Dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 septembre, à 01 h 42 du matin (08 h 42 au Japon), une fusée H-IIA (H-2A) a quitté la Terre, du centre spatial de Kanegashima1, emportant à son bord deux missions spatiales.
La première, SLIM (Smart Lander for Investigating Moon), a pour objet l’atterrissage d’une sonde sur la Lune ; la seconde, XRISM (X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission) a pour objet le positionnement d’un capteur de rayons X « mous » (tout est relatif) en orbite terrestre basse (550 km). Le couplage des deux missions organisé par l’agence spatiale japonaise, la JAXA, a été décidé simplement pour réduire les coûts du lancement.
Le lanceur H-IIA est relativement peu puissant puisqu’il ne peut mettre que 15 tonnes en LEO et 6 tonnes en GEO (comparé à 21 tonnes en LEO et 10 tonnes en GEO pour Ariane 5 ECA, et à peu près les mêmes masses pour une Falcon 9). Il est construit par Mitshubishi Heavy Industries et Ishikawajima-Harima Heavy Industries (spécialiste en ingénierie spatiale). C’est une fusée qui a une longue histoire (47 lancements dont un seul échec depuis 2001) et qui ne pose aucun problème.
La masse des charges utiles embarquées est de 590 kg dont 200 kg pour l’atterrisseur SLIM, et 2300 kg pour XRISM. Pour comparaison, l’atterrisseur avec son lanceur Chandrayaan 3 avait une masse de 3900 kg dont 2148 kg pour le module de propulsion, et 1752 kg pour l’atterrisseur, dont 26 kg pour le rover.
SLIM
On voit tout de suite le choix qui a été fait pour SLIM, celui d’aller tout doucement vers la Lune, sur une très longue trajectoire, du fait d’une dotation en énergie très limitée (il faut toujours choisir entre masse transporté et énergie consommée).
Elle n’y parviendra en effet qu’en février 2024, après un voyage de six mois alors que Chandrayaan, partie le 14 juillet y est arrivée le 23 août. Cela dit clairement ce qu’est SLIM : un test d’atterrissage sur la Lune pour une nation spatiale qui n’a jamais tenté cette expérience (la tentative d’ispace en décembre – et son échec – était privée). Et la JAXA l’a précisé, ce sera tout de suite un atterrissage d’ultra précision qu’elle appelle « pinpoint landing » (ellipse de 100 mètres seulement).
Le site d’atterrissage lui-même n’a pas d’intérêt particulier, il est situé près de l’équateur, par 13°N. Outre sa propre masse et quelques équipements scientifiques, la sonde apportera deux rovers.
Les deux véhicules sont aussi des tests et ils sont très originaux.
Le premier, tout petit (250 grammes), LEV-1, est décrit comme « roulant ». En fait, il pourrait être décrit comme « roulant-rampant » (voir image) car composé d’une boule dont les deux hémisphères s’éloignent ce qui les transforment en roues.
L’autre, LEV-2, est encore plus petit (masse de 26 grammes) et se déplace par sauts, mode très adapté pour la Lune compte tenu du terrain non préparé à la locomotion roulante et de la faible pesanteur (0,16 g, soit la moitié de celle que la masse de la planète Mars exerce à sa surface).
Une autre particularité de la mission est le déploiement après atterrissage (voir illustration de titre). Comme toutes les sondes sur les astres ne disposant pas d’atmosphère suffisamment portante, elle va se poser par rétropropulsion, donc à la verticale. Mais ensuite, après avoir écrasé ses cinq pattes imprimées en 3D dans un matériau compressible (« lattice »), elle va pivoter pour se mettre à l’horizontale (on pourrait dire s’allonger).
Cerise sur le gâteau, elle ne va pas se poser sur un terrain plat, mais sur une pente (ce que permet l’écrasement des pieds), celle d’un petit cratère, relativement récent, Shioli. Cela lui permettra un meilleur contact avec le sol pour ses observations (caméra et spectromètre pour l’analyse du sol) et surtout une évacuation plus facile pour ses deux rovers (qui partiront du sommet qui va s’ouvrir au niveau du sol alors que la base de la sonde qui va toucher en premier le sol est occupée par le dispositif de propulsion et de premier contact).
Il va sans dire qu’après ces tests, le Japon a bien l’intention d’envoyer d’autres missions sur la Lune ou ailleurs, et qu’elle pourra utiliser ces nouvelles technologies. Rappelons que pour l’instant les seuls débarquements des Japonais ont eu lieu sur des astéroïdes.
XRISM
XRISM qui est un partenariat de la JAXA2 avec la NASA et l’ESA, a un autre objectif : celui de relayer les anciens capteurs de rayons X « mous » (longueurs d’onde > 0,2 nm) en attendant que les nouveaux soient en service.
