La résistance du marché face à la toute puissance de l’État

N’en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l’État, la réalité c’est le marché

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La résistance du marché face à la toute puissance de l’État

Publié le 12 septembre 2011
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L’État dispose du monopole de la coercition et à ce titre, il peut presque tout. Mais quels que soient les pouvoirs de l’État, il n’en reste pas moins contraint par la réalité. Et n’en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l’État, la réalité c’est le marché et ses lois qui s’imposent au planificateur.

Par George Kaplan

Yuri Maltsev

Yuri Maltsev [1], un des membres de l’équipe chargée de préparer la perestroïka, nous rapporte une anecdote amusante. Ça se passe en 1986, quand Mikhaïl Sergeyevich Gorbatchev, sixième secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, lance une grande campagne destinée à combattre les « revenus malhonnêtes » – c’est-à-dire tous les revenus autres que les salaires officiels versés par le gouvernement. Le fait est qu’à cette époque, le marché noir est absolument partout en URSS : les bureaucrates du parti chargé d’appliquer la réforme devront passer des milliers de jardin potagers au bulldozer pour tenter de mettre fin au commerce illicite de fruits et légumes.

Une des mesures de cette campagne prévoyait de contrôler strictement les prix dans les magasins coopératifs de manière à ce qu’ils ne s’écartent pas des prix pratiqués dans les magasins d’État. Par exemple, la viande de bœuf était supposée coûter 4 roubles par kilo tandis que la viande de lapin devait se vendre 3 roubles le kilo [2]. À l’annonce de cette mesure, Maltsev raconte que sa première pensée fût que les viandes de bœuf et de lapin allaient rapidement disparaître des étals tant le prix fixé par le planificateur était ridicule comparé au prix du marché (noir).

Après une vérification sur le terrain, Maltsev vérifie qu’effectivement, il est devenu absolument impossible d’acheter du lapin ailleurs que sur le marché noir où son prix, qui reflétait désormais le risque que prenait le vendeur en se livrant à cette activité, avait considérablement augmenté. En revanche, l’économiste fut extrêmement surpris de constater que la viande de bœuf restait disponible sur les marchés officiels. Voici le truc : vous pouviez effectivement acheter un kilo de bœuf pour 4 roubles mais, dans le kilo en question, vous aviez aussi un gros os de bœuf de telle sorte que finalement, vous aviez bien acquis pour 4 roubles de viande de bœuf au prix du marché (noir). Et comme il était impossible de trouver suffisamment d’os dans un lapin pour compenser l’écart entre le prix de marché et le prix officiel, la viande de lapin avait disparu des étals.

Dans un article sous-titré « L’État ne peut pas rien », Élisabeth Levy regrette que nos gouvernements aient perdu tout contrôle de l’économie et appelle de ses vœux un « G20 du volontarisme à l’issue duquel nos gouvernants prendraient collectivement les mesures qui s’imposent et réaffirmeraient leur autorité. »

Élisabeth a raison de dire que l’État ne peut pas rien. L’État, c’est sa définition, dispose du monopole de la coercition et à ce titre, il peut presque tout. L’État peut non seulement « règlementer les activités bancaires » mais il peut aussi nationaliser du jour au lendemain toutes les banques [3]. L’État peut non seulement « interdire certaines opérations financières » mais il peut tout aussi bien fermer définitivement les marchés financiers. L’État peut non seulement « rééquilibrer le rapport de forces entre actionnaires et salariés » mais il peut aussi fixer les salaires et interdire les bénéfices. L’État peut non seulement « lutter contre le dumping social ou fiscal » mais il peut avec la même facilité fermer nos frontières de manière parfaitement étanche dans un sens, dans l’autre ou dans les deux. Tout ceci – et bien plus – l’État peut le faire ; il suffit que les hommes et les femmes qui le dirigent le décident.

La question n’est pas de savoir si l’État peut ou ne peut pas légiférer, contrôler, inciter et contraindre ; ça n’a jamais été le problème. Le vrai problème, tel qu’il a toujours été, consiste à comprendre et à anticiper les conséquences des législations, des contrôles, des incitations et des contraintes. Les moyens mis en œuvre sont-ils adaptés aux fins cherchées ? En 1986, les pouvoirs dont disposait l’État soviétique étaient pratiquement sans limites mais ce qu’illustre la petite anecdote de Maltsev c’est que quels que soient les pouvoirs de l’État, il n’en reste pas moins contraint par la réalité. L’Union soviétique ne manquait ni de volontarisme, ni de coordination mais les moyens mis en œuvre n’étaient tout simplement pas adaptés aux fins cherchées.

Le discours politique, à de très rares exceptions près, ne restera jamais rien d’autre qu’une suite de mots mis bout à bout par un politicien qui cherche à nous vendre du rêve contre notre suffrage. Chaque politique volontariste est une nouvelle rustine destinée à colmater les fuites provoquées par les politiques volontaristes précédentes et qui provoqueront bientôt elles-même de nouvelles fuites que nous devrons à leur tout colmater avec de nouvelles politiques volontaristes. C’est le cycle sans fin d’autojustification de l’intervention publique qui déclenche des crises, les attribue au marché et recommence.

N’en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l’État, la réalité c’est le marché. Même en Union soviétique, le marché existait toujours et ses lois continuaient à s’imposer au planificateur. La raison en est très simple : c’est que le marché, voyez-vous, c’est nous ; le marché c’est le produit de nos réflexions, de nos raisonnements et de nos actions. Tant que les êtres humains disposeront d’une volonté propre et seront disposés à coopérer pacifiquement entre eux, aucune politique, aussi volontariste et coordonnée soit-elle, ne pourra jamais réussir à s’affranchir de cette réalité. Simplement : ça ne fonctionnera pas, les moyens mis en œuvre ne seront pas adaptés aux fins cherchées.

—-
Article original titré « L’État peut tout, notamment le pire » sur le blog de l’auteur, reproduit avec son aimable autorisation.

Notes :
[note][1] Mais qui avait la particularité de s’être intéressé de très prêt aux écrits des économistes libéraux et notamment ceux de Ludwig von Mises.

[2] On sait depuis que la plupart des prix en URSS étaient fixés en se fondant sur les échelles de valeurs de l’ouest capitaliste – le catalogue de la Redoute, entre autres, fût d’un grand secours pour le planificateur.

[3] Par exemple, début 2009, l’Etat Irlandais a nationalisé Anglo Irish Bank sans verser un centime de dédommagement à ses actionnaires.[/note]

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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François Kersaudy est un auteur, historien reconnu, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale et de l’histoire diplomatique. Auteur de De Gaulle et Churchill (Perrin, 2002), De Gaulle et Roosevelt (Perrin, 2004), il a aussi écrit une biographie de Churchill pour Tallandier, et une autre consacrée à Lord Mountbatten pour Payot. Il est aussi l’auteur d’ouvrages consacrés à l’Allemagne nazie.

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