L’IA est-elle un GADGET de riches comme le pense JANCOVICI ?

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Illustration de couverture : L'ingénieur et écologiste français Jean-Marc Jancovici. Photo AFP.

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L’IA est-elle un GADGET de riches comme le pense JANCOVICI ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 mai 2025
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Jean-Marc Jancovici serait-il en train de se forger la future notoriété pompeusement ridicule de ce haut fonctionnaire français, initiateur du Minitel, qui, en 1994, estimait dans un rapport destiné au Premier ministre de l’époque que si Internet ne manquait pas d’atouts, son manque de fiabilité et de sécurité ainsi que ses faiblesses en matière de voix et d’images le rendaient non seulement impropre aux services commerciaux, mais, plus généralement, incapable de “constituer à lui tout seul le réseau d’autoroutes mondial” de l’information ?

Trente ans plus tard, au regard de ce que l’on connaît maintenant d’Internet, qui est devenu l’outil le plus utilisé et le plus partagé de toute l’humanité, on rit devant tant de fallacieuses certitudes si précocement assénées. La prospective n’est certes pas tâche aisée. Par définition, à l’instant où l’on parle, le futur n’est pas connu. Mais par bonheur, notre expérience d’événements antérieurs proches de ce que nous vivons à l’instant t et un peu de jugeote nous aident à naviguer vers l’avenir.

Il est cependant des moments où la modestie s’impose. Quand la révolution qui se fait jour, en l’occurrence l’émergence de ce que l’on regroupe aujourd’hui sous l’appellation “intelligence artificielle” ou IA, nous confronte à des situations technologiques et sociales radicalement nouvelles, dont nous sommes encore incapables de mesurer précisément l’ampleur des applications et des retombées, les bonnes comme les moins souhaitables, peut-être serait-il judicieux de donner sa chance à l’évolution en cours, de la laisser se développer dans toutes ses potentialités, plutôt que de l’étouffer dans l’œuf sans autre forme de procès.

Surtout si les arguments avancés dans ce but comminatoire relèvent plus de l’approximation et de l’amalgame boiteux trempés dans l’idéologie de l’épuisement des ressources et de la décroissance que d’un raisonnement froidement scientifique. Or c’est précisément ce à quoi Jean-Marc Jancovici s’est livré récemment sur France Inter pour condamner irrémédiablement l’IA (vidéo ci-dessous, 50″) :

Jean-Marc Jancovici sur le développement de l’IA : “Dans un monde aux ressources finies, qu’on fasse des gadgets à la place des trucs essentiels, ça m’ennuie” #le710inter pic.twitter.com/5Zq2eYKDg3

— France Inter (@franceinter) May 19, 2025

Résumons : M. Jancovici regrette que, “dans un monde aux ressources finies”, des entreprises et des fonds d’investissement décident de consacrer 109 milliards d’euros pour le développement de l’IA, qui n’est selon lui qu’un “gadget” visant à amuser les 5 % de la population “qui sont encore les gagnants de la mondialisation”, alors que dans le même temps, des “trucs essentiels” sont totalement négligés ; notre forêt française, par exemple, qui serait “en train de crever”, faute des crédits étatiques nécessaires.

De sa part, une telle prise de position n’est guère étonnante. Ingénieur polytechnicien, spécialiste des questions énergétiques et promoteur inlassable d’une énergie décarbonée à travers son cabinet de conseil Carbone 14, son think tank The Shift project et sa qualité de membre du Haut Conseil pour le climat , il a marqué des points dans certaines sphères écologistes “réalistes” en privilégiant le nucléaire et l’hydroélectrique sur les formules renouvelables non pilotables comme le solaire et l’éolien. Il n’en reste pas moins foncièrement malthusien, c’est-à-dire saisi de terreur à l’idée que les ressources de la Terre sont en plein épuisement tandis que la population mondiale explose :

“La nature, la planète, n’acceptera pas d’avoir 10 milliards d’habitants sur Terre ad vitam aeternam, vivant comme aujourd’hui, puisqu’on a déjà dépassé six limites planétaires.” (Jancovici, FranceInfo, mai 2022)

[À noter que des chercheurs en écologie ont identifié neuf limites planétaires à ne pas dépasser (le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, l’acidification des océans, la pollution chimique, etc.) et que, selon un rapport du gouvernement, la France aurait dépassé six de ces neuf limites en 2019.]

Les solutions de Jean-Marc Jancovici ? Les mêmes que celles de Thomas Malthus en 1800, les mêmes que celles des rédacteurs du célèbre rapport intitulé The Limits To Growth (Les limites à la croissance) du Club de Rome en 1972 : réguler la démographie par la limitation autoritaire des naissances à l’échelle de la planète. Bonus spécial Jancovici : “ne pas mettre tout en œuvre pour faire survivre les personnes âgées malades”, âgées signifiant pour lui 65 ou 70 ans. Vous parlez d’un humanisme…

Pas d’étonnement, donc, mais ne nous privons pas pour autant de décortiquer (en cinq points) sa déclaration sur l’IA.

