Mars : découverte d’un ancien environnement propice à l’émergence de la vie

La question qui préoccupe les scientifiques n’est pas tant de savoir si la vie a existé sur une autre planète que la Terre, mais bien de connaître où et comment la vie telle que nous la connaissons sur Terre s’est construite.

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Mars : découverte d’un ancien environnement propice à l’émergence de la vie

Publié le 15 août 2023
- A +

Par Gilles Dromart.

 

Notre groupe de recherche publie aujourd’hui dans Nature les premières preuves tangibles de l’existence passée et durable d’environnements à la surface de Mars particulièrement favorables à la synthèse spontanée des premières molécules de la biologie nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous avons découvert des structures fossiles témoins de cycles répétés et durables de séchage-mouillage de sédiments très anciens de la surface de Mars. Ce mode alternatif sec-humide promeut la concentration et polymérisation de molécules organiques simples (sucres ou acides aminés) qui pourraient avoir été contenues dans les sédiments. Ces processus constituent une étape fondamentale vers la synthèse de molécules biologiques tels que les acides nucléiques (ADN ou ARN).

La question qui préoccupe les scientifiques n’est pas tant de savoir si la vie a existé sur une autre planète que la Terre, mais bien de connaître où et comment la vie telle que nous la connaissons sur Terre s’est construite.

Depuis le milieu des années 1980, les biochimistes ont reconnu que le monde ARN fut une étape préliminaire fondamentale sur la route de la vie. L’ARN aurait constitué la molécule originale autocatalytique et porteuse de l’information génétique, avec des fonctions enzymatiques assurées par les ARNs courts. Les protéines auraient ensuite supplanté les ARNs comme enzymes en raison d’une plus grande diversité, et l’ADN remplacé l’ARN comme molécule porteuse de l’information génétique en raison d’une meilleure stabilité.

Pour accéder au monde ARN qui est une molécule complexe, il a été nécessaire de construire un enchaînement de type polymère de ribonucléotides, chacun étant composé d’un groupe phosphate, d’un sucre (le ribose) et d’une base azotée (adénine par exemple).

Ainsi, l’émergence de formes de vie primitives telle qu’elle est conçue actuellement par les scientifiques, nécessite d’abord des conditions environnementales favorables à l’agencement spontané de molécules organiques simples en molécules organiques plus complexes.

 

Des structures datées de 3,7 milliards d’années

Nous rapportons dans cet article des observations inédites transmises par l’astromobile (ou « rover ») Curiosity qui, équipé d’instruments analytiques des paysages et de la chimie et minéralogie des roches, explore depuis 2012 les pentes du Mont Sharp à l’intérieur du cratère Gale.

Lors des « sols » (jours martiens) 3154 à 3156 en juin 2021, nous avons découvert des structures singulières, exhumées au toit d’anciennes couches sédimentaires datées d’environ 3,7 milliards d’années.

Ces structures sont des rides rectilignes qui apparaissent en relief de quelques centimètres à la surface supérieure de strates sédimentaires. Ces rides vues par le haut sont jointives et sont organisées selon une géométrie parfaitement polygonale. Elles sont constituées dans le détail par l’alignement de petits nodules plus ou moins attachés les uns aux autres de roches essentiellement sulfatées. Un nodule est une petite bille qui apparaît en relief dans et à la surface des strates.

Motif fossile de rides polygonales observées et analysées par Curiosity au 3154ᵉ jour de sa progression dans les strates sédimentaires du cratère de Gale sur Mars.
NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/LGL-TPE

Ces structures polygonales représentent fondamentalement des « fentes de dessiccation », structures ô combien familières aux géologues, et similaires à celles que chacun a observées sur le fond d’une flaque d’eau boueuse asséchée. L’eau initialement contenue dans les sédiments s’évapore sous l’effet du vent et de la chaleur. Les sédiments se déshydratent et se contractent alors, engendrant ce système de fentes de retrait qui s’organise en polygones jointifs.

