« Apprendre des expériences étrangères » #3 : Le modèle hybride chinois

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« Apprendre des expériences étrangères » #3 : Le modèle hybride chinois

Publié le 14 août 2024
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Le développement de l’économie chinoise est souvent décrit comme un modèle hybride en raison de sa combinaison unique d’éléments de l’économie planifiée et de l’économie de marché. Ce modèle a permis à la Chine de devenir l’une des plus grandes économies du monde en quelques décennies. En même temps, équilibrer les éléments de deux ordres différents reste un véritable art.

 

Avant de discuter du modèle hybride, il importe de noter que la Chine a traversé des expériences coûteuses et douloureuses dans sa quête d’une voie de développement appropriée, par exemple lors du Grand Bond en Avant qui fut une catastrophe à l’échelle nationale.

 

Réformes économiques de 1978 et triomphe du pragmatisme

En 1978, sous la direction de Deng Xiaoping, la Chine a initié une série de réformes économiques visant à ouvrir l’économie et à intégrer des éléments de marché tout en maintenant le contrôle centralisé du Parti communiste chinois. La politique de la porte ouverte a encouragé les investissements étrangers et l’exportation, catalysant la transformation économique. Le but de la Chine n’était pas d’implémenter un modèle de l’économie de marché classique préconisée par l’Occident mais de faire face au double défi de moderniser le pays tout en maintenant la stabilité sociale dans la transformation radicale d’une économie obsolète.

Avant ces réformes, une « émancipation des esprits » a eu lieu parmi les dirigeants et la population.

Deng Xiaoping a illustré ce changement radical par deux célèbres citations.

La première, « Peu importe que le chat soit noir ou blanc, l’important est qu’il attrape la souris », rejette l’approche dogmatique et idéologique au profit de l’efficacité économique. La seconde, « Traverser la rivière en tâtant les galets sous l’eau », préconise une méthodologie prudente et progressive, contrastant avec l’approche de choc adoptée par Gorbatchev.

Cela a mené à des expérimentations comme la création des Zones économiques spéciales (ZES). Ce pragmatisme, basé sur la prudence et l’ajustement aux réalités concrètes plutôt que sur une idéologie stricte, a été crucial pour l’adoption du modèle hybride de développement.

 

Économie de marché socialiste

Appelée l’économie de marché socialiste, ce modèle a émergé à partir des réformes économiques initiées des années 1970. Il est toujours en vigueur avec certaines modifications.

Réformes économiques et Zones économiques spéciales (ZES)[1]

La Chine a activement attiré les investissements étrangers par la création de zones économiques spéciales et par des politiques favorables, contribuant à la modernisation industrielle et à l’acquisition de technologies.

Démarrées dans les années 1980, les réformes ont permis de redistribuer les terres aux agriculteurs, augmentant ainsi la productivité agricole et leur permettant de vendre leurs produits à des prix librement fixés au-delà des quotas. Les Zones économiques spéciales (ZES) ont été créées pour attirer les investissements étrangers et expérimenter des réformes économiques avec une régulation plus souple et des avantages fiscaux. Les premières ZES les plus célèbres sont celles créées en sous le gouvernement de Deng Xiaoping, notamment Shenzhen, qui est passée de simple village à une ville de plus de dix millions d’habitants en une vingtaine d’années.

Le succès de Shenzhen a inspiré des politiques similaires dans d’autres régions de Chine. En 2014, la Chine comptait 6 ZES, 14 villes côtières ouvertes, 4 zones pilotes pour le libre-échange et 5 zones pilotes pour la réforme financière. Elle possédait également 31 zones franches, 114 parcs de développement high-tech, 164 parcs de recherche agronomique, 85 parcs éco industriels, 55 zones de démonstration écologique et 283 zones de démonstration des techniques modernes d’agriculture.[2]

Propriété mixte

Sous le pilotage de SASAC (State-owned Assets Supervision and Administration Commission), les entreprises d’État (SOE) jouent un rôle crucial, particulièrement dans les secteurs stratégiques comme l’énergie, les télécommunications, les transports et les grandes banques et services financiers. Certaines de ces SOE sont cantonnées à un secteur, la moitié d’elles sont des conglomérats géants classés dans les TOP500.

