L’individualisme dénaturé : redéfinir une notion trop souvent caricaturée

Dans un contexte d’anti-individualisme ambiant, le concept d’individualisme est souvent diabolisé. Alain Laurent, auteur d’un ouvrage sur la question, nous rappelle que, loin des clichés, l’individualisme revendique avant tout la liberté et l’autonomie individuelle.

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L’individualisme dénaturé : redéfinir une notion trop souvent caricaturée

Publié le 22 septembre 2023
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Pour tenter d’en finir avec leur épouvantail favori, l’« individu souverain » (Vargas Llosa), les forcenés de l’anti-individualisme version triviale ou savante, qui tiennent plus que jamais le haut du pavé, ont le choix entre deux modes opératoires qui peuvent d’ailleurs se compléter : ou bien accuser l’individualisme d’être la cause majeure de tous les maux du monde, ou alors le dénigrer en falsifiant sa définition.

C’est cette seconde option que, dans une récente tribune parue dans Le Monde le 28 août, l’universitaire Pierre Bréchon a retenue pour commenter une enquête de l’European Values Studies.

Voici les mots qui y fâchent :

Certaines conclusions remettent en question des lieux communs très répandus. Il faut ainsi distinguer les valeurs d’individualisation et l’individualisme, alors que beaucoup d’observateurs les mélangent allègrement. L’individualisation correspond à la volonté d’autonomie dans tous les domaines de la vie et au rejet de la culture traditionnelle du devoir, alors que l’individualisme correspond à une attitude de repli sur ses intérêts personnels, sans s’intéresser aux autres et la société.

Ce disant, c’est Pierre Bréchon qui mélange tout.

Les « valeurs d’individualisation » alléguées caractérisent au contraire classiquement l’individualisme, qu’il confond intentionnellement avec l’égoïsme dans sa version triviale, afin de le disqualifier.

 

Ce que parler d’individualisme veut vraiment dire

En toute rigueur conceptuelle, l’individualisme bien compris dénote l’aspiration à une indépendance individuelle calée sur la pleine volonté de responsabilité de soi, d’autodétermination, de non-conformisme, de primat de la coopération volontaire. Et donc sur le refus que d’autres décident à notre place de ce qui nous importe personnellement, le rejet du panurgisme grégaire et du collectivisme sous toutes ses formes : économiques, mais aussi morales, culturelles (groupisme, paternalisme, tribalisme, communautarisme).

Qu’il en aille bien ainsi de la caractérisation authentique de l’individualisme, c’est ce qu’attestent les éléments de définition proposés par le Trésor de la langue française, puis le Centre National de Ressources Textuelles – CNRS qui font autorité en matière lexicale :

a) Toute théorie ou tendance qui fait prévaloir l’individu sur toutes les autres formes de réalité, et qui lui décerne le plus haut degré de valeur ;

b) Idéal politique qui accorde le maximum d’importance à l’individu, à l’initiative privée, et réduit le rôle de l’État au minimum ou même à rien ;

c) Doctrine qui met l’accent sur le développement des droits et des responsabilités de l’individu, estimant que l’État et les institutions sociales ne sont là que pour le bien des individus ;

d) Comportement, esprit d’indépendance, d’autonomie : tendance à l’affirmation personnelle ou à l’expression originale.

 

Révélateur : cette pertinente mise au point note ensuite qu’existe aussi une interprétation péjorative de l’individualisme, qui le réduit à n’être qu’une « tendance à s’affranchir de toute obligation de solidarité, à ne vivre que pour soi ». Soit la seule que, motivé par sa propension à l’insignifiance et la malhonnêteté intellectuelles, Pierre Bréchon retient dans sa contribution si peu savante à l’anti-individualisme ambiant.

 

L’individualisme des penseurs libéraux

Mais plutôt que le déploiement de longs argumentaires en faveur de l’individualisme rendu à sa vérité, le meilleur des plaidoyers se tient peut-être dans ce qu’en ont dit, dans leur diversité, la plupart des grandes figures du libéralisme, ce qui permettra aux lecteurs de vraiment savoir à quoi s’en tenir à son sujet. Bref florilège :

« Le fond de notre esprit démocratique, c’est au contraire l’individualisme, et un individualisme rationnel » : Alain, Propos, 26 mai 1911.

« Ce fut ce qu’on a appelé l’individualisme qui a enrichi le monde et tous les hommes au monde ; et c’est cette richesse qui a si fabuleusement multiplié la plante humaine » : José Ortega y Gasset, La Révolte des masses, 1930.

