Choisir dignement sa fin de vie, une question d’humanité et de libertés

L’Académie nationale de médecine a rendu un avis qui va dans le sens d’une plus grande liberté donnée aux individus sur leur fin de vie. S’il faut s’en féliciter, son opposition à l’euthanasie va maintenir des personnes dans une souffrance aussi inutile qu’inhumaine…

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Image générée par IA.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Choisir dignement sa fin de vie, une question d’humanité et de libertés

Publié le 28 juillet 2023
- A +

C’est bien connu, la loi a toujours un temps de retard par rapport à l’évolution des mœurs. Alors que les Français semblent aujourd’hui largement en faveur d’une plus grande autonomie donnée aux individus dans le choix de leur fin de vie, la loi française est encore trop timorée et ne semble pas en phase avec la société.

C’est certainement pour rattraper ce retard qu’un projet de loi est en préparation, et devrait être débattu au Parlement à partir de septembre.

Depuis quelques mois, les « avis » s’enchaînent : avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (septembre 2022), Commission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Léonetti (mars 2023), Convention citoyenne sur la fin de vie (avril 2023)… et le dernier en date, celui de l’Académie nationale de médecine pour « favoriser une fin de vie digne et apaisée ».

 

Que dit l’avis de l’Académie de médecine ?

L’avis insiste sur la nécessité de maintenir le socle législatif actuel en l’améliorant pour « mieux protéger les plus vulnérables » et « répondre à certaines souffrances non couvertes par la loi actuelle ». Une tension traverse tout le texte, entre d’un côté la volonté de donner davantage d’autonomie aux individus, et de l’autre celle de vouloir protéger ces mêmes individus des « dérives auxquelles pourrait donner lieu l’évolution du cadre législatif ».

Concrètement, selon l’Académie, les axes d’améliorations du système législatif français concernent les personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais dont la situation de détresse physique et psychologique pose une véritable question de dignité humaine. L’avis se montre favorable à des changements afin d’offrir à ces malades un moyen d’abréger leurs souffrances.

Contacté par la rédaction de Contrepoints, Philippe Lohéac, Délégué général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), note que « cet avis marque un revirement très important dans la doctrine médicale puisque même cette institution, peu suspecte de libéralisme et de modernisme, reconnaît un certain droit à l’autodétermination ».

S’il se félicite que « l’institution de la rue Bonaparte, en disant à son tour que l’aide active à mourir n’est pas incompatible avec la prise en charge de la fin de vie, pèsera dans les débats », il regrette cependant que « cet avis a minima ne préfigure pas la grande loi de liberté que les Français attendent ».

 

Oui au suicide assisté… non à l’euthanasie…

En effet, l’Académie se prononce en faveur d’une extension de l’assistance au suicide (mettre un produit létal à la disposition d’une personne qui le demande et se l’auto-administre) mais s’oppose à une légalisation de l’euthanasie (administration par un tiers d’un produit à un patient qui en fait la demande).

Les raisons invoquées sont les suivantes. D’abord, l’euthanasie « transgresse le Serment d’Hippocrate », qui expliquerait les « vives réserves et les inquiétudes de la majorité des professionnels de santé ». Aussi, il est préférable de « respecter l’hésitation et l’incertitude du choix ultime du patient ».

Bien sûr, l’Académie a raison d’insister sur la nécessité d’avancer prudemment sur cette question. Il n’est pas question de considérer qu’il faille abandonner toute personne en grande souffrance psychique, qui, momentanément, se trouverait dans une telle situation de désespoir que rien d’autre que la mort ne pourrait délivrer. Des garde-fous solides doivent exister afin d’éviter toute dérive.

Mais il reste que le choix d’évacuer l’euthanasie est un véritable problème. En effet, il va maintenir des personnes dont la demande est légitime et pleinement réfléchie dans une souffrance aussi inutile qu’inhumaine. L’assistance au suicide requiert en effet d’avoir les capacités physiques d’effectuer soi-même le geste ultime. Sans légalisation de l’euthanasie, de nombreuses personnes seront donc de fait toujours exclues de ce droit de choisir une mort digne.