Depuis les réformes, le secteur privé a explosé et contribue significativement à la croissance économique, l’innovation et l’emploi. Les PME et les grandes entreprises privées sont des moteurs importants de l’économie.

Interventions étatiques

Bien que l’économie soit largement orientée vers le marché, la planification centrale reste clé, notamment dans l’allocation des ressources pour les projets de développement infrastructurel et technologique. Les plans quinquennaux et ceux thématiques tels que Made in China 2025 définissent les orientations stratégiques en donnant les objectifs de longs termes.

Le gouvernement chinois intervient régulièrement dans l’économie pour stabiliser les marchés, contrôler l’inflation, restructurer les grandes entreprises publics ou privées et, également, gérer les crises économiques, comme par exemple, pendant la période 2008 – 2009.

La Chine maintient un contrôle strict sur les flux de capitaux pour éviter les chocs financiers externes. Les grandes banques sont principalement détenues par l’État, ce qui permet une stabilité et un soutien dirigé par l’État aux projets prioritaires.

La nomination des patrons des grandes SOE et assimilés est une partie importante du contrôle de l’État.

 

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Chine : Deng Xiaoping réformateur

 

Avantages de ce modèle hybride

Le modèle hybride de l’économie chinoise présente plusieurs avantages ayant contribué à sa réussite et à sa résilience.

La combinaison de mécanismes de marché et de contrôle étatique permet une flexibilité économique tout en maintenant une stabilité macroéconomique. Le gouvernement peut intervenir pour corriger les déséquilibres du marché, stabiliser l’économie en période de crise, et orienter les ressources vers des secteurs stratégiques. Les autorités peuvent planifier et coordonner des projets d’infrastructure à grande échelle et des initiatives industrielles, assurant une mise en œuvre efficace et cohérente.

Le gouvernement chinois a pu diriger d’importants investissements vers les infrastructures et les industries de base, créant un environnement propice à la croissance économique rapide. En créant des zones économiques spéciales et en offrant des incitations, la Chine a attiré des investissements directs étrangers (IDE) massifs, apportant des capitaux, des technologies et des compétences de gestion modernes.

Le soutien étatique massif à la recherche et au développement a permis à la Chine de devenir un leader mondial en innovation technologique. Des villes comme Shenzhen et Hangzhou sont devenues des centres d’innovation, attirant des talents et des entreprises technologiques de premier plan.

Les contrôles stricts des flux de capitaux ont permis de protéger l’économie chinoise des chocs financiers externes et les crises de change. Les grandes banques détenues par l’État jouent un rôle crucial dans le financement des projets prioritaires et la stabilisation économique.

Le gouvernement identifie et soutient activement des secteurs stratégiques, favorisant la compétitivité globale de l’économie chinoise. La Chine investit massivement dans les énergies renouvelables et les technologies vertes, positionnant le pays comme un leader dans la lutte contre le changement climatique.

La migration massive des zones rurales vers les zones urbaines a été planifiée et soutenue par des investissements dans les infrastructures urbaines, stimulant la croissance économique. Les politiques de développement régional visent à réduire les écarts de développement entre les différentes régions du pays.

Le gouvernement chinois a démontré une capacité à répondre rapidement et efficacement aux crises, qu’elles soient économiques, sanitaires ou environnementales. La flexibilité du modèle hybride permet au gouvernement d’adapter ses politiques économiques en fonction des besoins et des défis émergents.

En conclusion, le modèle hybride de l’économie chinoise combine les forces du marché libre avec les avantages d’une planification et d’une intervention étatique ciblées. Cette approche a permis à la Chine de réaliser une croissance rapide, de réduire la pauvreté, de moderniser son économie, et de devenir un acteur majeur sur la scène mondiale.

 

Réussites de ce modèle

Le modèle hybride de l’économie chinoise a connu plusieurs réussites notables, contribuant à sa transformation rapide en une des plus grandes économies mondiales.

Croissance économique spectaculaire

La Chine a maintenu un taux de croissance économique moyen de près de 10 % par an pendant plusieurs décennies, bien qu’elle connaisse actuellement un taux moindre (5 %) face au ralentissement global et au défi de transformation de son économie en profondeur. Elle est devenue la deuxième plus grande économie mondiale en termes de PIB nominal, et la première en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA). La classe moyenne chinoise compte environ 350 à 400 millions de personnes, soit plus de six fois la population française.