« La confusion de l’individualisme avec l’égoïsme permet de le condamner au nom des sentiments humanistes et d’invoquer ces mêmes sentiments pour défendre le collectivisme. En fait, en attaquant l’individualisme, ce sont les droits de l’individu que l’on vise […] Dans ce qui va suivre, je me servirai donc du mot individualisme comme antonyme de collectivisme, et du mot égoïsme comme antonyme d’altruisme » : Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, 1944.

« L’individualisme conclut qu’il faut laisser l’individu, à l’intérieur de limites déterminées, libre de se conformer à ses propres valeurs plutôt qu’à celles d’autrui, que dans ce domaine les fins de l’individu doivent être toutes-puissantes et échapper à la dictature d’autrui. Reconnaître l’individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes, telle est l’essence de l’individualisme » : Friedrich Hayek, La Route de la servitude, 1945.

« L’individualisme considère l’homme – chaque homme – comme une entité indépendante et souveraine, qui possède un droit inaliénable à sa propre vie, un droit qui découle de sa nature en tant qu’être rationnel. L’individualisme soutient qu’une société civilisée, ou toute forme d’association, de coopération ou de coexistence pacifique entre les hommes ne peut être atteinte que sur la base de la reconnaissance de droits individuels et qu’un groupe, comme tel, n’a d’autres droits que les droits individuels de ses membres » : Ayn Rand, Racisme, 1963 (Cf. La Vertu d’égoïsme, 1964).

 

Les racines de l’anti-individualisme

Dira-t-on que depuis que se sont exprimés ces penseurs, l’individualisme aurait fini par changer de sens ?

Mais ce serait justement sous les coups de boutoir et les caricatures déversés par ses innombrables ennemis, ceux dont l’antienne obsessionnelle est « L’individualisme, voilà, vous dis-je, le fléau » comme l’avait si ironiquement noté Jean-François Revel (Le Point, 1er avril 1995). Auquel on laissera le soin de conclure quant aux ressorts liberticides qui sous-tendent l’anti-individualisme, lorsqu’il s’en prenait à « la phobie anti-individualiste de tous les totalitaires, de tous les réactionnaires, pour qui l’ autonomie individuelle est à éradiquer au bénéfice de l’embrigadement collectif » (La Grande parade, 2000, p. 299), ceci après avoir observé que « l’une des bêtes noires des intellectuels depuis trois siècles ait été ce qu’ils nomment péjorativement l’individualisme [car] ils considèrent… la liberté individuelle comme un ennemi personnel » (La connaissance inutile, 1988, p. 381).

Tout est dit là, et bien dit : l’individualisme bien compris, c’est ni plus ni moins que l’indéfectible attachement à l’autonomie et la liberté individuelles – dont la haine est au fondement de l’anti-individualisme.

 

Alain Laurent est l’auteur de L’autre individualisme- une anthologie (Les Belles Lettres, 2020)

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  • ceux qui s’opposentà l’individualisme ne sont meme pas des collectivistes mais des aspirants tyrans…

  • La base : le « connais-toi toi-même » delphique : l’individu rationnel vient de là : se connaitre soi-même, c’est connaitre son désir, le mimetisme de son désir : le soucis de l’individualisme est son -isme : il se croit autonome en désir, et c’est une erreur : mais au bout du compte et rationnellement, après le très long processus du « connais-toi toi-même », on obtient une théorie ou évidemment l’individualisme est bien supérieur à tout collectivisme : ne jamais oublier le processus qui aboutit à cette conclusion

  • Les arguments dans l’air du temps qui fustigent systématiquement l’individualisme expriment à contrario pour certains une dispense des conseils donnés à autrui.

    À l’horizon du précepte connu : « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » le temps restera longtemps encore au beau fixe, l’humain restant « un animal humain… trop humain », selon un célèbre philosophe…

    (Ironique) Phrase, devenue proverbiale, dite à propos de quelqu’un qui se dispense d’appliquer les conseils qu’il donne à autrui.

  • Soyons honnête. Pierre Bréchon nous rejoue le sketch des Inconnus.
    Il y a le bon individualisme qui rend l’individu autonome et le mauvais individualisme qui rend l’individu… autonome !
    Je pose une seule question. Bréchon a-t-il l’excuse de l’alcoolisme ?

  • J’ai une définition plus triviale : l’individualiste, c’est celui qui compte sur lui avant de compter sur les autres.
    Ce sont souvent les plus individualistes qui aident ceux qui en ont besoin, même s’ils n’en ont pas forcément conscience.

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