Et revoilà la vieille arnaque de la baisse des dépenses en tendance

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Et revoilà la vieille arnaque de la baisse des dépenses en tendance

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 octobre 2024
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Oh, bien sûr, les situations politique et économique présentes de la France sont particulièrement délicates, pour ne pas dire explosives.

D’un côté, les comptes publics, bien partis pour se solder par un déficit de plus de 6 % du PIB à la fin de cette année, et ce dans un contexte de pression fiscale et d’endettement superlativement élevés, témoignent de l’absolue débandade des finances publiques. De l’autre, les élections législatives consécutives à la dissolution opérée par le Président de la République Emmanuel Macron au soir de la défaite de son camp lors des élections européennes de juin dernier ont donné naissance à trois grands blocs dont aucun ne dispose de la majorité absolue.

On imagine bien l’étau dans lequel le nouveau Premier ministre Michel Barnier (LR) doit tenter de se mouvoir. Il risque la double censure de l’Assemblée nationale et des marchés financiers à chaque petit pas. Et il est vrai également que le calendrier politique résultant de la dissolution ne laisse guère de temps au gouvernement pour réfléchir sérieusement à ce que devrait contenir le Projet de loi de finances pour l’année à venir (PLF 2025).

M. Barnier semble parfaitement conscient de tout cela. Il a admis en prenant son poste que ce qui l’attendait à Matignon serait difficile, mais il a aussi promis qu’il allait se “retrousser les manches” au nom d’une certaine idée qu’il se faisait de la France. Dans sa Déclaration de politique générale du 1er octobre dernier, il s’appuyait même sur un ordre de mission du général de Gaulle enjoignant à un aide de camp envoyé en 1942 aux États-Unis de “faire beaucoup avec peu” pour donner le ton des efforts que la France devait maintenant consentir. Fort bien.

Mais dans ce cas, pourquoi faut-il ensuite que nos hommes du budget retombent immédiatement dans leurs vieilles habitudes madrées visant à faire passer des hausses de dépenses publiques pour des baisses savamment orchestrées par les soins de leur expertise supérieure ?

Le PLF 2025 n’est pas encore connu, il ne sera transmis au Parlement que le jeudi 10 octobre. Mais un certain nombre de chiffres ont d’ores et déjà été annoncés par le Premier ministre et d’autres ont fuité dans la presse. Selon les propres déclarations de Michel Barnier, l’effort demandé aux Français en 2025 se monterait à 60 milliards d’euros répartis entre 40 milliards de baisses de dépenses et 20 milliards d’impôts supplémentaires. Un tiers d’effort en hausse de la fiscalité et deux tiers en baisse des dépenses. “Ce freinage, il est indispensable, sinon on va droit vers une crise financière,” a prévenu le Premier ministre dans la foulée.

Selon différents organes de presse en revanche (ici, ici et ici), le document de cadrage budgétaire transmis pour l’instant au seul Haut Conseil des finances publiques ferait état d’un effort de 39 milliards d’euros, donnant la part belle à l’accroissement des impôts (24 milliards) et ramenant les économies à réaliser à 15 milliards (*). Au final, les prélèvements obligatoires progresseraient de 42,8 % à 43,6 % du PIB, soit +0,8 points, tandis que les dépenses, quoique baissant de 56,8 % à 56,3 % relativement au PIB, augmenteraient néanmoins de 2,1 % en valeur entre 2024 et 2025, soit plus vite que l’inflation prévue.

De plus, si l’on voit bien où l’effort fiscal portera (principalement sur les 300 plus grosses entreprises et les 65 000 familles les plus riches), les pistes de baisse des dépenses restent plus floues et ressemblent pour certaines à de bonnes intentions fort aléatoires à mettre en Å“uvre. Ce qui fait craindre à un certain nombre de responsables politiques de droite ou macronistes qu’on se retrouve avec “un budget qu’aurait pu signer François Hollande” tandis que les socio-démocrates se réjouissent de voir que leur appel à plus de « justice fiscale » a été entendu.