Pendant la période 2013 – 2021, la Chine a contribué à hauteur de 38,6 % à la croissance mondiale, nettement supérieure aux pourcentages combinés des G7 (25,7 %).[3]

Réduction de la pauvreté

Au cours des quatre dernières décennies, le nombre de personnes en Chine vivant avec moins de 1,90 dollar par jour – le seuil de pauvreté internationale établi par la Banque mondiale pour mesurer l’extrême pauvreté mondiale – a diminué de près de 800 millions. [4]C’est une réalisation extraordinaire reflétant l’orientation socialiste de cette économie.

Modernisation industrielle

La Chine est passée d’une économie principalement agricole à une puissance industrielle majeure, produisant une large gamme de biens manufacturés. Avec des initiatives comme Made in China 2025, la Chine a fait des progrès significatifs dans les secteurs de haute technologie, y compris les véhicules électriques, l’intelligence artificielle et la 5G.

Infrastructures de classe mondiale

La Chine a construit un vaste réseau d’infrastructures, y compris des routes, des chemins de fer à grande vitesse (plus de 40 000 km), des ports et des aéroports, facilitant le commerce intérieur et international. Le modèle urbain chinois a permis l’émergence de plusieurs mégapoles modernes, soutenant la croissance économique et améliorant la qualité de vie des citadins. Son projet BRI (Belt & Route Initiative) lancé en 2013, a contribué au développement d’un nombre croissant des pays du Sud global.

Stabilité financière

Grâce à un système bancaire majoritairement public et à des contrôles rigoureux des capitaux, la Chine a évité certaines des crises financières qui ont touché d’autres économies en développement. La Chine possède les plus grandes réserves de change au monde, offrant une protection contre les chocs économiques externes.

Développement durable et environnemental

La Chine est devenue le plus grand producteur et consommateur d’énergies renouvelables, avec des investissements massifs dans l’énergie solaire, éolienne et hydraulique. Le gouvernement chinois a mis en place des politiques pour réduire la pollution et promouvoir un développement écologique, bien que des défis subsistent dans ce domaine.

 

À lire aussi : 

Réélection de Xi Jinping : les faiblesses du modèle chinois

 

Quelques faiblesses de ce modèle

Le modèle hybride de l’économie chinoise, bien que marqué par de nombreuses réussites, présente également plusieurs faiblesses qui peuvent poser des défis à long terme.

Les entreprises d’État (SOE) sont souvent moins efficaces que leurs homologues privées en raison de la bureaucratie, de la corruption possible et du manque de concurrence. Cela peut entraîner une allocation inefficace des ressources. Les SOE sont souvent fortement endettées, ce qui peut poser un risque systémique pour l’économie en cas de défaillance.

Un certain manque de transparence dans la prise de décision économique et la gouvernance des entreprises d’État peut conduire à des inefficacités et à des malversations. L’absence d’un système judiciaire indépendant peut dissuader les investissements étrangers et domestiques en raison de l’incertitude juridique.

Le désir de garantir coûte que coûte la stabilité et les réflexes paternalistes de l’État vis-à-vis de certains secteurs et certaines entreprises privées peut faire courir le risque de les surprotéger et ne pas laisser le marché fonctionner naturellement. La prise de conscience et les actions de correction sont en cours, par exemple, dans le secteur immobilier.

Le risque d’intervention constante de l’État dans l’économie peut limiter l’innovation et la croissance à long terme. Les politiques économiques peuvent être dictées par des considérations politiques plutôt que par des impératifs économiques. Le contrôle excessif de l’État peut limiter la capacité de la société civile à jouer un rôle constructif dans le développement économique et social.

 

La Commission d’État pour le Développement et la Réforme (NDRC)

Créée en 1952 sous le modèle soviétique comme Commission nationale de la Planification, elle a évolué avec les réformes économiques des années 1980 initiées par Deng Xiaoping pour inclure la transition vers une économie de marché. Renommée NDRC en 2003, son rôle s’est élargi à la réforme économique et à la gestion des grandes initiatives stratégiques.

