Réforme du collège : rompre avec la marche à l’abîme

La réforme du collège proposée par Najat Vallaud-Belkacem n’est que l’ultime avatar de l’idéologie du collège unique.

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Najat Vallaud-Belkacem (Crédits Ségolène Royal, licence Creative Commons)

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Réforme du collège : rompre avec la marche à l’abîme

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 21 mai 2015
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Par Patrick Aulnas.

Najat Vallaud-Belkacem (Crédits Ségolène Royal, licence Creative Commons)
Najat Vallaud-Belkacem (Crédits Ségolène Royal, licence Creative Commons)

La réforme du collège proposée par Najat Vallaud-Belkacem n’est que la poursuite d’une évolution commencée avec la réforme Haby de 1975 (septennat de Valéry Giscard d’Estaing). Cette réforme avait pour ambition de promouvoir un « collège pour tous ». La généralisation de l’enseignement secondaire était en effet à l’ordre du jour depuis la libération. La gauche comme la droite pensaient qu’il convenait de s’inspirer de Jules Ferry qui, dans les années 1880, avait généralisé l’école primaire. Tous les enfants devraient donc désormais suivre un cursus identique de l’âge de 6 ans (entrée à l’école élémentaire) et à l’âge de 15 ans (sortie du collège).

Le naufrage du collège unique 

Cette réforme fut un échec cuisant car il s’agit d’un choix idéologique coupé des réalités les plus élémentaires de la transmission du savoir. Il est en effet illusoire de vouloir diffuser une culture uniforme à un public très diversifié qui, au demeurant, n’en est même pas demandeur dans la majorité des cas. Là se situe la différence fondamentale entre l’école primaire de Jules Ferry et le collège unique de René Haby. L’apprentissage des techniques de base de la connaissance (lire, écrire, compter) à l’école élémentaire consiste pédagogiquement à inculquer à des enfants de 6 à 11 ans des savoir-faire que les adultes possèdent. Les enfants sont motivés car ils sont environnés d’adultes qui exigent d’eux la maîtrise de la lecture, de l’écriture et du calcul. Le projet de Jules Ferry fut ainsi une remarquable réussite.
L’acquisition d’une culture, objectif de l’enseignement secondaire, représente un choix individuel qui peut être proposé à chacun mais qui ne peut pas être imposé à tous par la puissance étatique. Diffuser une culture standard à des enfants venant d’horizons très différents, et parfois de milieux où la culture académique n’a pas droit de cité et ne représente pas une aspiration des adultes, relève de l’impossible. Le collège dit unique fut donc un naufrage.

La politique contre la pédagogie 

rené le honzec hollande valls abimePourquoi vouloir instaurer un collège uniformisé dans une société complexe et hétérogène ? Pour des raisons politiques. Il s’agit de « démocratiser » l’accès à la culture de façon à entraver les pré-orientations sociologiques : les enfants d’agriculteurs devenant agriculteurs, les enfants d’ouvriers devenant ouvriers. L’objectif est louable, mais la méthode est inefficace car la politique s’oppose ici à une loi fondamentale de la pédagogie. Pour enseigner efficacement, il faut s’adresser à des groupes homogènes. Tout le monde l’a toujours su dans le milieu enseignant, mais une intense propagande interne au Ministère de l’Éducation nationale fut mise en place pour prôner les avantages de l’hétérogénéité de classes. Les enseignants ont donc eu droit depuis les années 70 à un discours uniforme des représentants de l’institution (recteurs, inspecteurs, proviseurs, etc.) : l’hétérogénéité traduit la mixité sociale, source d’enrichissement et de découverte de l’autre ; le problème pédagogique ne se pose pas puisqu’il suffit de répondre à l’hétérogénéité des groupes par la « pédagogie différenciée ». Entendez par là qu’il convient de scinder le groupe classe en plusieurs sous-groupes auxquels l’enseignant propose des apprentissages de différents niveaux. Des sociologues de l’éducation se firent les ardents défenseurs de cette école de l’hétérogénéité sociale. Les syndicats de gauche du monde enseignant (SNES, SGEN) reprirent l’antienne officielle : il est entendu qu’une classe hétérogène constitue une opportunité extraordinaire pour stimuler les individus. Très peu d’enseignants adhèrent in petto à ce postulat mais très peu également osent le dire car la pression idéologique est telle dans cet univers qu’il convient d’être de gauche pour être accepté.

