Liberty Road Trip est le journal de bord qu’a tenu notre auteur Rainer Zitelman lors de son tour du monde. En vingt mois, l’historien et sociologue allemand a visité trente pays sur quatre continents, et parcouru plus de 160 000 kilomètres. Il présente un mélange passionnant d’impressions personnelles, de recherches historiques, de résultats d’enquêtes internationales et, surtout, de centaines de conversations avec des économistes, des entrepreneurs, des journalistes, des politiciens et des gens ordinaires dans ces pays. Il a décidé de confier quelques unes de ses haltes à Contrepoints et après Zurich, la deuxième halte est Tbilissi.
Avril 2022 Tbilissi, Géorgie
Avant de me rendre dans un pays, j’étudie son économie et son histoire et je prends des notes.
Voici quelques faits : après l’effondrement de l’Union soviétique, de nombreux pays de l’ancien bloc soviétique ont rencontré des difficultés. Mais la Géorgie a connu une période particulièrement difficile. Devenue indépendante en 1918, elle a été occupée par l’Armée rouge en 1921 et incorporée à l’Union soviétique. Soixante-dix ans plus tard, elle accède pour la deuxième fois à l’indépendance.
La Géorgie avait un double défi à relever.
Le premier était commun à tous les anciens États socialistes, à savoir la nécessité de remplacer l’économie d’État socialiste par une économie de marché.
Le second était que la Géorgie était très dépendante de la Russie et que l’ensemble du commerce extérieur du pays était orienté vers la Russie.
Et « dès le début de son indépendance de l’Union soviétique, la Géorgie a subi les pressions agressives les plus dures de la part des autorités politiques de la Fédération de Russie », par exemple dans le secteur de l’énergie (Jandieri, Brief Economic History).
Alors que je suis en Géorgie, la Russie lance sa guerre contre l’Ukraine. Je vois des drapeaux flotter partout, exprimant la solidarité avec l’Ukraine. Paata Shehelidze, président de la New Economic School, estime que la menace d’une nouvelle agression russe contre le pays (20 % de la Géorgie est effectivement occupée par la Russie) déstabilise les investisseurs potentiels étrangers.
La menace russe n’était pas le seul problème de la Géorgie après la chute de l’Union soviétique. La situation était d’autant plus difficile qu’il y avait une absence totale de stabilité politique. Les nouveaux gouvernements se succédaient, mais il ne s’agissait pas de l’alternance normale entre l’opposition et le gouvernement que l’on observe dans la plupart des démocraties établies. Après chaque élection, le camp perdant accusait le nouveau gouvernement de fraude électorale, et ce dernier engageait régulièrement des poursuites judiciaires contre ses opposants politiques. Le parti au pouvoir a fait tout ce qu’il pouvait pour empêcher l’opposition d’entrer un jour au gouvernement.
Les années 1990 ont été marquées par le chaos politique et le déclin économique. La corruption et le crime organisé régnaient partout. Aucun esprit d’entreprise ne pouvait prospérer dans cet environnement :
« Le respect des obligations fiscales était tout simplement impossible, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. La création d’une entreprise était une idée héroïque, et tout entrepreneur pouvait devenir un criminel, simplement pour avoir commis des erreurs dans la comptabilité et le paiement des impôts. Cela est devenu un outil utile pour discréditer et opprimer les entreprises, ce qui a rendu l’économie très faible », explique mon ami Gia.
En novembre 2003, le président Edouard Chevardnadze (ancien ministre soviétique des Affaires étrangères) a été contraint de démissionner, lors de ce qui a été appelé plus tard la « révolution des Roses ». Treize ans après l’indépendance politique de la Géorgie, Mikheil Saakashvili a lancé un programme de réformes de l’économie de marché. Le nombre de types d’impôts a été réduit, passant de 22 à sept (ils ne sont plus que six aujourd’hui) et l’impôt sur le revenu des personnes physiques a été ramené de 39 à 20 %. De vastes privatisations ont été lancées et des mesures ont été prises pour lutter contre la corruption.
La Géorgie a adopté une approche très radicale contre la corruption, qui a porté ses fruits. Gia rapporte que l’ensemble des 35 000 policiers du pays ont été licenciés d’un seul coup, et qu’environ 15 000 nouveaux policiers mieux payés ont été engagés. Pendant la phase de transition, la criminalité n’a pas augmenté, car les pires bandits étaient les policiers eux-mêmes. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de crime organisé en Géorgie, car l’État applique une politique de tolérance zéro.
