entrant, si celui-ci est au pouvoir depuis quelques mois lorsque le pire advient. Dans le cas contraire, les socialistes de gauche auront beau jeu d’accuser ceux de droite d’avoir saboté l’économie.
Comme on le comprend à l’évocation de ces événements économiques, je ne crois pas beaucoup à une amélioration sensible de la situation pour les caisses de l’état d’ici à mai 2012 : quand on voit que le FESF, normalement destiné à soutenir les pays membres de la zone euro, est déjà en difficultés et qu’il faut en recourir à de la tuyauterie financière digne d’un plombier de jeu vidéo (coucou Super Mario) pour arriver à lui trouver des fonds, on comprend que l’ensemble de l’opération “Sauvons l’Euro / Tous Ensemble, On Peut Y Arriver” est partie pour rencontrer un platane en descente avec le vent dans le dos au prochain virage.
Et c’est donc sans aucune espèce de surprise qu’on peut l’affirmer : le prochain président n’aura strictement aucune marge de manœuvre. Ou plutôt, les manœuvres qu’il pourra faire n’auront en réalité aucune incidence sur le résultat final, le point de non-retour ayant été dépassé depuis au moins 5 ans.
Dès lors, les différences entre Sarkozy et Hollande seront purement cosmétiques. De toute façon, aucun des deux n’a d’idées pratiques de ce qui pourrait limiter la casse ; pire : comme ces idées sont toutes issues de la boîte à outil libérale, que l’un comme l’autre se sont employés à tenir aussi loin que possible de toutes les mains du pouvoir, on peut être certains que la catastrophe continuera.
La seule question qui demeure alors est celle de la vitesse.
Car d’un côté, on a un frétillant crétin à peu près inculte en économie dont la seule prouesse a toujours consisté à brasser de l’air et nous le pomper simultanément, pour un résultat absolument nul ; les dernières gesticulations grecques, assorties d’un G20 aussi inutile que grotesque, sont une illustration limpide de son pouvoir de non-action.
Sarkozy dans un deuxième mandat, c’est l’assurance que l’absence de marge de manœuvre sera camouflée de un de ces nuages d’encre opaque que certains poulpes lâchent pour distraire leurs adversaires. Il n’est donc pas à exclure que la situation s’empire et que l’ensemble du peuple n’en soit absolument pas tenu au courant. Oh, les individus se rendront bien compte que la situation se dégrade énormément, mais on peut s’attendre à une phase de déni assez longue.
Pour résumer, nous irons très vite à la catastrophe, mais nous ne le saurons jamais clairement.
De l’autre côté, on a une aimable amibe, obstinée mais molle, et qui a l’insigne avantage sur son concurrent d’avoir déjà été frotté, même si de façon lointaine, à quelques notions d’économie.
Heureusement, la comparaison redevient d’emblée plus facile lorsqu’on lit ses dernières propositions et qu’on se rend compte que ces notions ne seront jamais mises à profit : comme dans n’importe quelle campagne électorale, le magasin de bonbons fait portes-ouvertes et chacun y trouve son compte à pas cher.
Et si l’on se replace dans le cadre de notre hypothèse de base, Hollande élu se retrouvera fort en peine de mettre l’une ou l’autre coûteuse lubie en action. Il sera, comme l’autre, cantonné aux décisions d’apparat ou celles sur du très long terme (comme poussoter mollement le retrait du nucléaire à 2050, moyennant la fermeture d’un ou deux réacteurs, et encore, pour faire patienter ses “alliés” verts qui lui claqueront de toute façon dans les doigts dès qu’ils le pourront).
En réalité, on le comprend bien : tant Hollande que Sarkozy sont aussi adaptés à la situation qu’un vélo à un poisson rouge (avec lequel ils entretiennent le même lien étroit concernant la mémoire).
Aucun des deux ne pourra, le moment venu, se retourner vers les Français et appeler, dans un élan rhétorique puissant, à une union nationale ou à taire les querelles intestines.
