Les « indignés » : origines, fonctions et impacts sociaux

Quelques pistes de réflexion sur le mouvement des indignés

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Manifestation Occupy Wall Street (Crédits : David Shankbone, licence Creative Commons)

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Les « indignés » : origines, fonctions et impacts sociaux

Publié le 23 octobre 2011
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Contre la crise et la finance mondiale, les indignés, mouvement dynamique de la société civile prenant une dimension planétaire avec des dizaines de milliers de manifestants à travers le monde, suscite intérêt, inquiétude mais surtout interrogations. En effet, leurs revendications pointant les échecs d’une sphère étatique oppressante et en échec, ne risquent-elles pas d’être phagocytées par des mouvements extrémistes dont les objectifs vont à l’encontre des solutions attendues par les indignés eux-mêmes ?  Quelques pistes de réflexion.

Par Nicolas Madelénat di Florio
Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique.

Le philosophe, s’il a forgé son esprit dans la lecture, et l’enseignement des Anciens ne peut se borner à condamner par principe les courants minoritaires. Somme toute, depuis Socrate, la majorité peut avoir, et a souvent, tort. Pourtant, ne repoussons pas la démocratie qui, comme le disait Friedrich August von Hayek au sujet du capitalisme, n’est pas le meilleur des systèmes mais est, probablement, le moins préjudiciable à l’Homme (ou tend à le devenir à force d’adaptations, forcément catallactiques, aux attentes permanentes des individus qui le composent).

Le titre du présent article se veut, volontairement, équivoque. La raison en est assez simple : la situation portée à l’analyse est d’une complexité rare, mais n’en demeure pas moins réductible en deux grands groupes, complémentaires, au sein desquels seront rangées les données. D’une part, ce qui se voit (analyse factuelle – la situation), et de l’autre ce qui ne se voit pas (analyse déductive et spéculative – les raisons sociales et anthropologiques de pareils mouvements).

Ce qui se voit

Interrogés par la foule, croissante, des journalistes présents à leurs cotés, les indignés, au départ cantonnés à l’Europe, puis au monde, répondent, dans leur grande majorité, à un besoin : contre la Crise et la finance mondiale. L’idée n’est pas mauvaise ; nul système n’étant parfait et tous étant perfectibles. La méthode, quant à elle, peut prêter à confusion quant aux finalités réelles de pareils mouvements ; alors qu’une majorité défile dans les rues d’un nombre toujours plus important de pays, une minorité violente, souvent anarchiste, saccage et pille ce qu’elle considère comme étant les symboles du pouvoir capitaliste (à Rome, les manifestants ont détruit sans distinction banques, restaurants fast-food…). Il faut donc souligner, en guise de tris liminaire, la distinction entre les manifestants spontanés (ceux qui rejoignent le mouvement sans préalable organisé : ils apprennent qu’une manifestation est organisée dans leur ville et décident de s’y rendre) et les manifestants organisés (lesquels appartiennent souvent à des syndicats révolutionnaires, des groupuscules politisés voire des cellules actives à finalité insurrectionnelle).

Ce qui ne se voit pas

La partie politisée, minoritaire, est mise de coté dans cette analyse. Un marxiste dont la pensée politique présuppose une révolution, au sein du mouvement des indignés, doit être écarté de notre propos. Il n’a pas pensé, organisé, puis engendré les rassemblements. De plus, sa structure intellectuelle est déjà connue ; le système social (au sens d’ensemble de valeurs et de codes propres à son groupe d’appropriation mimétique – celui dont il se réclame, dont il a assimilé les usages sociaux pour l’intégrer et y être reconnu) qui l’a engendrée ne concerne pas le cadre de la présente lecture. Nous devons nous borner aux citoyens qui, spontanément, se sont joints aux cortèges des manifestants voire qui ont participé, spontanément encore, à des actions à vocation symbolique (songeons à l’occupation de Wall Street, aux États-Unis par exemple).

Le caractère spontané de pareil mouvement est intéressant et fait écho à un auteur (Gianbattista Vico) qui, en 1854, écrivait qu’homo non intelligendo fit omnia (« L’Homme est devenu ce qu’il est sans comprendre ce qui se passait »). Ce fragment de pensée, même s’il ne faut pas oublier que nulle idée n’est jamais neutre et que sa compréhension passe, impérativement, par la nécessité de la replacer dans le système dont elle provient (Émile Bréhier, Histoire de la Philosophie), met en exergue l’existence de deux grandes strates d’échanges catallactiques [1] au sein des sociétés humaines.

La première, la plus immédiatement perceptible, est celle qui permet aux indignés de se définir par opposition à un système financier et bancaire qu’ils rejettent. Or, il n’est pas possible de s’opposer à un système vague, à un ensemble de notions, tout en affirmant une identité propre, ou évolutive. Ainsi, l’impératif définitionnel individuel doit être ancré dans une approche collective restreinte : ils sont un nouveau groupe, le groupe des indignés. La seconde, plus diffuse mais présente en chacun, est composée d’un ensemble de traits « humains », la sagesse des temps, lesquels peuvent participer à la composition de l’Éthique, par exemple (comme le respect de la vie ; sa transgression ayant vocation sacrificielle, de la peine de la mort institutionnalisée par la Justice à des rapports purement religieux).