En effet, les capteurs actuels, Chandra (NASA, lancé en 1999 pour 5 ans !), XMM Newton (ESA, lancé également en 1999), vieillissent. Et les nouveaux (ATHENA3, lancement prévu par l’ESA en 2035), qui seront utilisés pour les rayons X mous, ne sont pas encore prêts à être lancés.
Le télescope NuSTAR couvre, lui, les rayons X durs (longueurs d’onde < 0,2nm). Hitomi, un autre télescope japonais, couvrant les rayons X durs et mous, a bien été lancé en février 2016 et placé en orbite. Mais il a été détruit en mars de la même année avant d’entrer en service, en raison de la déficience de son système de contrôle d’attitude.
Afin qu’il n’y ait pas de trou dans notre vision de l’espace, il nous faut absolument continuer à observer le ciel dans les longueurs d’onde de ces rayons X mous (puisque les durs sont couverts désormais, depuis 2018, par NuSTAR). XRISM va aussi nous servir à valider certaines technologies qui doivent être utilisées sur ATHENA et qui ont été fournies à cette mission par l’ESA (ce qui donne à cette dernière un temps d’observation de 8 %). Le temps de vie minimum de XRISM est de 3 ans (mais on espère beaucoup plus !).
Pour nous permettre d’effectuer l’observation de ces rayons X, XRISM portera deux instruments, Resolve et Xtend.
Resolve est un microcalorimètre développé par la NASA (Goddard Space Flight Center), capable de déceler des températures très proches du zéro absolu (générées par les impacts de rayons X). Le minimum n’est que de 0,05K !
Xtend est une caméra CCD sensible aux rayons X.
Les deux ont leur propre télescope, en parallèle l’un de l’autre, avec une longueur focale de 5,8 mètres.
Rappelons que les rayons X sont émis par les événements les plus violents de l’Univers. Ils sont donc un complément indispensable aux autres signaux reçus de l’espace, en quelque sorte une dimension particulière (NB : au-delà des rayons X, à l’extrémité du spectre électromagnétique, du côté ondes courtes, nous avons les rayons gamma, mais cela est une autre histoire).
D’une manière générale on ne peut pas observer ces rayonnements depuis la surface de la Terre puisqu’heureusement pour la vie, ils sont arrêtés par l’atmosphère terrestre. Une autre difficulté résultant des très petites longueurs d’onde, est qu’on est obligé d’adapter fortement nos modes de capture. Il n’est bien sûr pas question d’utiliser des miroirs mais pas question non plus d’utiliser des antennes. Les antennes plates ou légèrement concaves orthogonales aux rayonnements ne verraient rien, mais des surfaces quasi perpendiculaires aux rayonnements (avec une pente extrêmement faible) et longues peuvent transmettre le maximum d’informations. Ceci explique la forme inhabituelle de ces télescopes particuliers, et leur aspect quand on les regarde par la tranche (exposée la première aux rayonnements) puisqu’ils ressemblent davantage à des tubes constitués par de multiples feuillets très rapprochés les uns des autres, qu’à des miroirs de télescope classique.
Avec ces deux missions le Japon continue sa participation et sa contribution à haut niveau à l’exploration spatiale. Ce n’est pas un partenaire mineur de la communauté scientifique, ni qui cherche à faire de l’esbrouffe. La communication n’est pas sa priorité. Le pays suit un chemin particulier toujours innovateur et utile au monde entier, pour la science.
Sources :
https://parabolicarc.com/2023/08/15/launch-roundup-japan-aims-moon-landing/
https://global.jaxa.jp/projects/sas/slim/
https://en.wikipedia.org/wiki/X-Ray_Imaging_and_Spectroscopy_Mission
https://www.nasa.gov/feature/goddard/2023/jaxa-nasa-xrism-mission-ready-for-liftoff
https://en.wikipedia.org/wiki/Smart_Lander_for_Investigating_Moon
https://www.youtube.com/watch?v=Ej4ZMp4a2xw
https://www.isas.jaxa.jp/en/missions/spacecraft/developing/slim.html
https://www.space.com/moon-sniper-slim-japan-launch-august-2023?utm_source=notification
https://www.space.com/moon-sniper-slim-japan-launch-august-2023?utm_source=notification
- petite île, la plus méridionale de l’archipel Nippon, à la latitude 30°23 N. Partir de là permet au Japon d’être au plus près de l’équateur tout en restant sur son territoire national, afin de bénéficier au maximum de l’effet de fronde de la Terre. ↩
- plus précisément sa division « ISAS » (Institute of Space and Astronautical Sciences). ↩
- Advanced Telescope for High Energy Astrophysics ↩
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