Qui paye l’inflation importée ?

En raison notamment de la part de l’alimentaire dans leurs dépenses, les ménages les plus modestes subissent davantage le choc que la moyenne.

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Qui paye l’inflation importée ?

Publié le 22 novembre 2023
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Un article de , économiste – Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française.

Une part de cette inflation importée s’est diffusée dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des revenus du travail et du capital. Entre septembre 2021 et 2023, l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix de l’énergie ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.

En parallèle, le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de un point à deux points de PIB entre le second semestre 2021 et la mi-2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au 3e trimestre 2022. Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières à partir de la fin 2022 a conduit à réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a donc connu une hausse de plus de trois points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.

Deux après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie, et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.

 

Une inflation différenciée selon les ménages

En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.

Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution de l’énergie à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes, car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. L’inflation actuelle du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des messages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).

L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?

 

Un tassement des salaires vers le bas

Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a augmenté de près de 8 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel a diminué de près de 3 % en deux ans.

Avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, le smic a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, la proportion de salariés touchant ce salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à près de 15 % en 2022. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, de même que la forte hausse des exonérations de cotisations sociales patronales, bien supérieure à la croissance de la masse salariale.

Les prestations sociales, elles, augmentent pour faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont augmenté que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Les autres prestations ont augmenté significativement seulement à partir d’août 2022 avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1er avril 2024.

Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 35 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 0,5 % entre la mi-2021 et la mi-2023, résistant au choc inflationniste, c’est d’ailleurs en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité. L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre celle par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente.

 

Les entreprises tirent leur épingle du jeu

Au cours des huit derniers trimestres, les entreprises ont vu leur revenu réel (déflaté des prix de valeur ajoutée) s’accroître de 4,3 %, et le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % de la valeur ajoutée, son plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période covid marquée par des aides exceptionnelles).

Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise covid. Il est ainsi passé de 4,5 % du PIB fin 2021 à 5,9 % fin 2022, avant de se réduire à 4,6 % à la mi-2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.

Pour résumer, face à l’inflation importée, les entreprises ont jusqu’à présent bien tiré leur épingle du jeu, même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et les entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat résister, mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, en absorbant une partie du choc inflationniste, les administrations publiques ont vu leur situation financière se dégrader.

Lire sur le site de The Conversation

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  • Les articles de the conversation sont majoritairement le fait d universitaires ou d acteurs proches de ce milieu comme l OFCE
    Donc en général le teneur des propos y est volontiers proche de la Nupes
    Avec les souverainistes nationalistes c est un mélange détonnant…..

  • Un graphique incompréhensible, des chipotages sur les centièmes de pourcent, l’oubli de l’effet d’une inflation sur une autre (l’énergie sur les transports sur l’alimentation), tout ça pour détourner l’attention de la véritable question : pourquoi ne pas avoir lutté contre l’inflation, importée (sanctions faisant acheter au plus cher) ou autochtone (chèques-cadeaux publics) ? Ne serait-ce pas parce que l’inflation est un impôt invisible, sur l’épargne et le patrimoine notamment, dont l’Etat ne veut pas se passer ?

  • Ah! La guerre en Ukraine. L’explication magique pour l’inflation, les prix de l’énergie, le réchauffement climatique…
    Sauf que. Sauf que les premiers chèques énergies sont issus au printemps 2021; pratiquement 1 an avant la guerre. Les suivants en Automne 2021. Le bouclier énergétique est signé en Octobre 2021.
    En Janvier 2021, un baril coûte EUR 45,-. Fin 2021, EUR 75,-. C’est toujours avant la guerre. Aujourd’hui? EUR 75,-. Le petit coup de chaud de Mars – Juin 2022 ne fut que ça, un petit coup de chaud. Allez chercher les raisons du passage de 45 à 75 en 2021, vous n’aimerez pas les réponses.
    Au 28 Février 2021, 4 jours après le début de la guerre, l’inflation est à 7,1% en Allemagne, 7,9% aux États-Unis, … C’est dingue ce que 4 jours de guerre peuvent provoquer.
    Sciences Po a saccager son système de sélection. Pour les élèves et … pour les profs.

  • Il arrive un moment où quelqu’un doit payer les déficits provoqués par les aides sociales. Avant, ça se faisait par la d’évaluation du franc. Maintenant, par l’impõt (CSG) puis par l’inflation. Si tous payent ce déficit, c’est plus dur pour les plus pauvres qui en ont été les premiers bénéficiaires. Et ce à quoi nous assistons est l’équivalent d’une d’évaluation de l’euro.
    Si ces aides avaient été correctement distribuées, on n’en serait pas là et le peuple ne se serait pas appauvri au point que la richesse par habitant en France est descendue en dessous du 20 ième rang mondial. Qui peut croire qu’un individu (sauf handicapé sévère) doit être assisté plus de 5 ans au RSA alors qu’il y a plein de jobs n’ayant besoin d’aucune qualification et non pourvus ?
    À part un socialiste qui veut être réélu bien-sûr.

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