Pour le Délégué général de l’ADMD, « très vite, il apparaîtra injuste aux académiciens – et avec eux, à tous les Français – que la loi française ne réponde pas aux demandes de ceux qui, comme Vincent Humbert, comme Vincent Lambert – par l’intermédiaire de son épouse – comme tous ceux qui sont enfermés dans leur corps du fait, par exemple, de la maladie de Charcot, ne sont plus aptes à pratiquer eux-mêmes un geste de libération et n’ont donc pas accès à cette liberté ultime ; il faudra alors rouvrir les débats. »

 

Vers une conception libérale de la fin de vie ?

Je me propose à présent de pousser la réflexion encore plus loin.

Les débats actuels se concentrent sur des cas bien précis : si le pronostic vital est engagé à court terme ; si le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais les personnes souffrent de maladies graves et incurables, sources de souffrances inapaisables.

L’expression d’une volonté par un individu ne se fait pas toujours en situation de « souveraineté absolue », et il serait naïf de penser l’inverse. Nos maigres connaissances sur le fonctionnement du cerveau et de la psychologie humaine suffisent à nous montrer qu’un individu peut, dans certaines circonstances, perdre toutes ses capacités de discernement, d’autonomie et donc de responsabilités. On peut citer par exemple certains troubles psychiatriques, ou encore certaines situations d’emprise. Là encore, l’Académie a raison d’insister sur la nécessité d’un cadre et de garde-fous.

Mais dans d’autres situations, le choix de la mort n’est pas imposé par la souffrance d’une maladie incurable, mais par une philosophie personnelle, une conception particulière de la vie. C’est le cas de la militante pour le droit à mourir dans la dignité, Jacqueline Jencquel, qui avait expliqué en 2018 avoir fait le choix de ne pas attendre la maladie pour mourir parce que, disait-elle, « la perte d’autonomie, c’est la fin de la vie ». Cela l’avait poussé à fixer la date pour son suicide assisté en janvier 2020.

Dans ce genre de cas, celui qui fait ce choix est en pleine possession de ses moyens : il est souverain. Si le corps médical n’est pas capable de démontrer une altération du discernement, alors personne ne devrait l’empêcher d’aller au bout de son projet. On ne saurait voir autre chose qu’une forme de paternalisme moral dans le fait d’expliquer à quelqu’un qui prendrait cette décision, certes marginale et critiquable, qu’il fait une erreur et qu’on va le sauver de ses errements.

Pourquoi, au fond, ne serait-il pas respectable de refuser de s’imposer l’épreuve de la vieillesse si, pour des raisons qui nous appartiennent, on considère que cette vie-là ne vaut pas le coup d’être vécue ? L’indépassable subjectivité des individus et de leurs vécus doit imposer au pouvoir politique une grande humilité dans son devoir de protection de l’individu.

Aucun pays dans le monde n’est allé aussi loin dans le droit à la fin de vie. Bien sûr, un cadre légal strict serait nécessaire afin d’éviter toute dérive. Mais la question mérite au moins d’être posée. La mort est une étape trop importante de la vie d’un homme pour qu’on lui enlève le droit de la choisir librement et dignement.

 


Nous utilisons le terme d’emprise en ayant conscience de l’existence de certains abus de langage autour de cette notion dans l’utilisation « populaire » du terme. Cependant, de nombreuses études en psychologie sociale consacrent l’existence d’un tel phénomène.

Madame Jencquel a finalement décidé de repousser la date de son suicide assisté en raison de l’épidémie de covid et du confinement. Fin 2020, elle avait annoncé dans le magazine Marianne renoncer à la planification précise de sa mort, tout en conservant ses convictions et son projet de décider elle-même de la fin de sa vie. À l’âge de 78 ans, Jacqueline Jencquel a mis fin à ses jours le 29 mars 2022 à Paris, sans avoir recours à une assistance médicalisée…

Voir les commentaires (16)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (16)
  • Pas si simple puisqu’il ne s’agit pas de choisir sa mort ..mais éventuellement à celui qui vous aide de ne pas risquer la tôle…
    le cas de conscience regarde la personne qui donne la mort à autrui…
    les gens vous jugeront mais un catholique par exemple jugera » juste » que vous avez commis un acte sacrilège.

