La crise des réfugiés n’en est qu’à ses débuts

L’Europe de Schengen n’est-elle pas en train de mourir sous nos yeux ?

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Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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La crise des réfugiés n’en est qu’à ses débuts

Publié le 16 septembre 2015
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Par Eric Verhaeghe

Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.
Migrants secourus par un bateau des Irish Defence Forces le 19 juillet 2015 (Crédits : Irish Defence Forces, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

 

Au moment où je publiais cet article, l’Allemagne annonçait le rétablissement des contrôles aux frontières avec l’Autriche. Après avoir réclamé 800 000 réfugiés cette année, Merkel fait un nouveau revirement ! L’Europe de Schengen meurt sous nos yeux.

Le duo Merkel-Hollande pensait avoir réglé la question des réfugiés en tordant le bras à l’Union avec sa politique de quotas imposés. En réalité, le sujet n’en est probablement qu’à ses débuts : l’appel d’air de l’Allemagne avec ses 800 000 réfugiés attendus donne un essor impressionnant au mouvement migratoire qui provoque des tensions grandissantes sur le continent.

 

Merkel appelle les réfugiés en Allemagne

En publiant urbi et orbi le chiffre de 800 000 réfugiés attendus cette année, Angela Merkel a évidemment donné une ampleur maximale à un mouvement déjà sur une pente fortement ascendante. Rappelons qu’on estime fin août que 430 000 réfugiés ont traversé la Méditerranée en huit mois. En affichant le chiffre de 800 000 réfugiés dans l’année pour la seule Allemagne, Merkel a donc tout simplement appelé unilatéralement à une amplification du phénomène, dont, rappelons-le, la Grèce, la Macédoine et la Hongrie sont les pays de frontline. Pour tenir l’objectif affiché par l’Allemagne, il faudrait donc doubler le rythme connu d’arrivées au premier semestre !

Assez curieusement, la même Merkel demandait la même semaine des efforts à la Grèce et à la Turquie pour le contrôle de leurs frontières. À Berlin, lors d’un congrès de son parti conservateur, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) consacré au numérique, la dirigeante a estimé que « la Grèce doit aussi prendre ses responsabilités dans la protection des frontières extérieures de l’UE qui n’est actuellement pas assurée ».

Les Grecs sont vraiment les têtes de Turcs des Allemands !

 

Merkel trie les réfugiés sans aucun scrupule

Lors de cette réunion de la CDU, Angela Merkel a par ailleurs fait toute la lumière sur la politique migratoire allemande. Elle a en outre réaffirmé que seuls les migrants qui ont besoin d’une protection, car ils fuient la guerre ou les persécutions par exemple, pourraient rester en Allemagne.

« Celui qui en revanche n’a pas besoin de protection, celui qui vient pour des raisons économiques, aussi compréhensibles soient-elles, ne peut pas avoir de perspectives de rester chez nous. Et nous devons le dire clairement sinon nous ne pouvons pas apporter la protection nécessaire à  ceux qui en ont besoin ».

Sans les nommer explicitement, Angela Merkel faisait allusion aux nombreux demandeurs d’asile venus des pays des Balkans.

Troquer des Balkaniques contres des Syriens, c’est pas beau ! Mais ça s’explique :

« Pourquoi est-ce que tout le monde ne veut que des Syriens ? Moi, je peux vous le dire car j’ai vécu cinq semaines avec eux : ce sont des gens comme nous, j’ai rencontré des avocats, des médecins, des dentistes, ils sont souvent éduqués, souvent ils ont de l’argent, ils arrivent après un parcours bref, en pleine capacité de leurs moyens. »

Les grands perdants de ce marché aux réfugiés sont les Afghans :

« Les Afghans qui ont déjà subi quatre mois d’humiliations (pour arriver jusque-là) et qui sont d’une culture très éloignée de la nôtre voient leur situation s’aggraver durant leur séjour à Lesbos » selon elle. Il s’y développe des « maladies de la faim » ou des épidémies de gale, et « certains vont repartir encore plus fragilisés en Europe du Nord »

… et les ressortissants des Balkans qui représentent aujourd’hui 40 % des demandes d’asile. On ne devrait pas tarder à assister à un mouvement croisé sur les routes d’Europe centrale : les Syriens allant vers le nord et les Roms et autres tribus de la zone redescendant vers le sud.

 

La Grèce submergée par les réfugiés

L’appel d’air lancé par l’Allemagne est en train de submerger certaines îles grecques.

À Lesbos par exemple, 22 500 migrants sont arrivés en une semaine, soit le quart de la population de l’île. Ce flux donne lieu à des scènes apocalyptiques que l’Europe avait oubliées depuis longtemps : des milliers de personnes ont ainsi été contraintes de camper dans les rues dans des conditions précaires alors que des heurts éclataient régulièrement entre la police et la foule de migrants qui tentaient de monter à bord des ferries.

