Chute de Dexia, Bâle III et crise des collectivités locales

Si la chute de Dexia est une source de tracas pour les élus locaux, elle n’est pas grand chose par rapport à une conséquence de l’adoption des normes de Bâle III

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Chute de Dexia, Bâle III et crise des collectivités locales

Publié le 6 octobre 2011
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Si la chute de Dexia, plombée par les dettes souveraines, est une source de tracas pour les élus locaux, elle n’est pas grand chose par rapport à une conséquence de l’adoption des normes de Bâle Version 3.0 : dans leur course à la liquidité, les banques vont fortement réduire leur exposition aux collectivités. Or, celles-ci sont déjà en mauvaise santé financière. La période 2012-2014 devrait donc être très difficile pour elles… Et pour les contribuables !

Par Vincent Bénard

L’une des conséquences de l’adoption des différentes normes dites de « Bâle III » est que les banques vont devoir combiner un ratio dit « de solvabilité », c’est à dire un certain niveau de fonds propres dans leur passif, et un ratio dit de « liquidité », qui doit, en gros, garantir que les actifs de la banque sont suffisamment liquides pour faire face à un stress « standard » (défini par la norme) d’un mois sur la trésorerie.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Imaginons une banque qui ne fasse que du prêt aux particuliers, et qui conserve ses prêts en portefeuilles (c’est-à-dire ne les revend pas à des investisseurs tiers via un processus de titrisation). Ce type de créance est très peu liquide : en cas, par exemple, de retraits massif de cash à ses guichets, la banque ne pourra pas revendre facilement ses créances et risque de se retrouver incapable de répondre aux demandes de retraits.

Cela provient de ce que la banque classique « emprunte court », c’est à dire que ses dépôts sont immédiatement exigibles par ses déposants, et prête à moyen ou long terme. Ce risque s’appelle le risque de liquidité. Les banques ont donc pris pour habitude de conserver une part d’actifs très liquides dans leurs bilans. Mais sans doute pas assez, selon le régulateur, au vu de la crise actuelle.

La norme Bâle III imposera aux banques de détenir un « pool » de liquidité au sein de leurs portefeuilles d’actifs. Il s’agira d’actifs que la banque pourra vendre en 24 heures, en gros. La valeur de ce pool de liquidité sera divisée par le « risque de fuite » de capitaux sur un mois selon un scénario de stress test standard, et le ratio ainsi calculé, le… LCR, on ne rit pas, (Liquidity Coverage Ratio), devra être supérieur à 100%.

Le ratio étant plus sévère que ce que les banques ont l’habitude de pratiquer, elle vont devoir réallouer leurs portefeuilles d’actifs vers plus de liquidité. Et donc elles vont devoir réduire la part de leurs créances illiquides en portefeuille.

Je ne m’attarderai pas aujourd’hui sur ce qui me gêne le plus dans ces normes (j’ai éreinté Bale I et II il y a quelques temps, et j’en ai autant pour Bâle III), mais je me contenterai aujourd’hui d’évoquer une de leurs conséquences collatérales : un gros « liquidity crunch » pour les collectivités locales.

La chasse aux actifs illiquides est ouverte

Or, en France, et contrairement aux USA où il existe un marché obligataire pour les collectivités locales (les « muni bonds », une niche fiscale nette d’impôts très prisée des fonds de pension, banques et hedge funds, mais actuellement touchés de plein fouet par la crise de financement des collectivités US), les créances aux collectivités sont très peu liquides : les banques traditionnelles vont certainement réduire leur encours sur cette ligne d’actifs. Cela m’a été confirmé de vive voix par le DF d’une banque régionale affiliée à un grand réseau national.

