Le défi de la France en Afrique : réinventer sa politique

Depuis 2020, les coups d’états militaires secouent l’Afrique francophone. Derniers en date, et quasi simultanés, les putschs du Niger et du Gabon ont été présentés comme les nouvelles émanations d’une tendance de fond. Or, malgré des similitudes, ces coups d’états sont par nature différents. Il est alors délicat de les inscrire dans un phénomène global.

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Le défi de la France en Afrique : réinventer sa politique

Publié le 11 septembre 2023
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Alors que la tension était toujours maximale au Niger, survient fin août le coup d’État au Gabon qui renverse la dynastie Bongo après des décennies au pouvoir. Pour de nombreux observateurs, c’est le signe d’une bascule de l’influence française en Afrique, et d’une nouvelle ère de régimes militaires en Afrique.

Il s’agit d’un raisonnement hasardeux pour deux raisons.

Non seulement parce qu’il insinue que le bilan français au Sahel est un échec, mais aussi parce qu’il opère une continuité entre des évènements qui n’ont pas de réels liens entre eux.

On ne peut pas en effet comparer le coup d’État du Niger avec celui du Gabon. Même si leur simultanéité a pu donner un sentiment artificiel d’« effet domino ». Un concept bancal donnant du corps au fantasme d’une Françafrique dont Paris perdrait le contrôle. En réalité, les matrices politiques de ces coups d’États et leurs conséquences pour leurs voisinages, ainsi que pour Paris et l’Europe, sont très différentes.

 

Gabon : la révolution de palais

Le coup d’État survenu le 30 août au Gabon intervient dans un contexte électoral tendu, et comme les précédents scrutins présidentiels, entaché par des fraudes et une forte contestation populaire.

La crispation est forte dans ce pays relativement prospère du fait de ces richesses naturelles, mais marqué par de fortes inégalités sociales. Une crispation comprise par les cercles de pouvoir autour d’Ali Bongo. Ainsi, à la fin du mois d’août, alors que la contestation de la victoire du président Bongo bat son plein, le général Brice Oligui Nguema, commandant de la garde présidentielle et cousin du président, opère un coup d’État. Objectif : sauver le régime en le débarrassant de son avatar vacillant et délégitimé, la famille Bongo. Le tout en tendant, habilement, la main à l’opposition.

Plus qu’un putsch, c’est une révolution de palais dans un pays à l’environnement sécuritaire stable, au climat ethnique apaisé et dépourvu de terrorisme. Cet évènement a été abusivement commenté comme la chute d’un « pilier de la Françafrique ».

En réalité, ni la France ni même la présence de l’armée française, à travers les éléments français du Gabon, n’ont été un sujet lors de cet évènement. Il faut d’ailleurs noter que les liens entre la France et la famille Bongo sont distendus depuis longtemps. Les entreprises françaises subissent la concurrence des groupes chinois, et le pays est devenu membre du Commonwealth britannique en 2022. Difficile donc de parler de mainmise de la France sur le pays, et d’un revers pour sa politique.

 

Chute de la digue nigérienne

Dans un contexte très différent se déroule le coup d’État de Niamey à la fin du mois de juillet.

Un groupe d’officiers prend alors en otage le président Bazoum, et instaure au mois d’août un régime de transition. Il est mené par les généraux Tchiani, le chef, sur la sellette, de la garde présidentielle, et Mody, ancien chef d’état-major des armées (CEMA), relevé de ses fonctions quelques mois plus tôt. Officiellement, l’objectif du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est de rétablir la situation économique, et surtout sécuritaire.

En réalité, sous l’impulsion du président Bazoum, appuyé par l’armée française, les indicateurs sécuritaires s’amélioraient depuis deux ans avec une baisse tendancielle des attaques. Le putsch a en fait été motivé par des mobiles opportunistes. Le profil des meneurs est à ce titre révélateur : des officiers en disgrâce, impliqués dans des affaires [médiatiques] de corruption et de détournement de marchés de défense. Le tout sur fond de lutte de pouvoir et de rivalités intercommunautaires. La junte nigérienne, divisée en interne, n’a par ailleurs rien d’un bloc : des putschs dans le putsch ne sont pas à exclure dans les prochains mois.

La France est cette fois directement concernée par les retombées de ce coup d’État.

Depuis le départ de l’armée française du Mali, le Niger est devenu le nouveau pivot de son architecture sécuritaire dans le Sahel, voisin stratégique, dont la stabilité et la sécurité ont un impact direct sur l’Europe (trafics, migrants, etc). À la demande de Niamey, elle forme les forces armées nigériennes et leur fournit un appui opérationnel et technologique intégré. La survenue du putsch pose donc un sérieux problème à Paris, car une junte instable et aux objectifs flous, se substitue à son partenaire légal — et fiable –, le président Bazoum. D’où son refus de reconnaitre le CNSP et ses dispositions. La multiplication des attaques djihadistes, dans les semaines qui suivent, crédibilisent cette posture de la France.

 

La France en perte de vitesse ?

Certains commentateurs considèrent que la France devrait accepter sa « défaite » au Niger et plus globalement au Sahel.

La question ne se pose pas en ces termes.

La région n’est pas qu’un enjeu d’influence pour la France, mais un saillant stratégique sur sa frontière sud. Le Niger menace aujourd’hui de tomber, alors même que le Mali et le Burkina Faso sont au bord de l’effondrement. De facto, la métastase des groupes armés vers le golfe de Guinée pourrait s’accélérer. D’où la réaction virulente des pays de la CEDEAO, premiers concernés par le phénomène, et légitimement inquiets de la viralité des coups d’États depuis trois ans dans la région. En se montrant ferme, la France envoie un message positif à ses alliés ivoiriens, béninois, sénégalais, etc, qui ne veulent pas subir les conséquences des errements et des échecs des juntes sahéliennes.