Premier point qui, je l’espère, va vous rassurer : si la forêt française est sans doute ponctuellement sujette à un certain nombre de maladies, comme tous les êtres vivants, elle n’est certainement pas en train de crever. Je dirais même qu’elle a traversé les révolutions industrielle et numérique avec un brio remarquable puisqu’elle occupait 8,9 millions d’hectares en 1840, soit environ 16 % de la France hexagonale et de la Corse, et qu’elle en totalise aujourd’hui (2023) 17,5 millions, soit 32 % (IGN, inventaire forestier).

Second point, la mise en vis-à-vis des 109 milliards d’investissements annoncés pour l’IA en France et du milliard d’euros de budget annuel de l’Office national des forêts est trompeuse, car la première somme relève de financements privés tandis que la seconde est issue du budget de l’État. De plus, dans une économie en croissance harmonieuse, il n’y a aucune raison qu’on ne puisse s’intéresser en même temps à l’IA, aux forêts et à de nombreux autres sujets tout aussi importants pour le développement humain.

Il y a au contraire fort à parier qu’une économie en décroissance, une économie de pénurie pour la nommer plus concrètement, pousserait à faire des choix qui deviendraient rapidement des tris pas forcément très honorables d’un point de vue humaniste. Il suffit de se rappeler la période du Covid, quand on manquait de masques, de lits et de respirateurs par rapport au nombre de malades, pour en prendre conscience.

Le troisième point concerne justement la décroissance que semble appeler la crainte de l’épuisement des ressources soulignée par Jancovici dans sa diatribe. Bien sûr que la Terre est finie. Bien sûr que ses ressources représentent des volumes physiques strictement délimités. Bien sûr qu’elle n’abrite qu’un nombre fini d’atomes.

Mais d’une part, nous sommes très loin d’en apercevoir la fin, et d’autre part, ce qui compte vraiment au regard de l’amélioration des conditions de vie des humains, ce sont moins les atomes en tant que tels que leurs possibilités de combinaisons. Or celles-ci sont infinies, pour peu que l’homme ait la liberté d’inventer de nouvelles façons d’utiliser les ressources existantes. On appelle cela l’innovation.

Mon quatrième point porte sur la distinction entre “trucs essentiels” et non essentiels opérée par Jancovici. Il apparaît que pour lui, l’entretien des forêts est une activité essentielle tandis que la recherche en IA ne serait qu’un gadget – et un gadget pour riches mondialisés, en plus. La formule importante dans cette affaire est “pour lui”. M. Jancovici nous fait part de ses préférences ; très bien, c’est son droit. Mais ses préférences doivent-elles être aussi les préférences de tous les hommes sans exception ?

Encore une fois, la période Covid est riche d’enseignements. À l’époque, le gouvernement obligeait les commerces à rester fermés, sauf pour les produits dits “essentiels”. Ceci donna lieu à des batailles sans fin pour savoir si les livres ou les chaussettes pour enfants de moins de trois ans relevaient ou non de cette définition. On a vite compris que ce qui était essentiel pour l’un ne l’était pas forcément pour l’autre, et vice-versa.

Il s’avère en effet que les humains ne sont pas des clones interchangeables, mais des êtres dotés de besoins, d’aspirations et d’opinions aussi diverses qu’il y a d’individus sur Terre. Autrement dit, tout produit, tout service a des qualités essentielles pour une personne ou pour une autre. Décréter à l’échelle d’un groupe, d’un pays, d’une société que certaines choses sont dorénavant non essentielles pour tout le monde ne peut se faire que de façon autoritaire.

J’en arrive à mon cinquième et dernier point. L’IA est-elle un simple “gadget” de riches comme le prétend Jancovici ? S’il est sans doute un peu tôt pour se prononcer de façon définitive, on peut cependant remarquer qu’elle a déjà profondément transformé certaines activités humaines. En particulier, elle permet d’accroître la productivité des professionnels, elle permet d’obtenir de la croissance économique en plus, ce qui dégage de l’argent pour améliorer l’éducation, la santé, les transports, l’environnement, etc. et du temps pour s’intéresser à d’autres choses. Aux forêts de M. Jancovici, par exemple, lesquelles gagneront sans doute à être surveillées en permanence à distance par une IA reliée à des capteurs dédiés. J’imagine.

De plus, il n’est pas inutile de se rappeler que tous les grands changements technologiques au cours des siècles – le feu, l’écriture, l’imprimerie, la machine à vapeur, les antibiotiques et la révolution numérique – ont soulevé leur lot de questionnements et de craintes. L’impression que “c’était mieux avant”, l’inquiétude vis-à-vis de tout changement annoncé et l’adaptation lente et frileuse à toute nouvelle donne économique – on les a vues et on les voit encore se répliquer à toutes les époques en fonction des révolutions technologiques qui affectent durablement l’activité économique. Il n’y a dès lors aucune raison que l’IA échappe à cette prudence de nature quasiment anthropologique.

Mais il n’y a pas de raison non plus de rejeter toute évolution avant même qu’elle ait commencé, comme le fait Jean-Marc Jancovici dans une redoutable combinaison de mauvaise foi et d’idéologie. Les exemples cités plus haut sont là pour montrer que l’humanité a su accueillir le progrès technique tout en gardant la tête froide, tandis que les ratiocinations de M. Jancovici montrent que toute perspective de progrès humain, parce qu’elle implique une activité économique en croissance, désole les écologistes.

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