Christo, un artiste réellement libre

Pour plusieurs, l’artiste libre est celui qui réussit à vivre de son art sans avoir à faire de compromis

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Christo, un artiste réellement libre

Publié le 23 juillet 2011
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De Montréal, Québec

Pour plusieurs, l’artiste libre est celui qui réussit à vivre de son art sans avoir à faire de compromis. Il est « libre » lorsqu’il vit sans jamais avoir à se préoccuper de la demande pour ses œuvres. Comme personne ne vit que d’amour et d’eau fraîche, une telle « liberté » vient manifestement accompagnée de subsides publics et d’une obligation de produire de la paperasse – il faut bien remplir des formulaires pour obtenir des fonds publics.

Dans cette perspective, le summum de l’artiste « libre » serait donc le type qui n’a jamais eu à vendre ses œuvres sur le marché et qui enseigne dans le secteur public. Il n’a pas à se préoccuper de ce que les consommateurs veulent et ne fait uniquement que ce qu’il lui plaît. Évidemment, il n’y a rien de mal à ne faire que ce qui nous plaît, tant et aussi longtemps que cela n’implique pas une tierce partie – en l’occurrence, les contribuables.

Comme il n’a pas à satisfaire les goûts d’éventuels clients, mais doit faire affaire avec des fonctionnaires dont le mandat est de redistribuer la richesse à partir de critères préétablis, notre artiste « libre » vit souvent dans une bulle. En résultent des séries de monochromes, de la poésie incompréhensible, des installations bidons, des symphonies cacophoniques… autant de biens culturels dont seule une infime partie de personnes « éclairées » (et souvent en moyen) veulent.

Encore une fois, qu’un artiste réalise ce genre d’œuvres hermétiques et qu’il les finance avec son argent – ou celui de sa blonde –, personne n’a rien à redire. Le problème est que plusieurs artistes le font aux frais de contribuables qui: 1) l’ignorent; 2) n’entreront jamais en contact avec leurs « œuvres »; et 3) n’en voudraient pas même si on leur offrait ces œuvres gratuitement.

Emballant

Vous voulez voir à quoi ressemble un artiste réellement libre? Rendez-vous sur le moteur de recherche le plus près de chez vous et tapez « Christo ». Vous le connaissez peut-être. Reconnu internationalement, le natif de Bulgarie a passé plus de 40 ans à emballer des édifices ou d’énormes structures (le Pont-Neuf à Paris, une allée de Central Park à New York, ou le Reichstag à Berlin, pour ne nommer que ceux-là) de toiles de couleurs vives.

Avec son épouse Jeanne-Claude (maintenant décédée), il a créé des Å“uvres éphémères « célébrant la joie et la beauté », sans jamais exiger de prix d’entrée pour le spectacle. Fait à noter: Christo et Jeanne-Claude n’ont jamais accepté – et Christo dit qu’il n’acceptera jamais – de subventions, de redevances, ou de commandites de toutes sortes pour créer leurs Å“uvres. De même, ils n’endossent aucune entreprise, produit, mouvement politique, autre artiste, bref: rien ni personne.

« Toutes nos idées sortent de notre tête et de notre cÅ“ur, affirmait Jeanne-Claude dans une entrevue à La Presse en 2008. À ceux qui voudraient nous attirer dans leur ville, nous répondons que la meilleure façon de tuer une bonne idée c’est de nous la proposer. Nous voulons faire ce que nous voulons, comment nous le voulons. Le seul élément sur lequel nous n’avons aucun contrôle c’est quand. Pour le reste nous demeurons entièrement et totalement libres. » – ce qui est une bonne chose, car un mégalomaire du type Régis Labeaume à Québec pourrait se mettre en tête d’inviter l’artiste à venir emballer le Château Frontenac ou un éventuel amphithéâtre (!) aux frais de ses concitoyens…

Il ne doit pas rouler sur l’or, que vous vous dites? Eh bien détrompez-vous! Christo jongle avec les millions. Comment fait-il? Tous ses revenus sont tirés de la vente de ses œuvres originales (croquis, photographies, plans) à des collectionneurs, des galeries et des musées. Christo et Jeanne-Claude ont toujours maintenu une position de liberté artistique totale, sans contraintes ou considérations financières.

À titre d’exemple, Christo travaille depuis une vingtaine d’années sur le projet Over The River (Au-dessus de la rivière). Il s’agit en gros de suspendre 5,9 milles (9,65 Km) de panneaux de tissu transparent à 25 pieds (7,62 mètres) au-dessus d’une portion de 42 milles (67,59 Km) de la rivière Arkansas située entre Salida et Canon City, dans le centre-sud du Colorado.