L’organisation idéologique de l’Éducation nationale

La propagande politique se heurte cependant à la dure réalité de la transmission : il faut parler un langage commun et accepté par tous pour bien se comprendre. La pédagogie différenciée est un échec. Elle conduit à creuser le fossé entre le groupe des meilleurs et le groupe des plus faibles et génère ainsi des conflits. Les enseignants ne la pratiquent donc que rarement et choisissent un niveau moyen d’enseignement ne convenant à personne du fait de l’absurde hétérogénéité des classes. Les professeurs se sentent pris au piège de l’idéologie car ils découragent les élèves les plus faibles et entravent la progression des meilleurs.
L’Éducation nationale devint ainsi le seul lieu d’apprentissage où l’organisation pédagogique adéquate était prohibée pour des raisons politiques. Que vous alliez dans une école de musique, dans un cours privé de langue vivante ou à l’École du ski français (ESF), la constitution de groupes homogènes est la base de l’organisation de l’enseignement. Dans l’Éducation nationale, pas du tout ! Les politiques en ont décidé autrement. Ils peuvent ainsi feindre d’offrir à tous les mêmes connaissances et les mêmes chances. Mais chacun sait que le niveau culturel dans les beaux quartiers parisiens n’a rien de commun avec celui des banlieues défavorisées. La duplicité politicienne utilise une idéologie égalitariste pour tromper les électeurs.

Le courage et la lucidité de Bruno Le Maire 

La droite n’a rien proposé de sérieux au cours des dernières décennies pour entraver la marche vers la catastrophe. Elle a toujours privilégié les propositions organisationnelles consistant à donner plus d’autonomie au chef d’établissement. Ce n’est pas là que se situe le cœur du problème. Un homme a eu récemment le courage d’élaborer une réforme digne de ce nom. Il s’agit de Bruno Le Maire, qui, dans une interview à Libération, propose de remplacer le collège unique par un collège diversifié.

« La gauche veut amener tout le monde au baccalauréat. Je conteste cette obsession. Je regrette que la droite ait suivi ce chemin. Notre objectif ne doit pas être 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, mais 100% avec un emploi. Sortons de Bourdieu ! La reproduction sociale commence par le chômage. La liberté se trouve dans la capacité à prendre place dans la société. »

Enfin des paroles que nous n’avions pas entendues depuis des lustres ! Enfin, un homme politique qui ose dire la vérité et abandonner les lieux communs de la sociologie de l’éducation. Toute la gauche et tous les syndicats enseignants (sauf le SNALC dans le secondaire) vont s’arc-bouter pour combattre une telle proposition si elle est inscrite dans un programme présidentiel. Mais il est réconfortant de constater qu’un jeune leader politique a la clairvoyance et l’audace de regarder la réalité en face.

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  • Il y a trois jours, François Hollande prononce les mots « L’excellence est un droit, pas un privilège ».

    Le grand public comprend qu’avoir son bac est un doit, et par extension :
    – avoir un emploi est un droit
    – avoir un bon salaire est un droit …

    Bref, chez les socialistes AVOIR est un DROIT ! (sauf avoir le droit de propriété bien entendu)

  • Sur Jules Ferry, je serais nettement plus nuancé : les écoles existaient avec de très beaux résultats malgré les faibles moyens grâce aux engagements des congrégations enseignantes.

    Jules Ferry a surtout eu pour objectif de chasser ces congrégations : la qualité n’y a pas gagné, le coût s’est progressivement envolé !!!

    Donner une vraie autonomie aux établissements est la seule solution pour casser le mamouth politique qu’est l’Education Nationale, car celle n’est absolument pas réformable !

    Bruno Lemaire cite un objectif, mais pas les moyens pour y parvenir (c’est donc un slogan).