Des fentes de dessiccation fossiles ont déjà été ponctuellement documentées à la surface de Mars. Mais celles découvertes ici sont clairement différentes du fait de trois « détails » particuliers :

  1. Le motif polygonal est un motif en Y, formant des hexagones jointifs de type « tomette », avec des angles avoisinant 120° aux points de jonction des fentes
  2. Les fentes de retrait sont ici remplies de minéraux sulfatés (sulfate de calcium et magnésium)
  3. Ces motifs polygonaux s’observent de manière récurrente sur une épaisseur totale de 18 mètres de la colonne sédimentaire

 

De nombreux cycles de mouillage-séchage

Selon divers travaux expérimentaux menés dans les laboratoires terrestres sur des bacs à boue, ce motif en Y des jonctions des fentes est caractéristique de cycles répétés de séchage-mouillage du sédiment. Au premier séchage, les fentes de retrait s’organisent en T, formant un motif de type « carreau » avec des angles d’environ 90° aux points de jonction. Au fur et à mesure des cycles expérimentaux mouillage-séchage, les fentes se « fatiguent », et montrent des angles typiquement en Y à 120° au bout du dixième cycle.

Les sulfates sont des roches sédimentaires chimiques dites évaporitiques, c’est-à-dire résultant de la précipitation de saumures associée à l’évaporation d’eau saline. Leur présence au sein des fentes de retrait conforte l’interprétation de celles-ci en termes de fentes de dessiccation. Les nodules qui portent les sulfates sont très irréguliers en morphologie et en composition chimique, ce qui suggère également plusieurs phases de précipitation (séchage) – dissolution (mouillage) partielle des nodules.

Le fait que l’on retrouve à plusieurs reprises ces motifs polygonaux sur une épaisseur de 18 mètres d’empilement vertical des strates sédimentaires indique que cet ancien environnement de dépôt, sujet à des cycles climatiques certainement saisonniers de mouillage-séchage, s’est maintenu sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années.

 

Le sens ultime de la découverte

Ces cycles climatiques saisonniers de mouillage-séchage des sédiments ont potentiellement permis aux molécules simples contenues dans ces mêmes sédiments d’interagir à différentes concentrations dans un milieu salin, et ce de manière répétée et durable.

Ce potentiel de polymérisation des molécules simples au sein des sédiments montrant les structures polygonales prend un sens particulier sachant que celles-ci contiennent d’une part des minéraux argileux de la famille des smectites et d’autre part une quantité significative de matière organique. Les smectites sont des argiles dites « gonflantes » pour lesquelles il a été montré expérimentalement qu’elles ont la faculté d’adsorber et de concentrer les nucléotides entre leurs feuillets constitutifs.

L’instrument SAM (Sample at Mars) a par ailleurs révélé la présence au sein de ces mêmes strates de composés organiques simples tels que des chlorobenzènes, des toluènes ou encore différents alcanes. Ces composés sont probablement d’origine météoritique, et leur quantité résiduelle peut atteindre environ 500 g par m3 de sédiments. Ces molécules ont pu dès lors servir comme certaines des « briques de base » de molécules plus complexes telles que l’ARN.

En résumé, nous déduisons de nos observations, de nos mesures sur Mars, et des différents concepts et expériences terrestres, que le bassin évaporitique de Gale a constitué un environnement très favorable et durable au développement de ce processus de polymérisation des molécules organiques simples en molécules plus complexes nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous savons enfin que les structures ici étudiées se situent dans une unité géologique de transition verticale depuis une formation plus ancienne riche en argiles vers une formation plus récente riche en sulfates, et que cette même transition a été détectée par voie orbitale en de nombreux cratères et plaines de Mars.

En conséquence, il apparaît désormais que la probabilité que des précurseurs moléculaires biotiques aient pu se former et être fossilisés à la surface de Mars il y a environ 3,7 milliards d’années au cours de l’Hespérien n’est plus négligeable.

 

Vers un retour des échantillons martiens ?

Le paradigme actuel pour la vie terrestre est celui d’une émergence dans l’Hadéen, période de temps initiale comprise entre la formation de la Terre il y a environ 4,6 milliards d’années (Ga) par l’accrétion des météorites primitives et environ 4,0 – 3,8 Ga.

Mais le plus vieux et seul témoin d’un possible processus biologique hadéen est un graphite (carbone) inclus dans un minéral de zircon daté à 4,1 Ga, ou encore un schiste noir métamorphisé, daté à 3,8 – 3,7 Ga. De plus, l’Hadéen ne comporte actuellement qu’une infime proportion de représentants rocheux à la surface de la Terre en raison de la tectonique des plaques, et en tous cas aucune roche sédimentaire intacte, non métamorphisée. Ceci rend cette quête sous nos pieds d’une vie terrestre primitive a priori vaine.

