La fin du capitalisme

Quand Schumpeter constatait l’avènement irrésistible du socialisme

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Schumpeter

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La fin du capitalisme

Publié le 2 mai 2011
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Par Vladimir Vodarevski.

Joseph Schumpeter considère l’entrepreneur comme l’élément moteur de l’évolution capitaliste. C’est lui qui met en œuvre les innovations qui provoquent les cycles de croissance.

Or, dans son ouvrage Capitalisme, socialisme et démocratie, Schumpeter considère que l’évolution capitaliste est susceptible d’entraîner la disparition de l’entrepreneur.

Cependant, précisons qu’il ne s’agit pas d’une prédiction. Dans la préface de la seconde édition de cet ouvrage, Schumpeter se défend de tout défaitisme : il présente un constat à un moment donné. Les populations peuvent réagir à ce constat.

D’autre part, il ne se livre pas à une critique du capitalisme. Il est favorable à ce système. Quant à ce qu’il pense du socialisme, système vers lequel nous nous dirigeons selon lui, ce ne sera pas évoqué dans cet article, car l’analyse du socialisme par Schumpeter est très fouillée

Capitalisme, socialisme et démocratie a été publié pour la première fois en 1942. Il est donc intéressant d’énumérer les causes de la disparition de l’entrepreneur, générées par le capitalisme, et identifiées par Schumpeter, et d’examiner ce qu’il en est aujourd’hui, 70 ans plus tard.

Toutes les causes de cette disparition présentées ici proviennent donc du capitalisme lui-même. Ce dernier détruit donc les conditions même de son existence.

Les mécanismes qui provoquent la disparition de l’entrepreneur peuvent être classés en trois catégories (qui sont de mon cru, Schumpeter n’ayant pas opéré cette classification).

Les différentes causes influent les unes sur les autres. L’ordre dans lequel elles sont présentées n’est donc ni chronologique, ni graduel. (Les citations proviennent de Capitalisme, socialisme et démocratie, édition Payot, 1951, 1990.)

 

L’argumentation de Schumpeter

L’entrepreneur et l’utilité des principes du capitalisme perdent en visibilité

L’une des causes de la disparition de l’entrepreneur est que celui-ci apparaîtra comme moins utile, de même que les principes qui sont favorables à son action.

Ce qui est en cause, c’est le développement, dans le sillage du capitalisme, de très grosses sociétés dans lesquelles sera employée la majeure partie de la population active à long terme.
Dans ces grosses sociétés, le progrès technique est mécanisé. Le rôle de l’entrepreneur comme apportant des ruptures n’apparaît donc plus aux yeux des populations employées dans ces grands groupes.

D’autre part, dans un grand groupe, l’utilité du cadre institutionnel du capitalisme est perdu de vue. En effet, les dirigeants des grands groupes ne sont pas des entrepreneurs, juste des salariés. Les actionnaires ne sont pas non plus des entrepreneurs. Ils ont juste fait un placement. Ces deux catégories n’ont pas le même rapport de propriété à l’entreprise que l’entrepreneur.

Par ailleurs, au sein d’une grosse entreprise, ou même entre les entreprises, les relations sont de plus en plus normées par des contrats types ou des règlementations.

La liberté de contracter, essence du capitalisme, est donc perdue de vue. Son utilité également par conséquent.

Ainsi, l’évolution du capitalisme vers de grosses entreprises et davantage de réglementation engendre une évolution où l’utilité de l’entrepreneur est moins visible, de même que les principes de propriété et de liberté de contracter.

 

Le capitalisme soutient ses opposants

Schumpeter remarque que la société capitaliste est la plus tolérante envers ses opposants, et même qu’elle les soutient.

En effet, les sociétés pré-capitalistes ne toléraient pas la critique. L’opposant au féodalisme, à la monarchie absolue, risquait gros. Voltaire lui-même, par exemple, qui savait si bien jouer avec les limites, habitait près de la frontière, pour se mettre à l’abri en peu de temps.