Toutefois, le fait que les réformes aient permis d’éliminer des pans entiers de règles et de réglementations inutiles est au moins aussi important pour la lutte contre la corruption.
Il s’agit-là d’une leçon importante pour d’autres pays : moins un gouvernement impose de réglementations, moins il y a de possibilités de corruption. En 2004, la Géorgie était classée 133e dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International ; en 2022, elle était passée au 41e rang sur 180. En comparaison, la Russie est actuellement 137e.
La déréglementation et la réforme fiscale ont eu un impact très positif : « les résultats des réformes ont été visibles rapidement – avec une augmentation du PIB, des revenus, des dépôts, du nombre de voitures, etc. qui ont très bien illustré l’amélioration. La conclusion de cette histoire peut donc être la suivante : des mesures décisives, la libéralisation et la prise en charge des problèmes internes sont les meilleures solutions politiques pour tout type de crise, même et surtout pour les nations pauvres en crise de transition ».
L’exemple de la Géorgie montre que les réductions d’impôts et un système fiscal simplifié conduisent souvent à des recettes fiscales plus élevées – ce que nous avons vu à maintes reprises dans d’autres pays, mais que les socialistes ne comprendront jamais. La réforme fiscale de 2005, mise en œuvre après la révolution des Roses, a eu ces effets, selon Gia :
« Tous les types de taxes (à l’exception de la taxe douanière, dont le taux effectif est proche de zéro) ont augmenté les recettes de l’État : Les recettes de la TVA ont été multipliées par plus de sept, celles de l’impôt sur le revenu des personnes physiques par plus de huit et celles de l’impôt sur les bénéfices par dix ».
La situation économique s’est considérablement améliorée. Le PIB a doublé au cours des quatre premières années, et triplé au cours des huit premières années suivant l’introduction des réformes, malgré les effets de la crise financière de 2008/2009. Ce résultat est dû à la réforme fiscale, mais aussi à la poursuite de la déréglementation et de la libéralisation dans d’autres domaines de l’économie. Entre 1997 et 2020, le score de la Géorgie dans l’indice de liberté économique a augmenté plus que celui de presque tous les autres pays du monde et a même pointé à la douzième place du classement en 2020. Toutefois, la Géorgie a reculé depuis lors et se classait 35e en 2023.
En 2011, la Loi sur la liberté économique a été adoptée et est entrée en vigueur en janvier 2014. Cette loi était un ensemble d’amendements constitutionnels et une loi spéciale limitant les dépenses du gouvernement (au niveau central et local) à un maximum de 60 % du PIB et limitant le déficit à 3 % du PIB. Elle stipule également qu’un référendum doit être organisé avant chaque augmentation d’impôt ou l’introduction d’une nouvelle taxe.
En 2016, le parti « Rêve géorgien », arrivé au pouvoir en 2012, a formé une commission constitutionnelle chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Le fait que de nombreux Géorgiens ne souhaitent pas que leur nouvelle Constitution s’inspire de l’État-providence européen, mais préfèrent un modèle plus axé sur le marché, a également été mis en évidence par l’adoption d’une loi dite « organique », qui interdit l’introduction de nouveaux impôts ou d’augmentations d’impôts et, en particulier, d’un système d’imposition progressif. Cela signifie qu’il est interdit de fixer des taux d’imposition différents en fonction du revenu, comme c’est le cas dans la plupart des pays. La loi énonce également que la législation fiscale ne peut être modifiée que si les changements sont confirmés par un référendum. Cependant, seul le gouvernement peut initier un tel référendum, et – ce qui est particulièrement important – aucun référendum ne peut porter sur la question de l’impôt progressif.
Mais au lieu de renforcer ces lois protégeant les citoyens contre l’État, le gouvernement a adopté l’approche inverse ces dernières années, et a levé les restrictions. Gia critique l’accord de libre-échange avec l’UE, qui a conduit à la réintroduction d’un grand nombre de réglementations gouvernementales inutiles.
Comme beaucoup d’autres pays, la Géorgie prouve que la liberté, y compris la liberté économique, doit être défendue encore et encore. Il existe toujours un risque que des changements politiques conduisent à l’annulation de réformes, comme cela s’est produit dans certains cas en Géorgie. Par exemple, à partir de 2027, pourraient être supprimées les dispositions judicieuses de la Constitution, selon lesquelles de nouveaux impôts ou des augmentations d’impôts ne peuvent être introduits sans référendum.
Je suis toujours ami avec Gia. Je l’ai invité à Berlin pour mon 65e anniversaire, il a traduit mon livre The Power of Capitalism en géorgien et il a donné une conférence sur ce livre à l’université.
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