Contrairement à la surface de la Terre, celle de la planète Mars n’est pas renouvelée, ni transformée par la tectonique des plaques. La surface de Mars a ainsi préservé quasi intactes des roches très anciennes, incluant celles formées dans un environnement et un climat propices à la construction spontanée de précurseurs moléculaires biotiques. En conséquence, autant il semble très peu probable que la vie ait pu évoluer sur Mars aussi fertilement que sur Terre – à ces environnements favorables à l’émergence de la vie à l’Hespérien ont fait suite des environnements arides et froids de l’Amazonien), autant il apparaît désormais possible et opportun d’y explorer l’origine de la vie, et d’y rechercher des composés biotiques précurseurs par le biais de retours d’échantillons prélevés dans le futur par des robots ou des astronautes sur des sites tels que ceux étudiés ici.

Notre découverte ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’origine de la vie, y compris (surtout) sur d’autres planètes que la nôtre. Elle est à même également de faire reconsidérer les objectifs premiers des missions d’exploration de la planète Mars et celles en particulier du retour d’échantillons.The Conversation

Gilles Dromart, Professeur de géologie, École Normale Supérieure de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Avatar
    jacques lemiere
    15 août 2023 at 8 h 36 min

    Sur un site libéral, la question est pour moi AVANT tout qui paie pour satisfaire la curiosité de certaines personnes..

    -1
    • Si c’est de la recherche publique c’est moi qui paie, et à tout prendre j’aime mieux payer pour cela que pour des ventilateurs à la c°n.
      Et quand on y pense, tout ce dont nous profitons vient de la libre curiosité d’une infime proportion de l’espèce humaine.

  • Découverte très intéressante. Mais je dirais qu’elle pourrait surtout conforter la thèse du Professeur Steven Benner (Université de Harvard, Zürich, Floride) pour une origine martienne de la vie terrestre.
    .
    Le Professeur Benner a constaté qu’il a fallu une alternance de périodes de sécheresse et d’humidité pour que la chimie de catalyseurs essentiels à la vie, notamment borates et molybdates aient pu jouer leur rôle. NB: L’action des borates sur les hydrates de carbone est essentielle pour empêcher la décomposition des molécules organiques et celle des molybdates est essentielle sur les glucides pour permettre la création de ribose. Or ces catalyseurs ne supportent pas l’eau alors que l’eau est par ailleurs indispensable aux phases ultérieures menant à la vie.
    .
    L’hypothèse du Professeur Benner est donc de dire que Mars présente un environnement beaucoup plus favorable que la Terre au déroulement du processus initial puisque la Terre était à l’époque une sorte de planète Océan avec très peu de terres émergées (la tectonique des plaques n’avaient pu encore former de bourrelets montagneux dominant la surface de l’eau en contrepartie du creusement de fosses océaniques).
    Il y aurait eu un transfert des molécules prébiotiques ayant passé les premières phases de l’évolution de Mars vers la Terre, par des météorites martiennes (impacts de gros météorites plus nombreux et puissants qu’aujourd’hui) et ces molécules auraient pu prospérer ensuite dans l’environnement aquatique terrestre beaucoup mieux qu’elles l’auraient pu sur Mars.
    Dans cette logique on devrait trouver sur Mars, des molécules prébiotiques apparentées à nos formes biotiques mais beaucoup moins évoluées que sur Terre. Car vers 3,5 milliards d’années, Mars était devenue un désert (quoiqu’avec des périodes aqueuses intermittentes) beaucoup moins favorables aux échanges et au développement de la vie que la Terre.

  • Quand, donc, cessera-t-on de faire l’amalgame entre « vie » et « vivant » (ou « existant ») ? La vie est un principe dit vital (justement) qui existe partout dans l’univers, elle n’émerge nulle part. En revanche, le vivant parvient à émerger quelque part lorsque des conditions physico-chimiques propres à son émergence sont réunies. C’est ce qu’il s’est passé sur la planète Terre il y a, dit-on, 2,4 milliards d’années terrestres. De même, la « vie » ne « grouille » nulle part, même sur la Terre. C’est le « vivant » qui « grouille » dans son écosystème (milieu ou habitat) d’existence et d’évolution.

    -1
    • Votre point de vue est original mais, à mon avis, complètement non-scientifique. La vie n’existe pas en dehors du vivant. Le dire, comme vous le faites, n’a aucun sens démontrable. Elle résulte d’un processus historique qui s’est déroulé sur Terre à partir des éléments chimiques, physiques et environnementaux réunis sur cette planète. Mais nous n’avons aucun argument pour dire qu’il a pu se dérouler ailleurs et surtout pour dire qu’il existe in abstracto.

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