Au contraire, le capitalisme soutient la liberté d’expression. Car pour la classe bourgeoise, fondement du capitalisme, « les libertés qu’elle désapprouve ne sauraient être anéanties sans que soient également anéanties les libertés qu’elle approuve. » (p. 204)

Ce principe laisse le champ libre aux intellectuels, « ceux qui sont les professionnels de l’agitation sociale » (p. 198).

« Le groupe intellectuel ne peut se retenir de grignoter [les institutions], car il vit de ses critiques et il ne peut affermir sa position qu’à coup de banderilles ; enfin, la critique au jour le jour des personnes et des événements doit, dans une société où rien n’est plus tabou, fatalement dégénérer en critique des classes et des institutions. » (p. 205)

Ajoutons que le progrès capitaliste facilite la diffusion des critiques en la rendant moins onéreuse grâce aux progrès techniques, dans l’imprimerie et la radio notamment.

 

L’évolution des classes sociales

L’évolution du capitalisme chamboule totalement les classes sociales. D’abord, elle provoque la disparition progressive des aristocrates, et le développement de la bourgeoisie.

Or, selon Schumpeter, les aristocrates sont plus aptes à la direction d’un pays. Ils sont davantage capables de défendre des principes, de clouer le bec d’un contradicteur. Par conséquent, ils sont plus aptes que les bourgeois à défendre les institutions, les principes capitalistes.

D’autre part, la bourgeoisie, pourtant issue du capitalisme, change également avec lui. Schumpeter cite ainsi la désintégration de la famille bourgeoise comme cause de disparition du capitalisme.

On ne se met plus en couple forcément pour fonder une famille, avoir des enfants, et les obligations que cela suppose. Les bourgeois arbitrent entre les obligations familiales, qui exigent des sacrifices, et les plaisirs immédiats.

De même, le symbole de la famille bourgeoise, la maison bourgeoise, avec le train de vie correspondant, le personnel correspondant, est en voie de disparition. Les bourgeois préfèrent aller au restaurant, et habiter en appartement. (Schumpeter écrit dans les années 1930, rappelons le).

Or, selon Schumpeter, l’homo œconomicus étudié par les économistes est l’homme dont « les opinions et les volitions étaient modelées par un tel foyer et qui se proposait primordialement de travailler et d’épargner pour sa femme et ses enfants » (p 217, caractères en italique dans le texte).

La famille bourgeoise impliquait donc des besoins financiers élevés, et une vision à long terme. Les besoins financiers incitaient à entreprendre, la vision à long terme permettait de préserver les principes capitalistes, bénéfiques pour la société à long terme.

La famille bourgeoise disparaissant, l’homo œconomicus « cesse d’obéir à l’éthique capitaliste qui enjoignait de travailler pour l’avenir, que l’on fût ou non destiné à engranger la récolte. » (p.218)

 

Pourquoi l’efficacité du capitalisme ne le préserverait-elle pas ?

On pourrait se demander si l’efficacité du capitalisme ne suffirait pas à garantir sa persistance.

Cependant, selon Schumpeter, les justifications utilitaires ont peu de poids dans ce cas. Les sociétés obéissent à des impulsions extra-rationnelles : « aussi, un attachement émotionnel à l’ordre social (c’est-à-dire précisément le sentiment même que le capitalisme est constitutionnellement impuissant à engendrer) est-il seul capable de refouler en nous les impulsions hostiles. »

De plus, selon Schumpeter, le capitalisme ne peut être expliqué en termes simples, et il a une action bénéfique sur le long terme. Ce qui permet à des thèses simplistes et faisant des promesses à court terme de prendre l’ascendant au sein de la population.

Enfin, le capitalisme a permis d’améliorer considérablement les niveaux d’existence. Or, le progrès recèle une part d’insécurité puisqu’il remet en cause des situations acquises. Il est facile d’utiliser cette insécurité pour jeter de l’huile sur le feu de l’agitation sociale.

 

Regard actuel sur le constat de Schumpeter

Le conservatisme, socle du capitalisme ?