Pour tout arranger, la principale banque de prêt aux collectivités locales, Dexia, est en quasi-faillite, à cause de son exposition aux dettes souveraines. Et ce ne sont pas les ratios de liquidité de la BNP ou de la Générale qui vont leur permettre de prendre le relais, comme le montre ce tableau publié par ZeroHedge (où le Crédit Agricole ne figure hélas pas). Inutile de dire que le carré rouge est celui où il vaut mieux ne pas se trouver en ce moment :

 


En abscisse, la liquidité des actifs rapportée aux besoins de financement à un an, en ordonnée la dépendance aux financements à court terme…

Bref, la situation des banques françaises est tellement mauvaise en termes de risque de liquidité qu’aucune pression gouvernementale ne leur fera augmenter, à ce jour, l’exposition aux prêts classiques, à commencer par ceux aux collectivités.

Asphyxie financière en vue

Résultat : nombre de communes ou de conseils généraux ne trouvent plus de banques prêts à leur prêter de l’argent et nombre d’appels d’offre envers les banques sont désormais infructueux (exemple).

Pire encore, selon Standards and Poors (étude PDF, résumé en Français), un bon tiers des conseils généraux étaient au mois de mai dans une « impasse budgétaire ». 25 d’entre eux ont eu recours à des « artifices comptables » pour boucler leur budget.

Enfin, faut-il rappeler que nombre de collectivités ont contracté, en toute incompétence, des prêts « structurés » à taux variable dont les taux, calculés sur des indices exotiques, ont explosé ?

Dexia est évidemment hors jeu. Bien sûr, le gouvernement annonce un « plan de sauvetage », mettant en jeu la banque postale et la caisse des dépôts. Sans même ironiser sur la crédibilité de ce plan, proche de zéro, le repreneur, quel qu’il soit, devra se montrer prudent dans un monde incertain, et manger de grosses pertes sur la liquidation du portefeuille d’actifs malades de Dexia.

Et on voit mal un marché des muni-bonds à la française se créer aujourd’hui dans un contexte aussi déplorable : la titrisation des créances douteuses ne fera pas recette en temps de crise. Bref, pour de nombreuses collectivités, il n’y a aucun espoir de refinancer les prêts arrivants à échéance par simple Roll Over, les moins malades devant quant à elles compter avec des taux d’intérêts en forte hausse.

Oh, et ce n’est pas l’État, qui transfère annuellement 85 milliards aux collectivités, qui risque d’augmenter sa contribution. Déjà qu’il doit « sauver la Grèce »… Défense de ricaner bêtement, la-bas, dans le fond.

Vers des réveils très douloureux pour la Fonction Publique Territoriale

Aussi il faut s’attendre à de très graves difficultés pour les collectivités les plus fragiles en 2012-2014, et à des hausses d’impôts spectaculaires… Après les législatives. Hausses qui achèveront sûrement de plomber la croissance, les budgets des ménages… Et augmenter les sinistres de crédit bancaire. Tout va bien, on vous dit.

Autres victimes, les professionnels du BTP, qui dépendent en partie d’achats publics, vont également subir une contraction importante de leur carnet de commandes pourtant déjà fortement mis à mal depuis 2008.

Beaucoup de fonctionnaires se croient protégés par leur statut et par la capacité de leur employeur d’augmenter les impôts pour garantir leurs avantages et leurs salaires. Attention, le réveil pourrait être très douloureux : faute d’argent des autres, l’État providence (au sens large) est en train d’imploser, et nombre de ses obligés vont comprendre rapidement la signification du terme « faux droit ».

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Sur le web

Lire également :
Une critique de l’approche technocratique de Bâle III par Chris Whalen (en anglais)
En finir avec les accords de Bâle
(Théorie) Comment l’État fragilise l’économie en prétendant la réguler
La loi des conséquences inattendues des actions de l’État

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  • Les collectivités locales hurlent au sarkozysme primaire, mais ça est, nous sommes équipés.
    Nous avons ce qu’il faut de rocades autour de trous où ne passe jamais personne, chaque centimètre carré du territoire a son rond-point surmonté d’une hideuse œuvre d’art, nous avons des Hôtels de Région plus somptueux les uns que les autres, le monde entier nous envie notre fonction publique territoriale, nos hypermarchés sortant comme les champignons après la pluie et nos TER vides.
    Qu’ils cessent de pleurnicher, les temps sont durs pour tout le monde, qu’ils consacrent NOS impôts, en bons pères de famille, au remboursement de LEUR dette, intérêt et capital. Sinon, ils ne seront pas réélus.
    Vous dites que ceux qui seront élus à leur place feront pareil ? Ah bon.

