Un livre d’été : « Blythe Masters » ou l’Apocalypse de tous les DAB…

À la base, un problème de responsabilité, qui aurait pu se résoudre aisément si la finance n’avait pas été acoquinée avec l’État

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Un livre d’été : « Blythe Masters » ou l’Apocalypse de tous les DAB…

Publié le 29 juillet 2011
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Si donc vous aimez les romans horrifiques qui mêlent haute finance et politique, avec une grosse louche d’Armageddon, le Blythe Masters de Pierre Jovanovic est le livre d’été qu’il vous faut ! Un commentaire sur Amazon parle joliment de « Da Vinci Code version économie ».

Par Thierry Falissard

C’est via le site de Claude Reichman que j’ai découvert le livre de Pierre Jovanovic dont l’énigmatique titre Blythe Masters est explicité par le sous-titre : « la banquière de la JP Morgan à l’origine de la crise mondiale. Ce qu’elle a fait, ce qu’elle va faire ».

Claude Reichman, libéral conservateur et pourfendeur bien connu du monopole franco-soviétique de la Sécurité sociale (notamment en matière d’assurance maladie), a coutume d’inviter des personnalités atypiques, délaissées par les médias grand public. Ses émissions sur ReichmanTV, bien que filmées, tiennent plus de l’émission radio, ce qui est fort commode pour les nostalgiques de la TSF qui ne se soucient pas de l’image et n’ont pas la TV…

Pierre Jovanovic, que Reichman a reçu le 4 juillet (émission ici et ici), est un auteur jusqu’ici plutôt connu pour son mysticisme angélique, ce qui est son droit le plus strict. Il s’affirme libéral, ce qui ne l’empêche pas de céder assez souvent à la tentation facile, bien française, d’assimiler libéralisme et malhonnêteté foncière, voire loi du plus fort. Il tient un blog de l’Apocalypse financière qui est paraît-il censuré par les banques.

Si donc vous aimez les romans horrifiques qui mêlent haute finance et politique, avec une grosse louche d’Armageddon, le Blythe Masters de Pierre Jovanovic est le livre d’été qu’il vous faut ! Un commentaire sur Amazon évoque joliment un « Da Vinci Code version économie ». Ce livre assez racoleur, qui fait tantôt dans le people tantôt dans l’horreur économique, avec une certaine part de vérité (voire une grosse part, avouons-le), est à lire absolument si vous détestez les banquiers, ou si vous aimez les théories du complot.

Si vous persistez à ne pas vouloir le lire (pour ne pas gâcher davantage un été déjà assez pluvieux), je puis vous le résumer en quelques mots : madame Masters, Blythe de son prénom (prononcez à l’anglaise :  /ˈblaɪθ/) est une sulfureuse banquière de la JP Morgan (alias la fée Morgan), mi-mathématicienne mi-démon, qui a inventé des « armes financières de destruction massives » via des mathématiques byzantines et la bénédiction complice de l’establishment financier. Ces credit default swaps (CDS) honnis, auxquels est consacrée une bonne partie du livre, vont in fine permettre aux banques de réduire en esclavage la population de la Terre toute entière.

Qu’est-ce qu’un CDS ? Le livre explique assez bien un mécanisme complexe. Cela fonctionne en apparence comme une assurance. L’acheteur d’un CDS veut se protéger d’un risque, tel qu’un non-remboursement de crédit (crédit est à prendre au sens large : il ne s’agit pas seulement de crédits immobiliers comme les fameux subprimes, mais aussi d’obligations d’États ou d’entreprises). Il achète une « assurance » à un vendeur qui promet de couvrir le risque contre un paiement récursif (analogue à une prime d’assurance). Premier problème : le vendeur de cette assurance n’a aucune obligation prudentielle de réserves, contrairement aux assureurs classiques − il n’est pas forcément capable de couvrir le risque. Le second problème est que cette « assurance » encourage la prise de risque du côté de l’acheteur, le bien mal nommé aléa moral : si l’acheteur d’une telle « sécurité » est une banque, elle pourra accorder des prêts bien au-delà du raisonnable, qui plus est en contournant la contrainte bâloise des 8 % de fonds propres. Les réserves fractionnaires, pour la plupart des économistes autrichiens, sont déjà une escroquerie légale, mais certains escrocs ont trouvé encore d’autres moyens de s’escroquer entre eux en toute légalité, par la création monétaire !