 

La Macédoine mise hors service par les réfugiés

De son côté, la petite Macédoine perdue dans ses montagnes a mis un genou à terre face à ces marées humaines pour lesquelles elle constitue un pays de transit et auxquelles elle n’est absolument pas préparée.

Le pays ne dispose pas d’infrastructures de transport, ni d’équipements suffisants pour assurer la logistique d’une telle population en errance. On parle à titre d’exemple de 7600 arrivées en douze heures, dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, pour une population totale de 2 millions d’habitants, c’est-à-dire l’équivalent de Paris centre.

Alexandra Krause, chargée de la communication des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a expliqué à l’AFP :

« Le dernier train est parti dans la nuit (de mercredi à jeudi). Et sans train, on a été obligé de s’organiser avec des autobus […]Si la Grèce envoie d’un seul coup plusieurs milliers de personnes, nous allons être facilement débordés. »

Le HCR gère le centre d’accueil côté macédonien de la frontière, quelques conteneurs en tôle pouvant accueillir à peine plusieurs centaines de personnes.

Les réfugiés qui n’avaient plus de place dans les conteneurs s’entassaient jeudi sur un plateau avec, pour seule protection, des grandes bâches en plastique frappées de l’emblème de l’UNHCR qu’ils tenaient au-dessus de leur têtes.

C’est « une tragédie humaine », admet la porte-parole de l’ONU.

Les Macédoniens commencent à évoquer l’idée d’une frontière étanche sur le modèle hongrois, pour juguler le flux de migrants.

 

42 000 réfugiés attendus en Serbie

Étape suivante après la Macédoine, la Serbie devient elle-même un espace de tensions. Les réfugiés ont en effet besoin de traverser le pays pour rejoindre la frontière hongroise.

Selon le CHR :

« Environ 42 000 personnes supplémentaires pourraient arriver en Hongrie depuis la Grèce, la Macédoine et la Serbie dans les dix prochains jours ».

Pour faire face à cet afflux, la Hongrie a par ailleurs érigé une clôture provisoire de barbelés le long des 175 km de frontière avec la Serbie, doublée d’un mur haut de quatre mètres qui devrait être terminé avant fin octobre.

 

La Hongrie absorbe l’essentiel du choc

L’ironie de l’histoire veut que l’essentiel du « goulot » frontalier organisé par Schengen soit tenu par le gouvernement le plus radical qui existe en Europe, celui de Viktor Orban et de son parti, le Fidesz, assez peu férus de droits de l’Homme. Les Hongrois s’attendent à un flux de 500 000 réfugiés cette année, alors que le pays ne compte que 10 millions d’habitants. Toutes proportions gardées, un afflux similaire en France représenterait 3 millions de personnes à faire transiter dans le pays…

Pour la Hongrie, le phénomène des réfugiés cause des troubles grandissants. Après la construction en urgence d’un mur de barbelés de 175 kilomètres pour empêcher (de façon illusoire) tout passage depuis la Serbie, le gouvernement hongrois multiplie les manœuvres politiques pour contrer la politique allemande d’ouverture, dont la Hongrie est le principal théâtre. Le pays pourrait prochainement se déclarer en état de crise.

 

L’Autriche suspend ses liaisons ferroviaires

Face à ces arrivées massives, l’Autriche a elle aussi dû tirer toutes les conséquences d’une situation d’exception qui ne devrait pas s’apaiser.

Des dizaines de milliers de personnes sont passées depuis en Autriche, d’où la plupart ont poursuivi leur route vers l’Allemagne. Mais les autorités autrichiennes et la compagnie ferroviaire autrichienne ÖBB, qui assure une large part de ces mouvements de populations, ont dû temporairement interrompre les liaisons avec la Hongrie, incapable de faire face à la surcharge du trafic.

« Toujours plus de gens arrivent chaque jour » a expliqué un porte-parole des Österreichische Bundesbahnen. « Cela excède de loin nos capacités. C’est la raison pour laquelle nous voulons ralentir le flux en provenance de Hongrie. Ce n’est pas la solution, mais il serait irresponsable de notre part de laisser des gens continuer à arriver et d’être obligés de passer la nuit dans des gares. »

On ignorait en milieu d’après-midi si le service pourrait reprendre vendredi.

Le blocage des frontières dans l’Union, objet tabou depuis Schengen, rendu de fait obligatoire par les marées humaines qui les submergent.

 

Munich en situation explosive

Angela Merkel donne le sentiment d’avoir joué aux apprentis sorciers en décidant depuis Berlin d’un appel au refuge qui est supporté par la Bavière, tenue par des chrétiens conservateurs traditionnellement peu amateurs d’immigrations. C’est le secret de l’Allemagne : le Nord fait des promesses qui n’engagent que le Sud (pour l’essentiel en tout cas).

