Gangs of New York

Un film qui aborde la question cruciale de la naissance de l’État moderne en Occident

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Gangs of New York

Publié le 10 octobre 2010
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Lors de sa sortie en salle du film de Martin Scorsese, les critiques n’avaient vu dans Gangs of New York qu’une histoire, somme toute banale, d’amour et de vengeance sur fond de misère et de racisme dans le New York du 19e siècle. Les plus téméraires l’imaginèrent comme une dénonciation de la violence, parait-il atavique, de la société américaine. Il me semble qu’ils s’égarent et manquent l’élément principal de ce film dont l’histoire n’est qu’un prétexte pour aborder la question cruciale de la naissance de l’État moderne en Occident.

L’action se divise en deux moments distincts. L’ouverture du film se déroule en 1846. Le gang des « dead rabbits », regroupant les immigrés irlandais, se fait battre par les « natives », c’est-à-dire les Américains d’origine anglaise, au cours d’un affrontement à l’arme blanche. Au cours de ce combat d’une rare violence, le leader des « natives », William Cutting dit Bill Le Boucher, tue son adversaire le prêtre Vallon, et déclare l’interdiction des « dead rabbits ». 15 ans plus tard, le fils de Vallon, Amsterdam (interprété par Leonardo Di Caprio) revient dans le quartier de son enfance avec la ferme intention de se venger de Bill Le Boucher.

Le déroulement de l’histoire, et de l’indispensable romance, permet de présenter la nouvelle organisation du quartier. Bill Le Boucher y fait régner, par la terreur, un semblant d’ordre tout en rackettant les petits malfrats. Il est devenu le seigneur de l’endroit et les bourgeois et politiciens locaux, qualifiés de « gang des hauts quartiers », sont obligés de passer par lui pour assurer leur protection dans les bas-fonds new-yorkais.

Tout cela est dépeint sur fond de guerre de sécession. Celle-ci reste lointaine, on ne voit que les soldats partir et les cercueils revenir. Progressivement, la conscription vient obliger certains habitants du quartier à s’en aller vers une mort certaine. Cette conscription est la cause de révoltes populaires qui seront réprimées dans le sang par l’armée du gouvernement. C’est ce (mauvais) moment que Bill Le Boucher, Amsterdam Vallon et leur gang respectif choisissent pour régler leur différend à la manière ancienne, face à face dans la rue et à l’arme blanche. Le combat tourne court et les deux gangs se font massacrer par l’irruption d’une armée moderne, disciplinée, armée de fusils et de canons. C’est ainsi que commence l’histoire du New York que nous connaissons.

Si l’on veut bien y prêter attention, on constatera que l’histoire est une allégorie sur les rapports entre les individus et l’État. Les deux grandes scènes de batailles, celle qui ouvre le film et celle qui le clôture, renvoie l’une à l’autre et illustrent un processus de monopolisation de la violence. L’écrasement des révoltes populaires par l’armée renvoie à la victoire de Bill Le Boucher quelque 15 ans plus tôt. Scorsese nous appelle, sans aucun doute, à comprendre la nouvelle régulation qui sortira de ce conflit, la régulation étatique de la violence, comme symétrique, mais à une autre échelle, de celle instaurée par Bill Le Boucher dans son quartier.

Les processus en œuvre sont les mêmes. L’État, le gang des hauts quartiers, assure une certaine forme de stabilité sociale, tout en vivant lui-même de l’extorsion et du larcin, par le biais des impôts. On pourrait penser qu’il le ferait de façon moins brutale, mais Scorsese montre bien, par sa réalisation, le bain de sang d’une guerre absurde. Le Boucher, en l’occurrence, n’est pas celui qu’on croit. Dans le cas de Bill, il ne s’agit en fait que de sa profession, soutenue par une cruauté certaine, mais ses victimes sont en nombre très limité. Le véritable Boucher, c’est l’État qui envoie de force, par la conscription, de malheureux innocents se faire tuer dans une guerre qui leur est totalement étrangère.

L’affrontement entre les gangs et l’armée, s’il conclut le film, n’est en réalité que le début de l’histoire. Comme le confirme l’arrivée du titre dans les dernières minutes du film, le réalisateur nous invite à lire les rapports entre les citoyens et l’État comme ceux entre les gangs et Bill le Boucher. Le seul changement est causé par l’apparition de la technologie, les fusils et les canons, qui permet et nécessite une organisation plus stricte. Le temps de la violence exubérante et populaire est dépassé. Voici le temps de la violence rationalisée, canalisée et encadrée qui permet aux politiciens d’instaurer un ordre social qui réponde à leurs enjeux et vise à la réalisation de leurs objectifs.

Il y a déjà longtemps que Max Weber avait défini l’État comme l’institution ayant le monopole de la violence légitime. L’œuvre de Scorsese nous renvoie à cette définition, éliminant cependant toute considération de légitimité. Pour lui, l’État est simplement le gang ayant vaincu les autres et leur imposant le monopole de sa violence. Quant à savoir si Scorsese espère la venue d’un quelconque nouvel Amsterdam Vallon, rien dans le film ne permet de l’affirmer. Mais en présentant l’État dans sa plus crue nudité, il appelle certainement les citoyens à une vigilance de tous les instants, leur rappelant que, laissé à lui-même, l’État n’est qu’un boucher et que la régulation qu’il engendre ne se base que sur le vol et la violence.

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