Du fait que le CDS  est un « papier » qui peut être échangé librement, le procédé, bien qualifié par Jovanovic de « permutation de l’impayé » (default swap), peut servir dans une finalité opposée : l’acheteur ne veut pas réellement se protéger d’un risque (qui ne le concerne pas, et qui finit par être oublié, tronçonné et dilué avec d’autres risques), au contraire il parie sur sa réalisation, et espère toucher le gros lot contre une mise modeste (« effet de levier »). On donne ainsi le droit à quiconque d’acheter une assurance sur un bien qu’il ne possède pas, et dont il souhaite éventuellement la destruction, sans pourtant que cela pose de problème à celui qui vend cette assurance, qui n’a pas forcément l’intention de remplir ses obligations, ni le capital requis pour faire face en cas de sinistre ! À force de s’échanger du risque et de se refiler le mistigri, on finit par ne plus savoir lequel est la dupe de l’autre (ce sont en majorité les banques qui achètent et vendent des CDS, alors que les compagnies d’assurance sont vendeuses).

Le résultat, quand on considère ce qui s’est passé durant la première décennie de ce siècle, est une augmentation sans précédent des crédits, et par conséquent des mal-investissements causés par la création excessive de crédit, avec les résultats catastrophiques bien connus, que décrit la théorie autrichienne. Cela explique la crise des subprimes : les banques, telles de vulgaires États-providence, ont accordé des crédits à des personnes insolvables, avec la complicité bienveillante des pouvoirs publics (car les salauds de pauvres ont des droits eux aussi, prétendaient les étatistes), ces crédits se trouvant « assurés » auprès de hedge funds ou autres organismes (tels AIG) qui n’avaient pas les capitaux adéquats pour ce type de risque. L’effet de levier s’inversant, c’est un retour de manivelle douloureux qui s’ensuivit, quelques faillites (salutaires), mais aussi un interventionnisme étatique forcené, collectivisant les pertes et nationalisant les plus gros dépôts de déchets toxiques (si AIG sautait, la Société Générale et d’autres sautaient), et créant toujours plus de liquidités pour prévenir le risque systémique. On a bien oublié l’avertissement de Ludwig von Mises qui laisse comme alternative en ce cas « ou bien d’aboutir à une crise plus tôt par arrêt volontaire de l’expansion monétaire, ou bien plus tard par l’effondrement complet de la monnaie qui est en cause. »

La faute à qui ? Aux banquiers cupides, nous dit Jovanovic, sinon au libéralisme, qui est on le sait un fléau mondial et un gros mot en France. Défaut de régulation, donc ? Pourtant ce ne sont pas les régulateurs qui manquaient, et les CDS ont été avalisés au plus haut niveau des banques centrales et de l’État. C’est un Alan Greenspan piteux qui devra reconnaître plus tard que les banques ont été sous-capitalisées pendant des décennies (leur ratio de réserves aurait dû passer de 8 % à 40 %). Beauté des réserves fractionnaires et de la création monétaire ex nihilo, diront les gold bugs (dont nous sommes et dont fut Greenspan avant de sombrer dans l’opportunisme)…

À la base, un problème de responsabilité, qui aurait pu se résoudre aisément si la finance n’avait pas été acoquinée avec l’État et lavée par les politiciens de toute responsabilité sous prétexte de too big to fail. Le même problème se pose aujourd’hui avec l’endettement excessif des États. Le bouc émissaire tout trouvé, en plus du libéralisme, est aujourd’hui le spéculateur. Or le spéculateur rend service à la société en signalant les mauvais risques, et tant qu’il spécule avec son argent et non celui des autres, on ne peut rien trouver à y redire. Et quand il utilise l’argent d’autrui ou fait de la cavalerie financière, on est dans un autre monde qui est bien éloigné de l’éthique libérale.

Il y a d’autres causes qu’on ne saurait sous-estimer, qui favorisent l’irresponsabilité : d’abord l’illusion mathématique (car le travers scientiste ne se rencontre pas que chez les collectivistes planistes). Jovanovic l’évoque bien, sans évidemment en donner l’explication autrichienne : l’imprévisibilité de l’action humaine qui refuse d’être corsetée dans des équations ou des modèles. Les maths sont une construction de l’esprit, certains disent une fiction, et l’on sait bien que la réalité dépasse toujours la fiction…

L’autre cause, qui échappe complètement à notre sympathique doomsayer, la cause fondamentale à notre avis, est l’impossibilité d’arrêter une création monétaire effrénée, en raison de la nature même de la monnaie qu’impose l’État. Si vous aviez une machine à fabriquer des billets de banque aussi vrais que les vrais, refuseriez-vous de vous en servir sous quelque prétexte éthique ? Certainement pas, d’autant plus que votre voisin (la banque d’en face, le pays d’en face) dispose du même type de machine et de beaucoup moins de scrupules.