Dès aujourd’hui, Munich (sous direction sociale-démocrate) considère avoir atteint ses capacités maximales d’accueil : Dieter Reiter, le maire social-démocrate de Munich, s’est dit « très préoccupé par l’évolution de la situation ». « Nous ne savons plus comment faire avec les réfugiés », a-t-il déclaré. Munich se plaint du manque de soutien des autres régions allemandes face à l’afflux record. Toute prise en charge par d’autres régions de quelques centaines de réfugiés « nous aiderait à éviter le chaos », a-t-il dit à la gare.

Depuis le 31 août, Munich aurait accueilli 63 000 réfugiés. De l’avis de l’administrateur bavarois Christoph Hillenbrand, Munich ne pourra pas faire face à un tel afflux :

« Il n’est pas viable pour nous d’accueillir chaque jour l’équivalent de la population d’une petite ville. Sur un plan logistique, ce n’est tout bonnement plus tenable. »

 

Le Danemark ferme ses frontières

Le Danemark, voisin septentrional de l’Allemagne, et méridional de la Suède (favorable à l’accueil de migrants), a manifesté quant à lui son opposition à cette politique migratoire en interrompant ses liaisons ferroviaires avec l’Allemagne !

La compagnie ferroviaire danoise DSB a annoncé avoir suspendu, sur ordre de la police, toutes les liaisons avec l’Allemagne après le refus de centaines de migrants en transit vers la Suède de descendre de train à leur arrivée au Danemark.

Un porte-parole de DSB a expliqué à l’AFP :

« C’est la police qui nous a demandé de le faire. Au moins deux trains transportant 200 réfugiés étaient bloqués à Rødby, port à 135 km au sud-ouest de Copenhague relié par ferry à l’Allemagne. Comme ils refusaient de demander l’asile au Danemark, les autorités leur ont expliqué qu’ils risquaient de cette manière d’être refoulés vers l’Allemagne. Certaines de ces personnes ont tenté de s’enfuir, mais la plupart ont été rattrapées par la police, qui les a envoyées dans un cente pour réfugiés. »

Par ailleurs, l’embarquement des trains sur les ferries rapides entre Puttgarden (Allemagne) et Rødby, ainsi que le passage des trains à la frontière terrestre à Padborg, dans l’extrême sud du pays, sont suspendus jusqu’à nouvel ordre dans les deux sens.

Il n’est pas sûr qu’on ait assisté à de telles scènes en Europe depuis 1945…

 

Le groupe de Visegrad opposé aux choix migratoires allemands

Le choix de l’Allemagne d’ouvrir ses frontières (qu’elle n’a pas en commun avec la Syrie…) ne plaît pas à tout le monde en Europe. La réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur qui s’est tenue vendredi 11 septembre a permis de le vérifier.

En pratique, l’opposition est menée par le groupe de Visegrad : Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Hongrie, qui ne se sent pas d’attaque, dirait-on, pour accueillir de nouveaux venus. Le chef de la diplomatie tchèque a martelé devant la presse que les pays « doivent avoir le contrôle sur le nombre de réfugiés qu’ils sont prêts à accepter », une position déjà défendue jeudi par la Roumanie, rejointe par le Danemark.

Ces réticences maintenues malgré la visite du ministre allemand de l’Intérieur soulignent bien le dilemme actuel de l’Union : comment améliorer la gouvernance de la zone euro et renforcer l’intégration communautaire quand plusieurs États-membres se considèrent d’ores et déjà comme au bout des transferts de souveraineté qu’ils sont prêts à accepter. L’empressement de l’Allemagne à élargir l’Europe dans les années 1990 est en train de se payer cash.

 

Les réfugiés et leurs conséquences durables pour l’Union

Pour l’ensemble de l’Union, cette arrivée massive de réfugiés constitue un nouveau défi après la crise grecque.

Dans la pratique, la libre circulation des personnes est devenue un sujet polémique et tout laisse à penser que, dans les prochains mois, la question de Schengen sera à nouveau sur la table.

L’Europe peut-elle laisser son espace intérieur ouvert quand ses frontières extérieures sont devenues si poreuses ?

Une réponse négative à cette question constituerait un antécédent : pour la première fois, un acquis communautaire serait remis en cause par une décision politique. Les prochaines semaines devraient constituer un bon test sur la capacité de résistance de l’Union à la pression qui s’installe.

 

La guerre pour sortir de la crise ?

Sans grande surprise eu égard à notre vieille tradition militaire, c’est peut-être l’opinion française qui indiquera la principale voie de sortie de crise : la guerre contre Daesh.

Un sondage d’opinion vient d’indiquer qu’une majorité de Français était favorable à une intervention terrestre en Syrie. La guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens, c’est bien connu.


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