Est-ce que l’aristocratie est plus apte à gouverner que la bourgeoisie ? Ou est-ce une question d’éducation que chacun pourrait recevoir ?

On peut penser que Schumpeter a voulu mettre en avant les valeurs de l’aristocratie, un argument à rapprocher de sa défense de la famille bourgeoise. Ce qui amène une question : les valeurs traditionnelles, et donc un certain conservatisme, sont-elles bénéfiques au progrès économique et social ?

C’est un débat d’actualité, avec la notion de « libéral-conservateur », alors même que des libéraux classiques et des libertariens critiquent le conservatisme.

C’est un axe de réflexion qui ne sera pas développé ici car le sujet est vaste. On pourra trouver des éléments de réflexion dans le séminaire qu’Alain Laurent y a consacré, sous l’égide de l’Institut Coppet.

 

La mécanisation du progrès

Là où la situation a évolué depuis l’époque de Schumpeter, c’est la tendance à la mécanisation du progrès.

Aujourd’hui, les petites et moyennes entreprises ne sont pas mortes, elles sont le creuset des innovations. C’est le phénomène des startups. Ce sont ces grandes entreprises, telles Hewlett-Packard, ou IBM, qui rachètent des PME pour développer leurs technologies.

Le magazine Enjeux-Les Échos a publié dans son édition de février 2011 un graphique montrant qu’en 1981, les entreprises de plus de 25 000 salariés concentraient 71 % des dépenses de recherche et développement aux USA, contre 10 % pour celles de moins de 5000 salariés.

En 2005, la proportion est de 38 % pour les entreprises de plus de 25 000 salariés, et de 39 % pour celles de moins de 5000 salariés.

Aujourd’hui, de nouvelles entreprises provoquent toujours des ruptures. Les grosses entreprises l’ont compris et, toujours selon Enjeux-Les Échos, elles coopèrent avec elles au lieu de les racheter.

 

L’hostilité envers le capitalisme

Le capitalisme est toujours la cible principale de nombreux intellectuels et des médias. Les contempteurs sont toujours, de loin, majoritaires.

Cependant, la crise des années 1970 a quelque peu modifié la donne. L’échec des politiques dirigistes a remis à l’honneur le capitalisme, et, en particulier, la théorie de l’entrepreneur de Schumpeter. Un autre économiste autrichien, F. A. Hayek est également à nouveau mis en avant.

Ce courant de pensée n’a jamais été majoritaire. Le capitalisme a toujours été critiqué avec véhémence. Mais son efficacité apparaissait comme indéniable. C’est donc l’aspect utilitaire qui a permis cette résurgence des défenseurs du capitalisme.

Ensuite, la dernière crise financière, appelée aussi crise des subprimes, a été considérée comme une revanche à prendre par les antilibéraux. Ils dénoncent le capitalisme comme responsable de cette crise.

Cependant, les politiques keynésiennes mises en place pour relancer l’économie se sont vite heurtées au plafond de la dette. Les théories antilibérales se heurtent donc à nouveau à la réalité. Peu d’entre elles prônent une nationalisation de l’économie, ce système ayant conduit à une catastrophe. Néanmoins, les idées dirigistes ont repris de la vigueur.

Aux USA, les politiques menées suite à la crise financière ont provoqué le mouvement des Tea Parties, qui réclame un retour aux sources des USA, avec moins d’État, davantage de responsabilité individuelle.

Enfin, on ne peut passer sous silence l’adhésion au capitalisme des pays émergents. Là encore, ce n’est pas l’adhésion à une idéologie, mais c’est l’efficacité économique et sociale du libéralisme qui justifie ces politiques économiques. Même s’il faut souligner que des pays comme la Chine, ou encore plus l’Inde, ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour être qualifiés de capitalistes. Mais c’est la direction qu’ils suivent.

 

Conclusion

Schumpeter a dégagé des tendances conduisant à la fin du capitalisme, et issues du capitalisme lui-même, tout en précisant qu’il ne s’agissait pas de prédiction, mais d’un constat à un moment donné, et en ajoutant qu’en ce domaine, un siècle représente une période court terme.