  • Ca peut être aussi une bonne nouvelle que les collectivités locales ne trouvent plus de financement:
    Une occasion pour arrêter l’inflation de fonctionnaires territoriaux, de construction de Palais de nabab pour les conseils régionnaux, de stoper le délire des ronds points et tant d’autres gaspillages en petits fours divers et variés.

    Evidemment, il y a aussi le risque que ces parasites ne fassent qu’augmenter les impots et taxes locales… On est en France après tout…

    Quand à Dexia… Pour quoi le con-tribuable doit il la sauver vu que ce sauvetage sera une triple peine:

    – On paye pour le sauvetage en lui-même.
    – On paye une deuxième fois avec l’augmentation des impots locaux.
    – On paye une 3 ieme fois pour sauver et recapitalier la banque postale et le CDC qui auront plongé à cause de la reprise des créances douteuses.

    Super ce plan. Vraiment!
    On comprend qu’il faille faire de longues études à L’ENA pour penser à un plan aussi médiocre.

  • L’économie étant rationnelle et les « collectivités locales » un haut lieu au pire de corruption au mieux de gabegie et dans tous les cas de clientélisme il est logique que ces « collectivités locales » ( décentralisation =+ 20% du PIB ) soient confrontés à la réalité économique.

  • deux questions:peut on imposer les gens a l’infini ou existe il un seuil ou l’impot nouveau ne rentre plus.autre question:pourquoi les banques françaises ont elles le moins bon ratio fonds propres-actifs?sinon d’accord avec les trois précédents commentaires

  • Article de qualité mais qui commet une erreur d’analyse. Contrairement à l’Etat les collectivités locales ont un budget décomposé en deux seconds : fonctionnement et investissement. La première est – schématiquement équilibrée par l’impôt local et les dotations d’Etat – et la seconde pour l’emprunt.

    Ce qui signifie que l’emprunt est vertueux pour le monde local car il finance des investissements contrairement à l’Etat.

    Et la grande différence entre l’Etat et le monde local réside dans le fait que les collectivités locales n’ont pas besoin de l’emprunt !! Trop d’analystes l’oublient ( y compris Standard). Je m’explique l’essentiel des compétences obligatoires des collectivités locales et de leurs dépenses obligatoires sont financés par l’impôt et les dotations d’Etat. L’investissement ? il est facultatif. En as de persistance de la crise bancaire, les départements ne construiront plus de collèges mais entretiendront ceux qui existent…

    Bref le secteur public local français va encore affiché plus de 39 milliards d’autofinancement cette année pour une dette inférieure à 155 milliards. Et s’il ne parvient pas à se financer sur le marché bancaire, il réduira violemment ses dépenses d’équipement comme il l’a fait en 2009. Seules les collectivités politiquement irresponsables ( c’est à dire celles dont les élues poursuivent un effort d’investissement en 2012) connaîtront des difficultés financières.

    Ce scénario est certes regrettable pour l’économie et le monde du BTP ( le secteur public représente 50 à 55 milliards de commande publique par an). Mais encore une fois, les collectivités locales ont toutes les cartes en mains pour corriger leur situation financière, qui est déjà excellente .

    • « l’emprunt est vertueux pour le monde local car il finance des investissements  »

      Distinction illusoire. Tenter de dicter le niveau d’investissement autoritairement, au lieu de laisser cet argent dans la poche de ceux qui l’ont gagné et les laisser, eux, investir, c’est risquer le malinvestissement presque à coup sûr (privant les structures qui en auraient besoin de capital frais), ajouter plusieurs couches d’inefficience économique en plus d’introduire des conflits d’intérêt et de l’aléa moral.

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