    • bonjour breizh, certes l’autonomie des établissements serait une bonne chose . Mais en premier
      lieu il conviendrait de destituer les irresponsables qui ont sciemment nommée au ministère concerné une personne absolument étrangère ,voir hostile ,à notre culture .

  • Les profs courbent l’échine en bons petits soldats de la République … et mettent leurs enfants dans le privé.

  • « L’acquisition d’une culture, objectif de l’enseignement secondaire »

    Ah bon? Je pensais que l’objectif de l’enseignement secondaire était de transmettre des savoirs et des savoir-faire: en Français, en langues vivantes, en maths, en histoire-géo, en SVT…

  • « Pour enseigner efficacement, il faut s’adresser à des groupes homogènes. »

    Ben oui, ça crève les yeux. Et pourtant il y a encore beaucoup de profs qui pensent dur comme fer que les meilleurs élèves vont tirer les moins bons vers le haut. Alors que c’est le boulot des enseignants, pas celui des élèves!

  • Les derniers Profs embauchés avec une moyenne baissée à 4.25 sur 20. Sinon plus de profs, aucun n’ayant la moyenne.
    -C’est pas grave les enfants apprennent d’eux-mêmes sur leur téléphones et ordi !! ?? Ils sont totalement incapable de créer un beau texte enrichi légèrement sur « word » ou de faire un tableau d’addition simple sur « excel ».
    Une seule solution : mettre ses enfants en ZEP, d’après une enquète récente publiée par tous les merdias, les Lycées de Grigny, Bobigny, Clichy sous-bois.. Sont les meilleurs du monde : journaliste, ministres.. s’y précipitent pour y faire inscrire leurs enfants…Laissants de nombreuses places vides aux Lycées Henri IV..et autres anciens Lycées d’excellences…. Pour nos élites et leurs enfants, c’est la ruée sur les Lycée des ZEP.

  • Il faut un équilibre entre homogénéité et hétérogénéité .
    Un excellent élève qui aide un élève un peu moins bon va progresser dans
    l’approfondissement de ses connaissances .L’entraide va favoriser la cohésion de groupe , valoriser les meilleurs. Une émulation va se mettre en place.
    C’est pourquoi des classes de niveau comportant des différences raisonnables favorise les apprentissages et l’épanouissement .
    L’auteur souligne cette pratique en sport ou école privée de langue qui donne de bon résultats

    • Sauf que dans une classe « de niveau » il y a aussi des meilleurs, qui « poussent » les autres, et des moins bons. Mais comme l’écart est faible, 1° ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont « bons » ou « mauvais » donc il y a réellement émulation, les plus doués ne passent pas en mode paresse irrémédiable (ce fut mon cas, je lutte toujours contre ça), 2° ceux qui comprennent mieux (un petit peu, donc) peuvent réellement aider ceux qui comprennent (un petit peu) moins bien. L’effet fonctionne alors à plein, sauf pour les vraiment nettement plus mauvais (mais ils passent rapidement à la classe de niveau moindre, pendant que les tous meilleurs… ) et les vraiment nettement meilleurs (qui passent à la classe de niveau supérieur… ).

      Les bonnes prépas fonctionnent comme ça. Et étrangement ça marche pas mal, malgré des classes de parfois 70 (ou plus) élèves. Alors qu’avec 25 complètement hétérogènes, les bons s’ennuient à mourir, et se mettent à mépriser leurs camarades (après avoir expliqué cinq fois un truc super simple et avoir réalisé que l’autre n’y entrave que dalle, surtout à moins de 30 ans, on a vite fait de mettre l’autre dans la case « crétin irrécupérable ») pendant que ceux qui sont moins bons se mettent à haïr les premiers et à se venger en les frappant, rançonnant etc. tout en se sentant minables et que ceux du milieu, ceux pour qui l’ensemble est finalement calibré, il en ressort ET du mépris pour les « abrutis du fond » ET de la haine pour les « cranes d’œufs du premier rang ».
      Ce pays est foutu.

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