Bercy persiste cependant à dire que l’effort demandé est bien de 60 milliards au total dont 40 milliards de baisse de dépenses. Le raisonnement est le suivant : si l’on ne fait rien, le déficit public atteindra 7 % du PIB en 2025. Or il est bien question de le ramener à 5 %, soit un mieux de 2 % de PIB, autrement dit à peu près 60 milliards. Bref, on nous refait le coup de la baisse “en tendance” bien connue des gouvernements français depuis des années. Les dépenses publiques vont augmenter mais moins vite qu’en 2024, donc en fait elles baissent (sic).

De budget en budget, l’enjeu est toujours le même : comment faire redescendre notre déficit public en-dessous des 3 % du PIB exigés par le Pacte de stabilité et de croissance de la zone euro ? Il y a deux possibilités : soit on augmente les recettes, c’est à dire les impôts et les cotisations sociales, soit on diminue les dépenses. Et chaque période budgétaire s’ouvre invariablement sur la même rengaine : cette fois, on le dit et on va le faire, on va économiser des milliards !

Et pourtant, quand on lit la presse à ce sujet, que ce soit aujourd’hui ou il y a dix ans, on est troublé par une petite formule qui vient et revient semer le doute sur la réalité de ces économies : “Par rapport à une tendance initiale de forte augmentation des dépenses”, “par rapport à la hausse tendancielle”, “par rapport à ce que serait leur accroissement naturel.” Cela signifie que les économies ne se réaliseront pas par une baisse effective des montants dépensés d’une année sur l’autre, mais par une augmentation plus faible que d’habitude.

Prenons un exemple : en 2023 vous avez dépensé 80, puis en 2024 vos dépenses sont passées “naturellement” à 100. Selon les économies à la sauce Bercynoise, vous êtes dans une hausse tendancielle de 20, mais par un superbe effort de volonté vous décidez de limiter la hausse à 10 pour 2025. Vous avez donc économisé 10 tout en portant le montant de la dépense à 110, soit une augmentation réelle de 10 %.

Patientons encore quelques jours et nous verrons effectivement de quoi le PLF 2025 sera fait. Mais permettez-moi de m’inquiéter. Comment les anciennes méthodes bâties sur l’illusion de la baisse des dépenses publiques, ces méthodes qui nous ont menés d’année en année au point de proche faillite où nous sentons que nous sommes en train d’arriver – comment, donc, ces méthodes pourraient-elles déboucher sur un autre résultat que celui qu’on a toujours connu, c’est-à-dire l’aggravation de nos comptes publics ?

La baisse des dépenses publiques dont nous avons besoin est d’une tout autre ampleur et elle exige une méthode bien différente de celle qui se contente de petits mouvements de curseurs “en tendance”. Les pouvoirs publics doivent examiner leurs dépenses ligne à ligne, en renforcer certaines, en éliminer d’autres et en réduire d’autres encore, non sans que le pays ait procédé au préalable à une analyse sans concessions des missions de l’État et des avantages et des inconvénients de notre modèle social.

Je pense pour ma part que si le fondement politique de tout nouveau gouvernement consiste à sauver ce modèle social coûte que coûte et à réparer les carences de la gestion de l’État en taxant systématiquement les forces productives du pays comme on le fait depuis trop longtemps, il ne nous restera plus que nos yeux pour pleurer.

(*) Edit du 10 octobre 2024 : le PLF 2025 ainsi que l’avis [1] du Haut Conseil des finances publiques ont été publiés ce jour. Pour ce dernier, « l’effort » demandé se monte finalement à 42 milliards d’euros, dont 30 milliards en prélèvements obligatoires (soit 71,4 %) et 12 milliards en baisse de dépenses (soit 28,6 %). On est loin du 1/3 impôts et 2/3 dépenses claironné partout par Michel Barnier.

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  • Ce n’est pas en nommant 39 ministres qu’il fera des économies. Rien que cela trahi sa volonté de ne rien changer. Il aurait fallu donner un signe fort à la population en s’en tenant aux indispensables: économie, intérieur, justice, armé et diplomatie. Le reste est du placement malvenu de copains et d’affidés de Macron!

