Dans la première phase du rêve martien d’une partie de nos contemporains, rien n’aurait été envisageable sans la « folie » de quelques hommes hors du commun, totalement isolés au début mais qui ont construit une base solide sur laquelle on peut aujourd’hui s’élancer. Et cette base n’aurait pu être construite en dehors du cadre du libéralisme économique américain.
On a eu d’abord, Robert Zubrin, ingénieur en propulsion chez Lockheed Martin (alors Martin Marietta) aux États-Unis. Il se manifesta au début des années 1990 après l’échec du projet de programme d’exploration de Mars par vols habités que le gouvernement du président Georges Bush Senior avait lancé en 1989 dans le cadre de sa Space Exploration Initiative.
Il décida alors de continuer à promouvoir ses idées tout seul, à titre personnel d’abord, puis en créant une société de R&D, Pionner Astronautics. Il les exposa brillamment dans un livre, Mars Direct (1995) et elles sont toujours d’actualité. Il y en a principalement trois.
Pour aller sur Mars, il faut :
- Décider d’y aller directement, sans étapes intermédiaires inutiles et coûteuses en énergie et en argent
- Tirer profit des ressources locales, le sol et l’atmosphère de Mars, pour ne pas avoir à emporter avec soi la masse et le volume des ergols qui seront nécessaires pour revenir sur Terre
- Créer, pendant le long voyage d’environ six mois, une gravité artificielle par mise en rotation de deux masses, dont l’une sera l’habitat, qui permette aux passagers d’arriver sur Mars en condition physique acceptable
Pioneer Astronautics a été la première des sociétés NewSpace et elle a fait beaucoup de petits aux États-Unis, puis ailleurs dans le monde occidental.
Pour créer des sociétés sur des projets dont le succès est évidemment problématique, il n’y a au début comme financement possible que celui de venture capitalists, des personnes privées passionnées et audacieuses. Elles sont les archétypes de l’économie privée libérale actives dans plusieurs secteurs aux États-Unis, pays qui accepte le capitalisme comme nulle part ailleurs dans le monde. En France, comme chacun sait, certains ont des idées mais n’ont pas de capitaux, compte tenu de l’environnement culturel étatiste et socialiste. Et de ce fait, pour la mise en œuvre de ces idées, leurs inventeurs en restent souvent au niveau du Concours Lépine, l’État qui détient le capital dans le pays ne finançant que des projets sûrs, déjà testés par d’autres (sauf exceptions).
Aux États-Unis, avec de l’argent et des idées, et depuis la fin du XXe siècle, les venture capitalists ont été très présents dans le secteur spatial (citons par exemple Bigelow pour les habitats, Gregory Wyler avec O3B pour les constellations de communication et bien sûr, Elon Musk ou plus récemment Jeff Bezos pour les lanceurs de Blue Origin). Dans ce secteur, plusieurs ont en particulier voulu concrétiser le rêve d’installer l’humanité ailleurs que sur Terre, sur la Lune mais surtout sur Mars où le projet se justifie bien davantage en raison de l’éloignement et des conditions planétologiques plus favorables (jours de 24 h 39, gravité, eau, atmosphère). Certes, ils eurent très vite comme client une agence publique, la NASA, qui acheta leurs études et leurs premiers produits. Mais le libéralisme, c’est aussi la coopération de l’État avec des acteurs du secteur privé, pourvu qu’ils soient en concurrence. Ceci dit, en achetant des concepts muris, la NASA prenait moins de risque que les venture capitalists qui avaient financé leurs preuves de concept et fait leurs premiers pas dans leurs garages !