La NDRC élabore les plans quinquennaux qui définissent les grandes lignes du développement économique et social de la Chine, coordonne les politiques macroéconomiques et ajuste les plans selon les conditions économiques actuelles. Elle supervise et approuve les grands projets d’investissement, particulièrement dans les infrastructures, en veillant à ce que les investissements publics et privés soient alignés avec les objectifs nationaux.

La Commission joue également un rôle crucial dans les réformes structurelles, améliorant l’efficacité économique et encadrant les réformes dans des secteurs clés comme l’énergie, les transports, l’innovation technologique, le développement durable et la protection de l’environnement. Considérée comme le cerveau de l’économie chinoise, la NDRC influence de nombreux aspects de la vie économique et sociale, de l’urbanisation à la politique industrielle.

Face aux défis économiques mondiaux et domestiques, la NDRC ajuste les politiques pour maintenir la stabilité et promouvoir la croissance, jouant un rôle essentiel dans la gestion des crises économiques et l’adaptation aux cycles économiques mondiaux et aux tensions commerciales.

 

Perspectives

Dans la transformation en cours de son économie, la Chine continuera à employer le modèle hybride. Elle cherche à rééquilibrer son économie, en mettant davantage l’accent sur la consommation intérieure, l’innovation technologique et le développement durable. La Chine devra naviguer entre la poursuite des réformes de marché et le maintien d’un contrôle étatique pour s’assurer que les objectifs stratégiques nationaux sont atteints.

Où se trouve le juste équilibre ? Quand faut-il trancher ? Il n’existe ni doctrine rigide ni manuel d’instructions exhaustif à ce sujet. Les ajustements relèvent d’un véritable art.

 

Références :

  • Jean-François Dufour, China corp.2025: Dans les coulisses du capitalisme à la chinoise, Maxima, Paris, 2019
  • Keyu Jin, The new China Playbook, beyond socialism and capitalism, Viking

Notes :

[1] Wikipedia : Les Zones économiques spéciales (ZES)

[2] Zones économiques spéciales (ZES ou SEZ), Géoconfluences

[3] World Bank WDI database, Oct. 18, 2022.

[4] World Bank press release: Lifting 800 Million People Out of Poverty – New Report Looks at Lessons from China’s Experience, April 1st, 2022.

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  • La politique mixte de la chine a été efficace dans une économie de rattrapage ou le plan a un objectif bien précis mais c est bel et bien fini….
    Par contre dans une économie de l innovation domine, la chine commence a avoir beaucoup plus de mal à gérer cette nouvelle phase ou le plan est totalement inopérant
    Des piliers de l économie chinoise s effondrent comme le BTP ou vacillent comme les banques
    La consommation est toujours anémiees, la population diminue et le chômage apparaît
    Les 30 glorieuses de la chine sont terminées

  • Je ne peux pas affirmer que cette analyse fasse preuve de mauvaise foi, mais elle démontre au minium une naïveté courante chez les libéraux, qui consiste à croire que l’économie est forcément pure et noble, du moment qu’elle est libérale.
    Et l’auteur oublie ou occulte délibérément que l’économie chinoise ne s’est pas développée que grâce à l’introduction d’une dose de principes libéraux, mais aussi beaucoup par l’espionnage industriel, le racket des technologies occidentales par le biais de ces accords d’implantations d’usines sous conditions, le dumping des prix, l’emploi d’une main d’oeuvre soumise à des conditions de vie dont l’URSS aurait rêvé.

    Le PCC s’est livré et se livre toujours à une véritable guerre économique contre l’occident, contre même ses partenaires asiatiques, usant de tous les stratagèmes de guerre pour écraser la concurrence, tout en se passant passer pour vertueux, au regard du droit international. Ce qu’illustre bien la citation “Peu importe que le chat soit noir ou blanc, l’important est qu’il attrape la souris”, autrement dit peu importe les moyens, pourvu qu’on parvienne à nos fins.

    On ne peut que lui reconnaître ses succès, mais au prix de la liberté de ses entreprises, de ses employés, et de son peuple en général, ce qui n’en fait pas, à mes yeux un “modèle hybride”, mais définitivement un modèle dictatorial, qui place même des agents du parti dans chaque grande entreprise pour les garder sous contrôle.

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