Aujourd’hui, du fait de la crise des années 1970, les théories libérales ont été remises au goût du jour, en particulier la théorie de l’entrepreneur de Schumpeter. Et le capitalisme s’étend sur toute la planète.

Cependant, l’opposition reste forte, en particulier en France.

Mais le monde a aussi changé avec l’internet. Une théorie peut moins facilement dominer une société et faire taire ses opposants. Le mouvement des Tea Parties, assez informel, doit beaucoup à internet. En France, les libéraux commencent à s’organiser sur le web, avec par exemple, Contrepoints, l’Institut Turgot, l’Institut Coppet, ou l’Aleps.

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  • Article très intéressant!

  • très bon article mon cher Vladimir.

    en débordant un peu , ne penses-tu pas que le capitalisme basé sur la concurrence économique accentue par ailleurs une concurrence sociale néfaste entre les êtres ?

    Karl.

    • Relis plutôt « extension du domaine de la lutte », revois « Bienvenue à Gattaca », et choisis ton camp, camarade. On ne peut pas éviter, ni inversement accentuer, la concurrence et le choix ; on peut seulement jouer sur les paramètres qui fixeront la façon dont le choix est fait : déterminisme des société traditionalistes (et de Gattaca, qui ne représente pas l’avenir mais le passé ! ), contrainte des sociétés militarisantes (le chef, le règlement, la loi), indéterminisme (et insécurité !) des sociétés libérales. La concurrence n’est pas plus néfaste, ni bonne, que la langue d’Esope ; elle est, il faut faire avec, c’est tout.

      • je voulais orienter le sujet vers l’aspect social (de sociologie et non de socialisme), apparemment c’est réussi tu me parles de déterminisme, étant un fervent défenseur de l’idéologie de Durkheim j’en suis ravi.

        quel est la place du libre arbitre dans une société « marche ou crève » ?

        je pense surtout que tout est question de nombre, des sociétés traditionnelles existent au sens primaire « socialiste » voire « communautariste » et sans heurts; il est certain par contre que que le nombre crée l’émulation et les grappes d’innovations de Schumpeter et l’entrepreneuriat mais aussi la nécessité.
        Ainsi au même titre que la démocratie il faut se plier à l’exigence de la majorité et aux particularités du genre humain je te renvoi à la théorie holiste de Durkheim et à Darwin…

        en tout cas j’apprécie le débat.

        • Intéressant cette référence aux sociétés traditionnelles. Hayek souligne que nous sommes passées à la grande société. Das celle-ci, le marché est le plus efficace moyen d’allocation des ressources.
          Le libéralisme n’est pas contre un communautarisme accept par chacun. Mais c’est l’acceptation volontaire qui pose problème.

    • Cher Karl,

      l’économie de marché est coopération. Chacun, s’il veut obtenir quelque chose, propose quelque chose en échange.
      Le principe du libéralisme est de permettre à chacun de vivre comme il l’entend, de s’accomplir. L’organisation de la société évolue selon les besoins.

  • Article très intéressant. Sur le livre de Schumpter, on pourra aussi se référer à http://www.wikiberal.org/wiki/Capitalisme,_socialisme_et_d%C3%A9mocratie

  • Cher Vladimir,

    je suis désolé de dévier le débat de son sujet originel, mais à dire vrai je me fait peu de soucis sur l’avenir de l’entrepreneur dans la société capitalistique (cf ton paragraphe II B ) et encore moins dans mon pays.

    Par ailleurs sur le regard actuel il faut souligner que la politique influe sur l’économie de marché par levier ce qui rend la théorie de Schumpeter un peu caduque. (exemple le régime de l’auto-entrepreneur instauré par l »administration fiscale française pour contrer l’investissement évoqué au paragraphe I a )

    je dois être utopiste, peut-être car je vis dans un pays ou l’artisanat se porte encore assez bien ? non ?

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