Sarkozy n’a toujours existé qu’en clivant (aussi stupide le sujet du clivage soit-il), ce qui est exactement aux antipodes de ce qu’on attend d’un leader que tout le monde pourrait suivre en cas d’urgence.
Quant à Hollande, on peine à voir en lui l’homme providentiel. La démonstration de cette semaine en dit suffisamment long sur ses capacités de rassemblement, qui s’apparentent clairement à du petit bricolage politicien, avec en plus cette maestria assez consternante dans le ratage de la bidouille, médiatisation incluse. Tout ce qu’il évoque de façon persistante est un sentiment d’ennui. On ne peut s’empêcher de l’imaginer faisant des sudokus, ronchonnant vaguement pendant que le courant est coupé à l’Elysée pour cause d’impayés massifs.
En tenant compte de tout ça, je ne peux que vous conseiller la même occupation en avril et en mai 2012.
—-
Sur le web
Non !
Il faut voter, non pas parce que c’est un “devoir citoyen” mais parce que notre vote légitime nos futures critiques….
Pas d’accord : voter signifie cautionner le système politique actuel, le scandale des 500 signatures, la honte de la représentativité non proportionnelle à l’assemblée nationale, etc…
« mais parce que notre vote légitime nos futures critiques…. »
Ah bon ? En quoi ? Y-a-t’il une règle qui dit « pas de vote, pas de critique » ?
Comme dit Alain, voter signifie accepter les règles imposées par l’establishment et reconnaître sa propre défaite.
Si on ne vote pas, c’est qu’on refuse de s’exprimer, quel que soit le sens.
Voter ne signifie pas qu’on cautionne le système mais qu’on respecte la règle. A charge pour celui qui veut modifier le processus du vote de le faire après avoir été élu.
Sinon c’est de l’anarchisme.
«Si on ne vote pas, c’est qu’on refuse de s’exprimer, quel que soit le sens.»
Qui a dit ça ?
Eh bien, refuser de s’exprimer, n’est-ce pas encore exprimer quelque chose ?
Les votes blancs ne comptent pas.
Mais nous sommes déjà en situation d’anarchie, elle est tout simplement institutionnalisé.
D’accord mais pour changer le système il faut en respecter les règles établies pour pouvoir les changer.
Ne pas voter légitime également nos futures critiques!
Nos “futures critiques” ressortiront, comme toute critique, de la liberté d’expression, qui est un droit individuel fondamental et non conditionné par qui je suis et ce que je fais. La seule chose qui légitime ou non une critique, c’est sa pertinence.
“Ou plutôt, les manœuvres qu’il pourra faire n’auront en réalité aucune incidence sur le résultat final, le point de non-retour ayant été dépassé depuis au moins 5 ans. ”
Je ne suis pas d’accord sur ce point: la dette correspondait à 65% du PIB quand Sarkozy est arrivé au pouvoir, et va représenter plus de 90% en 2012. Si en tant que minarchiste, 65% du PIB, c’est 6500 points de base de trop(!), le poids de la dette aurait été acceptable pour un président non-libéral et non-keynésien.
Ce à quoi tu me répondras que de nombreux autres éléments te permettent d’étayer tes propos, comme les déficits publiques chroniques, le poids du secteur public, les barrières que le gouvernement met à l’encontre des entrepreneurs, et caetera…
Pour être précis, je pense que le point de non retour a été passé en décembre 1995 (donc bien plus de 5 ans, d’où le “au moins”). A cette date, le gouvernement Juppé à lamentablement lâché devant les syndicats, entérinant de façon certaine qu’aucune réforme même minime des systèmes sociaux français ne serait jamais possibles.
Depuis cette date, tout volontarisme, tant de la droite que de la gauche, s’est évaporé. Le pays a été à l’arrêt total en matière de remise en cause des systèmes sociaux que le monde se garde bien de nous envier.
C’était le dernier moment où, en France, on a tenté quelque chose. Et depuis, patatras.
1995. C’est certainement un jalon marquant dans le “CPEF”. Mais au fond, je crois que ce pays est foutu depuis qu’on est passé de la révolution à la terreur.