La peur de la parole

Les temps sont durs pour la parole, c’est jour de fête pour le silence.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La peur de la parole

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 janvier 2014
- A +

Par Yoani Sánchez, depuis La Havane, Cuba.

langage liberté d'expressionLes temps sont durs pour la  parole, les jours gris pour une philologue. Le principal problème n’est pas tant la recrudescence de vulgarités dans les expressions, qui se révèlent même intéressantes dans le cadre d’une analyse linguistique ou sociologique. Le plus triste c’est la réduction du langage articulé, la peur de prononcer des mots, le mutisme qui s’installe. « L’homme vrai est celui qui ne parle pas tant », m’a dit ce matin un vendeur alors que j’insistais pour savoir si les gâteaux étaient à la goyave ou à la noix de coco. Plus tard, c’est le grognement d’une fonctionnaire que j’ai eu comme réponse à ma question sur les horaires d’ouverture des bureaux. Pour clore la journée, je n’ai reçu que des haussements d’épaules comme indication de la direction des toilettes dans une cafétéria.

Que se passe-t-il avec le langage ? Pourquoi cette aversion à s’exprimer de manière cohérente à l’aide de phrases structurées ? Cette tendance à l’utilisation de monosyllabes et de signes, à la place de phrases avec sujet, verbe et complément, est très préoccupante. Qui a pu dire à tous ces gens que converser était un signe de fragilité ? Adjectiver une preuve de faiblesse ? Le phénomène se développe parmi les hommes jeunes, parce que dans les codes machistes l’éloquence est incompatible avec la virilité. Les coups, le rictus, ou le simple bredouillis ont remplacé les conversations fluides et la précision des formulations.

« Moi, je ne discute pas… » se glorifiait hier un monsieur auquel un adolescent essayait de dire quelque chose. Pendant que ce dernier argumentait, il agitait les mains comme pour prévenir qu’au lieu de mots lui préférait le code des coups. Le pire est que pour la grande majorité de ceux qui assistaient à l’altercation, c’est lui qui avait raison : ne pas tant parler et en venir aux mains. Parce que pour beaucoup, discuter c’est céder, argumenter c’est faire preuve de mollesse, essayer de convaincre c’est le lot des couards. Au lieu de cela, ils préfèrent le cri et l’insulte, peut-être l’héritage de trop de discours politiques agressifs. Ils choisissent le grognement de l’animal et les baffes.

Les temps sont durs pour la parole, c’est jour de fête pour le silence.


Sur le web. Traduction : Jean-Claude Marouby

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Peur de la parole ou constat de son inefficacité quand les mots n’ont plus le même sens pour tous ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
6
Sauvegarder cet article

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance ... Poursuivre la lecture

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que l... Poursuivre la lecture

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

<... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles