Le paradoxe des hypercars

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Le paradoxe des hypercars

Publié le 22 mai 2024
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Il a déjà été loisible de démontrer que l’action des autorités européennes, et par capillarité, nationales et locales, est désormais d’infliger l’avènement d’une société d’immobilité en passant par une phase transitoire de démobilité.

Des individus contraints par autorisation dans leur pouvoir de déplacement est l’une des manifestations d’une société post-démocratique. Quel rapport avec les hypercars ? Celui de ne pouvoir profiter d’un bien dont l’usage de destination est dévoyé par les interdictions ou les autorisations ciblées, et de transformer volens nolens un objet circulant en un bien patrimonial statique et non mobile.

 

L’hypercar, paragon de la nouvelle démobilité

S’il est désormais acquis que chaque heureux détenteur d’une hypercar se doit de l’entreposer en un lieu sécurisé (ne serait-ce que par obligation assurantielle), il est désormais tout autant acquis qu’en seconde main, elle n’aura guère effectué plus d’une poignée de kilomètres, garantissant ainsi un prix de revente élevé. Ce qui devient dès lors contradictoire puisque moins un véhicule roulera, plus il augmentera sa valeur. Un véhicule qui n’aura pour seule et unique histoire que d’être resté stationnaire toute sa vie : lorsque le monde de l’hyper-richesse rejoint celui de l’hyper-écologisme.

Il suffit de feuilleter certaines revues spécialisées ou bien de compulser les pages d’ouvrages de collection pour découvrir des noms et des chiffres à faire tourner les têtes. Petit inventaire à la Prévert :

  • Bugatti Veyron Super Sport, 48 exemplaires, 1 100 000 euros
  • Aston Martin One 77, 77 exemplaires, 1 200 000 euros
  • Lamborghini Veneno, 12 exemplaires, 3 000 000 euros
  • Ferrari LaFerrari, 499 exemplaires, 1 000 000 euros
  • Apollo Intenza Emozione, 10 exemplaires, 2 300 000 euros
  • Mercedes AMG One, 275 exemplaires, 2 270 000 euros
  • Italdesign Zerouno, 10 exemplaires, 1 500 000 euros
  • Ferrari Daytona SP3, 599 exemplaires, 2 000 000 euros
  • Pagani Huayra R, 30 exemplaires, 2 600 000 euros
  • Bugatti Chiron Noire, 20 exemplaires, 3 000 000 euros
  • Bugatti Chiron La Voiture Noire, 1 exemplaire, 15 000 000 euros

 

Et cette liste ne saurait être exhaustive au regard – toujours paradoxal – de l’inflation des modèles d’exception. De même que le prix est le plus souvent approximatif, puisqu’il ne comprend pas les options sur mesure qui peuvent faire conséquemment gonfler la note, de même que les taxes locales (douanières et/ou écologiques).

La vraie problématique n’est pas que des individus disposant de moyens financiers suffisants (souvent plus que largement) les autorisent à acquérir de tels biens, mais que sitôt leur livraison effectuée, ils rejoignent un garage d’où ils ne sortiront que pour se dégourdir très superficiellement les jantes.

Car si dans les années 1950 puis 1960, des propriétaires aisés pouvaient s’adonner à la conduite de ces engins sportifs, parfois avec une passion mortellement effrénée (comme le démontrent les destins tragiques de James Dean, Roger Nimier, Jean-René Huguenin ou Jayne Mansfield), ceux-ci filaient sur les routes ordinaires et ne sommeillaient pas dans un écrin fortifié et aseptisé.

Peut-on aujourd’hui s’imaginer que des Ferrari 250 GTO, des Porsche 911 Carrera RS, des Mercedes-Benz 190 SL ou encore des Maserati 3500 GT étaient employés de façon quotidienne par leur possesseur, et ce dans un rayon dépassant allègrement les « ghettos de riches » ? Impensable à ce jour, tant les restrictions légales sont pléthoriques, les polices d’assurance draconiennes et les ouvrages d’art sur les voies de circulation destructeurs. Sans omettre le cas des acheteurs de plus en plus incultes, n’ayant ni respect pour la marque ni même intérêt pour le monde automobile, et de ce fait focalisant leur intérêt d’achat par une démonstration ostentatoirement maladroite de leur fortune. Et pourtant, par leur passé, combien d’enfants, dans les villes et les campagnes, ont été émerveillés du passage d’une Ferrari, d’une Porsche, d’une Maserati ou d’une Aston Martin, déclenchant même parfois une vocation de pilote, de mécanicien, d’ingénieur ou d’entrepreneur ?

Mention spéciale à cette déviance avec la pourtant mécaniquement fabuleuse Lykan de chez l’émirati W Motors (dont la base de travail découle de la musculeuse RUF CTR3, ainsi que d’une étude de style de chez Studio Torino). Le prix de cette beauté ? 3,4 millions de dollars qui se justifient par… l’incrustation dans les phares de 440 diamants avec la possibilité d’insérer au sein de l’habitacle les pierres précieuses de son choix ! Seulement sept exemplaires au monde dont une unité acquise par… la police d’Abu Dhabi.

 

La liberté de circuler : la vraie richesse

La problématique de fond est que plus les fortunes grandissent, plus elles s’entichent d’objets dont elles n’auront jamais l’usage plaisir et l’attachement sentimental. Des collectionneurs comme les regrettés Pierre Bardinon ou Michel Hommell en France ont œuvré afin que chaque pièce de leur collection soit en mesure de pouvoir circuler : il ne s’agissait pas seulement de les admirer statiquement, mais de les sentir vivre au contact de l’asphalte. Cette génération de collectionneurs est en passe de disparaître au profit d’une autre génération qui n’a que peu d’égard à la fois pour l’histoire de l’automobilité et aucune pour la liberté de circuler sur route (hélicoptères et jets palliant ce besoin).

L’automobile à ses extrêmes est devenue soit un objet anonyme de pure valorisation patrimoniale soit un « déplaçoir » anonyme. C’est la conséquence concomitante d’un raidissement légal fondé philosophiquement sur l’éleuthérophobie couplé à l’avènement d’une génération d’hyper-riches mais hyper-creux sans affect pour les biens possédés. Reste fort heureusement des personnalités qui tentent sur divers réseaux sociaux de sensibiliser les jeunes générations quant à cette vraie richesse qu’est la liberté, et notamment celle de circuler.

Pour terminer sur une note positive : une pensée pour l’émission « Vilebrequin » animée par Sylvain Lévy et Pierre Chabrier qui a énormément contribué à populariser les mécaniques nouvelles et anciennes auprès des plus jeunes. Et cela continue avec d’autres passionnés, chacun avec leur style, comme POA, GMK ou Thierry Vigneau Boiserie. Car une fois encore, thermique ou électrique, l’automobile doit rester au nom de la liberté modale une possibilité offerte à tous, selon ses moyens et ses envies.

La liberté de circuler, telle est la vraie richesse.

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  • J’aurais préféré un article qui s’intéresse aux possesseurs de voitures pas si anciennes que ça mais qui ne peuvent déjà plus rouler dans un certain nombre d’agglomérations à cause des réglementations écologiques !
    Une Peugeot 106, c’est moins sexy qu’une Maserati mais c’est bien utile pour aller au boulot tous les jours.

  • J’ai eu la chance, petit, d’avoir un copain dont le papa était policier à Berthierville, au nord de Montréal. Parmi les habitants de Berthierville d’alors, un certain Gilles Villeneuve. Selon ce policier, Gilles, comme on l’appelait, était le seul Québécois à rouler avec sa Ferrari tous les jours, même en plein hiver. Les policiers de Berthierville rêvaient tous de réussir à coller une contravention à Gilles Villeneuve pour excès de vitesse, un stop, ou je ne sais quoi. Aucun n’y est jamais arrivé. Celui qui avait une réputation de fou furieux sur les circuits de formule 1 respectait à la lettre toutes les règles sur la route. Quand je vois le comportement de tous ces footballeux ou fils d’émirs au volant de leurs bolides hors de prix, je me dis que les temps ont bien changés!

  • “Quel rapport avec les hypercars ? Celui de ne pouvoir profiter d’un bien dont l’usage de destination est dévoyé par les interdictions ou les autorisations ciblées, et de transformer volens nolens un objet circulant en un bien patrimonial statique et non mobile.”
    Une pub récente qui m’a bien fait rigoler: le gars qui vient d’acheter une hybride et qui la couve du regard dans son garage ( bien que ce ne soit pas une “hypercar” quand même!) et que l’on voit dans la séquence suivante partir au boulot en vélo!
    Avec en bas de l’écran: “pour vous déplacer, privilégiez la marche à pied, le vélo ou les transports en commun”.
    On a de plus en plus l’impression d’être pris pour des c**s

  • J’aime assez la définition de l’Enfer que donne Stefano Benni, dans Helianthe.
    Arrivé en Enfer, on vous file les clés d’une Ferrari. Vous êtes d’abord fou de joie. Vous démarrez, vous enclenchez la première, accélérez et 100 m plus loin, vous vous retrouvez dans un gigantesque embouteillage pour l’Eternité !
    Grâce aux petits hommes gris de Bruxelles ou de Paris qui ont massacré nos joies enfantines, nous y voilà !

  • “Odieuse époque que la nôtre, celle où le risque, l’imprévu, l’irraisonnable sont perpétuellement rejetés, confrontés à des chiffres, des déficits ou des calculs ; époque misérable où l’on interdit aux gens de se tuer non pour la valeur incalculable de leur vie mais pour le prix d’ores et déjà calculé de leur carcasse. C’est là tout ce que je crois vrai, finalement : la vitesse n’est ni un signe, ni une preuve, ni une provocation, ni un défi, mais un élan de bonheur.” (Françoise Sagan)

  • Oui, vive la liberté de circuler que ce soit dans une hypercar, un SUV ou tout autre véhicule à moteur même thermique !

  • Les véhicules anciens, d’exception ou moins ainsi que les hypercars, sont entrés dans le monde de l’investissement (patrimonial ou spéculatif) voici 40 à 50 ans. Avant cela, les possesseurs de ce type de véhicules, plus ou moins exceptionnels, étaient des amateurs qui s’en servaient régulièrement. Il y avait peu de place pour le bling bling et l’esbroufe. D’une part, parce que les réseaux sociaux étaient embryonnaires voire absents et que vous aviez peu de moyen d’affichage. D’autres part parce que la conduite de ces véhicules était, comment dire, “rugueuse” voire un peu aléatoire à haute vitesse et nécessitait un savoir faire non inné sous peine de se retrouver rapidement dans le bas-côté! De quoi calmer rapidement toute velléité de frimer, sauf, éventuellement, à basse vitesse sur la promenade des anglais.
    Ces amateurs sont toujours là. Ils liment le bitume tout a fait légalement sur les multiples circuits français lors de sorties club ou de track days. On ne les voit pas car assez discrets (il vaut mieux en France).
    Quant aux “investisseurs”, s’ils n’y connaissent pas grand chose, ils vont au devant de certaines déconvenues car le marché est fluctuant, sauf qq anciennes hors sol. De plus, une voiture qui ne roule pas s’altère et nécessite des frais de remise en route d’autant plus importants que le modèle est rare. Les connaisseurs le savent. Les pigeons pas du tout.

    • J’adore les Bugatti récentes, Veyron et Chiron. Pour le délire, parce-que je sais que je n’aurai jamais les moyen de m’en payer une, j’ai regardé le prix d’un train de pneus, je crois que même en me limitant à cette partie ça sera hors de mes moyens !
      Obligé de me rabattre sur les modèles en Lego (bon, j’ai raté la Chiron aussi et elle n’est plus commercialisée… tant pis)

  • Le paradoxe me semble plutôt être que ces collectionneurs s’achètent des voitures relativement à des carrosseries relativement bon marché à des prix d’or relativement à une mécanique et un travail qui ne les intéressent pas. Ce paradoxe n’a rien de très grave, si ce n’est que le marché actuel est structuré de telle façon que c’est très compliqué de se faire poser une carrosserie de Bugatti sur sa Twingo.
    Alors c’est le marché qui veut ça, oui, bon, c’est très suspect. On peut remarquer que quand l’état veut intervenir sur le marché, il le fait suivant des logiques comparables et non spécifiques. Ainsi on peut être dubitatif quant aux aides versées pour l’achat de véhicules électriques, mais on peut surtout souligner que ces aides sont plus volontiers versées pour l’achat de tout nouveau véhicule, soit-disant pour soutenir la production et le travail, alors qu’il aurait été possible de soutenir la transformation de véhicules existants et un travail forcément local et dont la valeur serait sans doute plus mesurable. Qui dit facilité de transformation de motorisation thermique en motorisation électrique dit facilité de transformation de motorisation tout court, notamment pour mettre un moteur de Bugatti dans ma twingo après avoir changé la carrosserie. Il me semble que ce serait là que résiderait une véritable liberté du marché.
    Il n’y a pas beaucoup de constructeurs de voiture qui se projettent dans une approche de hackabilité de leur voiture. Quelque part ils aiment l’idée de se débarrasser de leur produit (en en faisant un déchet dès sa vente) mais d’autre part ils aiment bien l’idée que toute valeur résiduelle leur appartiendrait encore. Il y a une certaine recherche d’innovation commerciale autour du service, avec des mécanismes proches de la location mais encore très proches de celui du crédit, avec laquelle le constructeur reste propriétaire du produit et où il contrôle mieux l’expérience générale de la relation à la marque plutôt que seulement l’expérience de vente-bon-débarras. Cette approche est conforme aux changements de comportements que pourraient entraîner les voitures autonomes, dont la propriété pourrait s’avérer bien souvent inutile : car au final la plupart des conducteurs se rapprochent plus du collectionneur avec une voiture principalement garée qu’un chauffeur qui lui a un intérêt à maximiser son temps d’utilisation de la voiture. Avec ce type d’innovation commerciale, on pourrait tout à fait imaginer des acteurs économiques se rendre compte qu’une interchangeabilité de carrosserie, d’équipements, de motorisation, pourrait être un véritable avantage concurrentiel. Pour l’instant le marché reste finalement assez frileux et conservateur, et n’est pas très favorable à une grande liberté chez les clients, les constructeurs sont souvent prêts à faire appel à l’état pour limiter leurs clients même si c’est régulièrement au coût de leur propre liberté.

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