La détérioration accélérée de la situation sécuritaire au Mali, depuis le départ de la France en 2022, est en soi la démonstration de l’efficacité de son action militaire. Il en va de même au Burkina Faso et maintenant au Niger. In fine, la France est en difficulté au Sahel, mais n’est pas pour autant déconsidérée sur le reste du continent. Ses partenariats militaires sont nombreux et recherchés, de même que ses entreprises. Par ailleurs, réduire la diplomatie française à la sphère francophone est inexact, dans la mesure où ses principaux partenaires économiques en Afrique sont le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Il est évident que la France voit ses positions s’affaiblir relativement du fait de la concurrence internationale qui s’affirme sur le continent.

Refonder une stratégie africaine volontaire est donc une nécessité, mais sans céder aux discours fantasques qui dénoncent la politique néocoloniale de la françafrique. Un slogan pratique qui s’écroule devant les faits. Par exemple, depuis la fin annoncée du franc CFA, combien de pays ont finalement passé le cap ? Aucun. Pourtant, tous sont libres de le faire. Pourquoi ? Parce que la parité fixe de cette monnaie avec l’euro assure la stabilité de leurs échanges : elle sert leurs intérêts économiques.

 

Quelles ont été les erreurs de Paris ?

La vraie erreur de la France a été sa négligence dans le périmètre de l’influence et de l’action sur les esprits et les opinions.

Les autorités françaises n’ont que pris que récemment, et tardivement, en compte le fait que l’opinion publique africaine avait muté sous le triple effet de la pénétration de l’internet, du développement de la téléphonie mobile et de la pression démographique. Une erreur que n’ont pas commise ses compétiteurs stratégiques – ainsi que les juntes – et qui l’ont utilisé contre la France.

Maintenant, ce que l’on appelle « sentiment anti-français en Afrique » doit être caractérisé, car son omniprésence dans le débat publique devient incapacitante de l’opinion française jusqu’au gouvernement. Est-il représentatif ? Non, parce qu’il est le fait des jeunes populations, urbaines et connectées. Des segments par définition minoritaires dans des pays encore très ruraux et qui ont tendance à homogénéiser l’opinion. Est-il réversible ? Oui, par une promotion plus subtile, et indirecte, de l’action de la France, et l’abandon de certaines postures contre-productives.

Parmi elles, on peut citer la posture démocratique.

Pratique pour légitimer une intervention, elle finit par se heurter à la realpolitik.

De facto, depuis le discours de la Baule en 1990, de François Mitterrand, la France a soutenu des régimes non démocratiques, comme le Tchad. D’où, sans surprise, l’impression chez certains en Afrique d’un double standard. Difficile dans ces conditions de se réfugier derrière la défense de la démocratie après un coup d’État. À noter cependant que le gouvernement français a moins appuyé sur cet élément lors du coup d’État au Niger, préférant la notion plus légaliste et moins morale d’« ordre constitutionnel », et en distillant un discours davantage tourné vers la défense des intérêts de la France et de ses engagements.

En définitive, les coups d’États ne témoignent pas d’un effet domino qui serait le signal fort d’une bascule stratégique en défaveur de la France en Afrique. Ils doivent être analysés séparément, surtout sur un continent dont les États, structurellement fragiles, sont très vulnérables à ce genre d’aventurisme militaire.

Pour autant, il est indéniable que la France est en difficulté en Afrique et qu’elle doit continuer de faire évoluer ses approches et rationaliser sa grande stratégie sur le continent.

 

Article mis  à jour le 11/09/23.

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  • La France devrait cesser d’avoir en Afrique d’autre politique que celle du laisser-faire, et en revanche mettre le paquet sur le commerce avec les pays africains.

    • Et surtout arrêter de faire de l’ingérence… Et donner une vraie indépendances à tous ces pays.
      Ca nous permettrait d’éviter d’être raillé quand il y a un problème dans ces zones…

    • la france devrait laisser faire les français …
      en tant qu’état sans doute promouvoir le libre échange authentique auprès des organismes internationaux..

      • La France pourrait déjà s’intéresser à la ZLECAf et chercher à négocier des accords globalement avec elle, par exemple.

  • Oui la France devrait faire comme les Chinois et les Russes. Du commerce pur et dur et basta. Et quant aux aides au développement, qu’elle les arrête. Chinois et Russes n’en font pas et sont très bien vus en Afrique.
    Rappelons que ces pays sont indépendants. À eux de se gérer tout seuls comme l’ont demandé leurs populations parfois via des guerres d’indépendance. Vaut-il mieux vivre à Madagascar ou à la Réunion, aux Comores ou à Mayotte ? Vaut-il mieux que le Mali paye une milice privée Wagner ou que nos impôts payent un contingent de soldats et matériels pour défendre ce pays ?
    Ces pays ont décidé de leur avenir. Laissons les. En plus leurs populations nous accusent de tous leurs maux. Et ce sera toujours pareil dans 200 ans.
    Rappelons que l’Algérie est indépendante depuis 65 ans, sa population devrait être riche grâce au pétrole. Mais c’est à cause de la France qu’elle est toujours pauvre. Heureusement, ce pétrole a quand même enrichi un peuple : la Suisse.

  • la France? c’est moi? les intérêts de la France sont les miens? etc… vous voyez le problème dans l’article..

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