L’identité de ce collectif spontané, en tant que nouveau groupe social, même temporaire, et créé involontairement par la somme des individualités opposée à une identité autre assez floue (l’idée que les sociétés humaines ont en général du système bancaire et financier) présupposait une crise profonde ébranlant non pas une mais des sociétés différentes, tant socialement que géographiquement placées. L’érection de ce nouveau modèle de personne est la conséquence de la cassure, du clivage intellectuel, traditionnel entre les pro-mondialisations et les contra-mondialisation. L’indigné spontané n’est pas le hippie altermondialiste que l’on se plait à présenter durant les journaux télévisés ni le révolutionnaire à la petite semaine qui rêve d’un nouveau printemps des peuples version maoïste ; il est, en termes d’images sociales, tout un chacun, et personne en même temps, du père de famille craignant pour l’avenir de sa famille s’il devait perdre son travail en passant par le jeune engagé en politique qui ne trouve plus dans l’échange catallactique les échos structurels lui permettant de se construire (la personne en construction n’apprend pas par l’appropriation directe de règles sociales ; elle ne reçoit pas, par exemple, de « code de bonne conduite sociale » mais capte, par l’observation inconsciente des comportements qui l’entourent, les manifestations de ses codes, d’où l’idée d’écho structurel).

Vient donc se rajouter, grâce à la Crise mondiale, une image nouvelle dans l’exemplier d’appropriation à finalité structurante de l’esprit humain : le mauvais financier responsable de tous les maux. Il n’est pas ici question de dénigrer la finance mondiale, ce serait ridicule et hors de propos. Le mauvais financier, d’ailleurs, n’est pas une personne ; il n’a ni nom ni visage. Il n’est qu’un flou, une ombre sociale dont les contours, vagues, se dessinent dans un imaginaire particulier (un presque-inconscient collectif) partagé par un nombre croissant d’individus. Par l’échange permanent d’informations, via les média, les réseaux sociaux, les voies traditionnelles de communication, le tout formant une partie de la catallaxie, les humains ont engendré ce masque monstrueux, cette persona mystique [2]. Il est, pour un temps, celui qui va canaliser la haine et les responsabilités d’une classe politique souvent plus irresponsable que respectueuse des générations futures (crise de la dette publique, beaucoup plus nuisible aux Peuples que les emprunts consentis par des banques souvent sous contrôle étatique). Les frustrations individuelles, les craintes partagées d’un avenir compromis, la peur croissante en la montée de la pauvreté par un ralentissement d’une économie dont des pans entiers pourraient bien s’écrouler, le tout sur fond de méconnaissance du système entretenue par ceux qui en profitent, voici le terreau favorable à un phénomène bien connu des anthropologues girardiens : la victimisation d’un coupable présumé aboutissant à l’avènement d’un bouc-émissaire.

Et c’est contre ce guignol social, cette projection de nos peurs et de nos craintes, que se dressent les indignés spontanés. Pourtant, leur rôle anthropologique dépasse celui des révolutionnaires à qui plusieurs historiens trouvent des utilités ; nous sommes loin de Don Quichotte pourchassant des moulins et tentant d’y découvrir des géants sous les ailes de toile. L’indigné est le fruit d’un processus social qui lui échappe ; il est le thermomètre d’une structure spontanée déréglée par des interventions nuisibles, qu’elles soient le fruit de la haine du libre-échange prôné dans les Écoles, ou la désinformation politique cherchant à maximiser son potentiel électoral.

S’il faut pacifier la minorité violente par des moyens coercitifs, il faut laisser les indignés spontanés s’exprimer et porter, à leur tour, les pierres sociales que l’on aurait attachées, dans un temps biblique, au bouc-émissaire historique avant de le forcer à aller mourir dans le désert.

Aux altermondialistes de voir dans l’augmentation des protestations populaires la fin d’une époque ou la mort d’un système. Il faut répondre par un sourire amusé, comme on pardonne à un enfant de ne pas saisir la réalité des adultes. Eux aussi sont les artefacts d’une pensée générale, hors d’atteinte, et de manipulations souvent politiques ou à finalités politiciennes. Par ces biais sociaux, le système généralisé, consubstantiel à des milliards d’individus aux choix différents, à la temporalité décalée, et aux finalités individuelles ou d’un caractère collectif restreint, assure sa pérennité et ses évolutions. Tout comme la fièvre est un moyen de soigner le corps, les indignés spontanés sont une agitation temporaire, naturelle, et profitable. Pourtant, il ne faut pas diminuer la portée de leur message, socialement incontournable : les peuples veulent savoir, ils veulent comprendre ; ils ne condamnent pas tant le système que ceux qui entretiennent les murs les privant de liberté. Ô peuples libres, n’oubliez pas que les Gouvernements prophètes et les leaders charismatiques sont légion ; n’oubliez pas que rien ne pousse dans la haine. N’exigeons qu’une chose de nos hommes et femmes politiques : la transparence parfaite.


Sur le web

Notes :
[note][1] Catallaxie : par les échanges continuels de l’Homme avec ses semblables, par ses choix individuels, lesquels peuvent aboutir soit à des institutions, des pratiques partagées par un groupe social, soit orienter les choix des autres, les individus forment une sorte de réseau. Ce réseau est appelé, ici, réseau d’échanges catallactiques.

[2] Le terme persona désigne, en latin, le masque et par extension sémantique la personnalité juridique.[/note]

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