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Après Robert Zubrin on a eu Elon Musk. Au début des années 2000, cet entrepreneur privé typique de l’enthousiasme internet de la fin du siècle précédent, avait fait fortune avec des start-up vendues au bon moment (logiciel Zip-2 pour mettre les médias en ligne, puis logiciel de paiement X.com). En 2002, il cherchait un réemploi à ses 1,5 milliard de dollars brillamment mais relativement facilement gagnés. Depuis son enfance il est passionné par la science-fiction et l’aventure spatiale. C’est donc tout naturellement qu’il s’intéressa alors aux travaux de Robert Zubrin et soutint sa Mars Society naissante (créée en 1998*). C’est avec Robert qu’il apprit les rudiments de l’astronautique, et c’est après cette initiation qu’il décida de créer SpaceX, avec son argent (de quoi faire pâlir de jalousie beaucoup d’ingénieurs de l’aérospatiale, notamment en Europe). On connait la suite. Là encore, la NASA était l’acheteur rêvé, mais sans Zubrin et sans son argent personnel, Elon Musk n’aurait jamais pu faire démarrer son entreprise pour susciter l’intérêt de son client.
*lui et moi en sont « membres-fondateurs » mais je n’ai visiblement pas eu le même parcours de météore !
En Europe, le démarrage du NewSpace fut beaucoup plus long (il fallut attendre la fin des années 2010) par manque précisément de libéralisme, c’est-à -dire d’argent privé qui s’investit au gré de l’envie de son détenteur sans qu’il ait à demander d’autorisation à un État surpuissant, et aussi parce que les « riches » en Europe sont des individus soi-disant sérieux qui n’aiment pas la science-fiction et préfèrent jouer du piano ou acheter des œuvres d’art. Maintenant le NewSpace européen a décollé, mais dépend entièrement de l’argent public et dans l’ensemble il est plus sage (par exemple, Maia Space s’est lancé dans la réutilisabilité mais essaie simplement de refaire ce qu’a fait SpaceX) ou alors il n’a aucune chance et partira aux États-Unis.
Dans mon livre, Franchir sur Mars les portes de l’espace qui vient d’être publié par Lys-Bleu-Éditions je raconte le cheminement de ces investisseurs privés, inventeurs géniaux, investisseurs intrépides, et de tous ceux qui, rêvant d’espace depuis des siècles, nous ont conduit maintenant au pied du mur, le voyage habité vers et sur Mars. Si nous réussissons, si nous pouvons nous y installer, nous serons devenus une espèce multiplanétaire car notre destin ne sera plus contraint par le maintien de la civilisation sur Terre.
Je raconte comment nous pourrons y parvenir et j’envisage que ce soit toujours des personnes privées, avec leurs propres capitaux, qui soient les moteurs de cette aventure, tout autant qu’Elon Musk avec son Starship conçu pour en être le transporteur.
Après les tout premiers voyages d’exploration, quand on aura pu vérifier et tester comment vivre sur Mars, des financements seront organisés par ces personnes privées : une Compagnie des nouvelles Indes avec des actionnaires privés principalement américains (mais on ne refusera pas la participation des agences spatiales). Elles investiront dans le financement des grands voyages comme on le faisait au XVIIIe siècle pour rapporter les richesses des Indes, occidentales ou orientales. Elles financeront aussi les infrastructures nécessaires pour vivre sur place. Car il faudra vivre sur Mars, sans réapprovisionnement, les voyages n’étant possibles qu’à certaines dates très espacées, 26 mois, du fait de la course de chacune des planètes sur une orbite différente à des vitesses différentes !
Pour rassembler tout le capital nécessaire, la Compagnie sera cotée en bourse, comme notre Compagnie des Indes d’illustre mémoire. La rentabilité sera donc clef pour l’entreprise. Elle sera lointaine au début (peut-être une trentaine d’années ?) mais le capitalisme boursier sait bien miser sur les recettes futures, autrement dit spéculer, ce beau verbe évocateur de calcul, de stratégie, d’espoir. Le crédit sera nécessaire aussi pour anticiper les recettes ou les revenus, et quoi de plus pertinent que de créer une banque dédiée (Banque de Développement de la Planète Mars ?), employant des experts connaissant le projet et capables d’analyser et comprendre les risques envisagés ou déjà pris. En complément, il y aura aussi une société d’assurance également dédiée, pour lisser les risques et couvrir les malchanceux.