  • Avez vous entendu des français dire qu ils acceptent de baisser leur niveau de vie pour redresser le pays……aucun……tous campent sur leur position…..c est les voisins les autres qui doivent payer…..
    L égocentrisme gaulois pavane……

    • Ben si Doda, tous ceux que BFM a fait parler disaient “ah ben si ça peut redresser les finances”…
      Bon, pas les fonctionnaires hein, eux se font discrets, car Barnier parle de baisser l’indemnisation des arrêts de travail, mais pas d’appliquer au public les 3 jours de carence du privé, entre autres….

  • Tout le monde dit que Barnier a un chemin de crète très étroit.
    Je pense au contraire qu’il est en position de force :
    1 ) personne ne veut être 1er Ministre car tout le monde sait que ça passe par des réformes qu’on pense impopulaires).
    2) tout le monde sait que la situation est catastrophique (pas que du point de vue financier)
    3) Barnier n’a strictement rien à perdre (à moins d’imaginer qu’il se rêve Président)
    De ce fait, Barnier a une carte “c’est comme ça ou je pars” à jouer. Et au besoin, en jouant l’opinion publique contre la classe politico-jacassante.
    Bon après, n’est pas Milei qui veut.

    • Malheureusement, ne suis pas certain qu “tout le monde” ait conscience de la situation. Notamment dans les milieux de gauche… Quand on les entends parler d’austérité pour ces mesurettes, on est mal barré.

  • The Real Franky Bee
    12 octobre 2024 at 7 h 12 min

    Retour de l’ISF, taxes sur le gaz, augmentation du SMIC, élargissement des prêts à taux zéro, voici le choc budgétaire à la française en action. Attendez les premières secousses, et vous verrez sûrement fleurir les premiers chèques à destination d’un tel ou un tel.

    De toute manière, nous n’avons pas vu l’esquisse d’un diagnostic économique, au-delà de la question du déficit qui n’est qu’une partie du problème.

    Quid de l’absence de gains de productivité depuis des lustres ? Du déficit commercial abyssal ? De la fuite de certains talents (je ne parle pas de Mbappé) ? De l’endettement de plus en plus élevé des ménages du fait de l’immobilier ?

    Prétendre s’attaquer au problème de la dette publique sans même toucher du doigt ces sujets, autant pisser dans un violon du côté de Matignon.

  • Merci pour cet article éclairant.
    Je suis effarée de voir qu’on appelle “baisse des dépenses de l’Etat” ce qui est en réalité une réduction de ce qui est reversé aux concitoyens après leur avoir été prélevé sur leurs revenus ! Exemple : repousser la revalorisation des retraites : ce n’est pas une baisse de la dépense de l’Etat ! Réduction de la prise en charge de la consultation médicale, ce n’est pas une baisse de dépense de l’Etat ! Tout cela est une baisse de la redistribution avec, aberration suprême, une augmentation de ce qui est prélevé sur les revenus de chacun !
    Ce que représenterait en bon français une “baisse de la dépense de l’Etat”, ce serait la réduction du budget de fonctionnement des ministères ou du domaine d’intervention de l’Etat. Bref ce qui constitue réellement une “dépense” en bon français.
    A propos de “bon français” Nathalie, pourquoi écrivez-vous “Edit” du xxx ? Edit ? Soit c’est “Modification” soit “Complément”, mais pas “Edit”, car “edit” c’est anglais, et en français ce mot tel quel n’existe pas. Tandis que dans le langage américanisé de nos téléphones et nombre de logiciels, “éditer” est bien utilisé pour dire “modifier” tout simplement parce qu’il n’a pas été traduit ! En français, le verbe éditer est synonyme de imprimer…
    Voilà qui me fait penser au foot et à ce “championnat” devenue “ligue”, et surtout à ses “poules”, qui permettent d’utiliser oralement des mots anglais… trop drôle que nos footeux bien virils acceptent d’être pris pour des poules mdrrr

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