Dès lors qu’une monnaie ne repose pas (ou plus) sur un bien matériel donné (historiquement, les métaux), mais peut être créée à volonté, il n’y a aucun moyen d’empêcher son créateur d’en abuser. Celui-ci en abusera forcément un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre. Si ce n’est pas par la création directe via le monopole central (création aujourd’hui appelée pudiquement quantitative easing chez l’oncle Sam), ce sera de façon indirecte, par des subtilités bancaires (qu’on les appelle swaps ou autre) qui permettront de contourner les règles prudentielles et de pratiquer le hors-bilan. Certes, l’inflation monétaire qui en résulte s’étale progressivement dans le temps, ce qui fait que l’on ne s’en aperçoit pas, comme la grenouille que l’on ébouillante à petit feu, et que l’on en prend conscience seulement quand il est trop tard, et qu’elle est devenue une hyperinflation weimarienne ou zimbabwéenne. Il vaut la peine de rappeler l’avertissement prémonitoire de Friedrich Hayek, en 1977, concernant l’abandon de l’étalon-or :

Maintenant que cette discipline a été brisée, je ne vois aucun espoir de la restaurer. Pour cette raison, à moins de changements radicaux, la perspective qui est devant nous est celle d’une inflation indéfiniment accélérée, aggravée par le contrôle des prix, suivie d’un effondrement rapide du marché, des institutions démocratiques, et finalement de la civilisation telle que nous la connaissons.

Les fanfaronnades des banquiers centraux, qui prétendent faire aussi bien sinon mieux que l’étalon-or sans nul besoin de la « relique barbare », feraient sourire si elles n’étaient pas aussi lourdes de conséquences. Dans un système de banque libre, on peut présumer que les banques à faible taux de réserves seraient vite éliminées : quelques paniques bancaires de temps à autre y pourvoiraient. On reviendrait alors aux pratiques saines des siècles passés (avec une fourchette de 50 % à 100 % de réserves plutôt que 8 %). Mais dans un système de monopole monétaire, où les irresponsables sont au pouvoir, les erreurs du planificateur central sont payées par tout le monde, et surtout par les plus faibles. Comme le dit le libertarien Ron Paul : « appliquez le système soviétique à l’industrie bancaire, et vous obtenez la FED ».

Si l’hyperinflation et la destruction finale des monnaies décrétées est une possibilité à envisager sérieusement, nous ne souscrivons pas exactement au catastrophisme de Jovanovic, pas plus que nous ne vouons aux gémonies une Blythe Masters qu’il dépeint comme une femme fatale de la finance, entre fascination et détestation. Sa description de banques vampires qui accapareraient les stocks mondiaux de blé, de viande, de gaz, etc. pour les revendre à prix d’or ne nous convainc pas. Pas plus que le chiffre brandi de 55 000 Md$ d’actifs toxiques dans les comptes de ces « mortes-vivantes » − ce chiffre impressionnant (autant que le PIB mondial) ne représentant pas un encours de crédits (le monde est suffisamment surendetté sans cela), mais la taille du marché des CDS (miracle de la cavalerie financière suscitée à l’origine par les banques centrales).

Des livres comme celui de Jovanovic, malgré leurs outrances, sont utiles pour montrer du doigt la fragilité du système actuel. Les gens oublient l’importance de la monnaie ou pensent que le sujet ne les concerne pas, alors que la division du travail, essentielle à une société évoluée, repose d’abord sur une monnaie capable de remplir son rôle. Ces grands criminels, ces pompiers pyromanes que sont les banquiers centraux, au service des États démagogues et à leur propre service, ne font qu’accélérer le surendettement général et, en bons soviétiques qu’ils sont, n’aboutissent qu’à appauvrir la population au profit d’une petite élite.

On lira aussi avec intérêt la revue du livre par Alexis Vintray.

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Quelques lectures pour ne pas pâlir idiot sous les pluies estivales :

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  • Attention à ne pas confondre le taux de réserve et le ratio de fonds propres. Les réserves obligatoires (partie des dépôts mis en banque centrale) sont beaucoup plus faibles que 8%.

  • Exact, ce taux de réserve doit être de quelques pour-cents seulement, heureusement (ou malheureusement) ça ne change rien au problème.

  • Merci pour cette recension claire et précise!

  • Ce n’est jamais la faute des Français. Etonnant, non?
    Si la fin du système est imminente, et si l’avenir va être apocalyptique, à quoi bon passer son précieux temps à écrire un livre qui,si jamais il se vend, fera entrer des sous qui seront sans valeur si le livre dit vrai?
    Comme d’habitude le méchant est anglophone. La fin de l’influence des « Anglo-Saxons » a cessé en l’An 1066, quand les francophones de Normandie ont envahi l’Angleterre.

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