Du côté des personnes, les agents économiques qui vivront sur Mars, on recherchera à faire le plus avec le moins. Le capitalisme libéral a toujours été soucieux de l’argent de ses actionnaires. La ressource principale sera l’offre de logements viabilisés sur place à tous ceux qui voudront venir en pouvant payer voyage et séjour (il s’agira donc en même temps de réduire les coûts, notamment par les économies d’échelle).
Ne vous inquiétez pas, il y aura des candidats malgré le temps de voyage et le temps de séjour (minimum six mois dans chaque sens et 18 mois sur place).
Il y aura tous ceux qui veulent étudier (pour eux-mêmes ou leur université) une autre planète assez semblable à la Terre sans le décalage de temps incompressible résultant de la distance et de la vitesse de la lumière et qui empêche l’utilisation des robots en direct. Il y aura les jeunes retraités riches qui voudront vivre une expérience forte avant d’être immobilisés par l’âge. Il y aura aussi les pionniers qui toujours sont attirés par l’aventure, et qui pourront exercer n’importe quels métiers dont toutes les communautés isolées ont besoin pour vivre, du plombier à l’agriculteur ou au boulanger et à l’informaticien. Il y aura enfin tous ceux qui seront séduits par la vie dans une société d’ingénieurs, de scientifiques et malgré tout, de rêveurs, forcément policée et ordonnée puisque la sécurité de tous l’imposera. Ils voudront y aller pour étudier, pour concevoir, pour produire, des logiciels ou toutes sortes de produits immatériels (les produits physiques seront a priori non concurrentiels sur le marché terrestre avec les produits terrestres du fait du coût de leur transport). Mars sera en quelque sorte une nouvelle Abbaye de Thélème et deviendra le phare de la civilisation humaine.
Pour éviter tout gâchis et stimuler l’ardeur au travail productif dans l’intérêt de la communauté locale, tout travail sera payé selon la loi de l’offre et de la demande, et toute consommation d’un bien produit par un des membres de la communauté ou importé de la Terre, sera payée par chacun. Il serait injuste que, sans travailler ou en fournissant un travail que la communauté ne demande pas, certains bénéficient de la possibilité de consommer ou d’utiliser des biens et services rares en même quantité que les autres ou à un prix différent. La seule limitation à cette règle sera celle imposée par l’impossibilité de survie sur Mars en dehors des bases viabilisées. On ne laissera certes pas mourir ceux qui ne seront plus suffisamment productifs ou malades. On les entretiendra jusqu’au retour sur Terre dans des conditions décentes, mais en leur demandant toujours de fournir une contrepartie dans la mesure de leurs moyens.
En effet, dans la société martienne, il n’y aura pas de chômeur de longue durée, l’administration de la Compagnie ne pouvant se permettre de payer plus que quelques mois les bouches inutiles. Elle renverra sur Terre à la prochaine fenêtre tous ceux qui n’auront pu se reconvertir si le travail pour lequel ils sont partis est devenu inutile ou effectué plus efficacement par d’autres moyens ou d’autres personnes.
Globalement, il faudra qu’au bout d’un délai raisonnable (les trente années susmentionnées) la colonie martienne puisse être devenue rentable et autonome. En effet, il ne faut pas compter sur une assistance indéfinie de la Terre, États ou investisseurs. Elle est impossible pour toute communauté sur la durée, et la sanction ne pourrait être que le rapatriement de tous sur Terre en cas d’échec.
Pour atteindre ce but, la colonie devra réunir un minimum de personnes (il faut de tout pour faire un monde !) mais 1000 hommes et femmes bien choisis seront suffisants pour commencer. Il y aura donc très peu d’hommes, mais beaucoup de machines, d’informatiques, d’IA, de robots. Je n’envisage pas comme Elon Musk que la population martienne atteigne un million d’habitants dans cinquante ans compte tenu d’un environnement très exigeant mais quelques 300 000 habitants dans cent ans, comme en Islande, ne me semble pas impossible.
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