Avant même d’avoir reçu le feu vert des autorités locales, il a d’ores et déjà dépensé 7 millions de dollars sur des éléments de logistique – permis, études, plans, etc. Si tout va bien, il espère présenter Over The River pendant deux semaines consécutives en août 2014. Le coût total de l’événement: environ 50 millions $ (ce qui comprend l’installation, la désinstallation, les différents services durant l’exposition – le contrôle de la circulation, l’enlèvement des ordures, la sécurité, les interventions d’urgence, etc.).

Comme on le voit, le projet avance à pas de tortue. Dans un article publié le mois dernier dans le New York Times, on apprend qu’une décision finale est attendue en août ou en septembre. Entre-temps, le débat se poursuit sur le terrain entre les tenants du projet et ses opposants (il y en a plusieurs des deux côtés).

Par exemple, les dirigeants de la Colorado Wildlife Commission viennent de décider à l’unanimité d’exhorter les autorités fédérales à rejeter la proposition, en citant en partie leurs préoccupations concernant le mouflon d’Amérique, un animal à cornes qu’on retrouve au Colorado: « Est-ce que l’expression artistique est plus importante qu’un écosystème? », se demande M. Robert Streeter, vice-président de la commission, qui craint pour le bien-être des bêtes.

Les opposants citent d’autres raisons pour rejeter le projet, y compris le bruit et les émissions de gaz des voitures occasionnés par le va-et-vient des travailleurs et l’impact potentiel sur les oiseaux et les chauves-souris qui pourraient se prendre dans la toile, se blesser ou même se tuer en volant dans les fils de soutien exposés lors de la construction.

De leur côté, les partisans, dont fait partie l’actuel gouverneur du Colorado, John W. Hickenlooper, disent que le projet est bon et qu’il aidera à accroître la visibilité de l’État auprès des amateurs d’art en tant que destination touristique. De plus, ils soulignent que les mouflons ne sont pas une espèce menacée: leur nombre est estimé à environ 6 900 dans le Colorado et environ 70 000 dans tous les États de l’Ouest.

Daniel J. Larkin, un ancien président de la Rocky Mountain Bighorn Society, un groupe de conservation à but non lucratif, a soutenu que l’installation avait le potentiel d’affecter des « centaines » de bêtes sauvages. « Les mouflons sont une espèce sensible au stress et sont susceptibles aux mortalités massives lorsque les conditions ne leur sont pas favorables », a-t-il écrit dans une lettre adressée aux gestionnaires des terres fédérales.

Une éventualité que réfute Merle Baranczyk, le rédacteur en chef du Mountain Mail, un journal de Salida, qui note qu’il y a déjà une voie ferrée et une autoroute sur laquelle circulent plusieurs poids lourds en parallèle de la rivière, et que les animaux sont donc déjà exposés aux perturbations humaines.

Jusqu’à présent, les biologistes chargés d’évaluer l’effet potentiel du projet sur le mouflon d’Amérique ont adopté une approche prudente. Dans une étude d’impact environnementale, ils notent que les effets du projet sur l’animal sont « manifestement inédits et donc imprévisibles ». Reste à savoir si le mouflon tolérera la présence de panneaux de tissu, suspendus à 25 pieds dans les airs, lorsqu’il approchera de la rivière pour y boire…

Christo et nous

Tout cela pour dire que si Christo a réussi à se tailler une place plus qu’enviable dans le marché de l’art visuel en emballant de gros objets dans de la toile de couleur, tous ces artistes qui grattent la guitare, peignent, dansent, écrivent et qui ne réussissent pas à se trouver un public prêt à les financer, n’ont qu’eux-mêmes à blâmer (et peut-être devraient-ils se trouver autre chose à faire, ou garder leur job de jour).

Christo fait ce qu’il veut sans pour autant faire payer ses factures par l’ensemble des contribuables. Il réussit à créer des œuvres dont le coût s’élève souvent à plusieurs millions de dollars et il s’autofinance. C’est extraordinaire! Et, comme je le mentionnais dans un billet sur le Blogue du Québécois Libre en 2008, on ne parle pas ici de produits culturels faciles à vendre – comme des disques de musique pop ou des spectacles d’humoristes –, on parle d’art visuel.

Tous ceux qui nous répètent ad nauseam que sans l’État et ses subventions il n’y aurait pas d’art peuvent aller se rhabiller. Si un artiste en art visuel comme Christo peut trouver un marché pour des œuvres aussi pointues et vivre de son art, tous nos chanteurs, nos romanciers, nos danseurs, nos peintres, nos sculpteurs, nos poètes, nos comédiens, nos réalisateurs, etc., le peuvent aussi.

Un article du Québécois Libre

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