    Et les médecins font déjà…

    • le dignement pose problème car il exclut, par exemple, pour les médecins, de fait le suicide assisté d’une personne en parfaite santé…

      .
      …la belle affaire de vouloir librement choisir le suicide assisté quand personne ne veut vous assister.. je parle de façon hypothétique pour une société où le suicide assisté serait légal et réglementé avec les cerfas qui vont bien, la concertation de la famille, des responsables dument désignés et tamponnés, le collège de médecins, en triple exemplaire que…

      le suicide concerne souvent les jeunes s… faut il les assister aussi?

      non… on parle des cas où des gens souffrent sans issues possibles du point de vue médical, et donc, pour des médecins… pas de suicide assisté..

      et comme le terme euthanasie a été « dévoyé » par les proprios de chiens..

      non… quand vous tuez une être humain , même si il souffre sans issue, même si il vous supplie, ;vous devez passer une forme ou une autre de jugement … le premier est le for intérieur pour un médecin..puis le procès du corps médical étendu… Une réglementation arbitraire ne va pas résoudre…car l’arbitraire a toujours des failles..
      (parce qu’un gamin de 19 ans qui aime une fille de 16 ans n’est pas un « pédophile »…ni un pervert)
      parce que inévitablement, car il y aura un cas ou la personne désirant mourir ne trouve pas de médecin pour lassiter…la loi forcera ..pour la dignité du patient..

      ..
      car vous allez avoir le cas où un gamin en dépression va vous demander de le tuer…

      cas par cas…la loi et ne peux m’emecpecher de remarquer le « digne ici » conduira à des dérives..

      • un liberal parlerait juste de choisir sa fin de vie…
        c’est l’assistance qui doit être « digne »..or ..concept relatif..

  • « L’assistance au suicide requiert en effet d’avoir les capacités physiques d’effectuer soi-même le geste ultime ». Je ne vois personne qui pourrait exprimer sa volonté de mourir sans pouvoir l’exécuter lui même. Le cas de Vincent Humbert: il pouvait bouger le petit doigt, c’est bien suffisant!
    Bouger une paupière c’est suffisant aussi! (lock in syndrome)
    Je suis bien heureux que l’académie de médecine, pour une fois, respecte le serment d’Hippocrate même si cela limite le pouvoir des médecins.
    « L’assistance au suicide requiert en effet d’avoir les capacités physiques d’effectuer soi-même le geste ultime. Sans légalisation de l’euthanasie, de nombreuses personnes seront donc de fait toujours exclues de ce droit de choisir une mort digne. » Ceci est entièrement faux, et en fait recouvre une arrière pensée. Des gens qui voudraient mourir, mais n’ont pas le courage d’appuyer sur le bouton eux mêmes (détresse psychique?).
    Pourquoi alors ne pas aider les dépressifs à se suicider? Ils se ratent souvent d’ailleurs. Et ne me dites pas qu’ils ne sont pas dans une souffrance intolérable, ce n’est pas la même qu’une souffrance physique, mais s’en est une autre.

  • Bonjour, Je n’aime pas le mot d’euthanasie car il il est lié à mes souvenirs d’enfance ou la décision n’appartenait pas à Toutou. Je suis pour le suicide assisté, mais je reste persuadé que cette liberté doit être accompagnée de l’augmentation des moyens en matière de soins palliatifs. Quand la fin de vie est douloureuse, c’est, je pense, la douleur qui doit être combattue en priorité, pas la vie.

    • Je doute que vous persistiez dans votre conviction si vous aviez à subir une douleur intolérable. Seul le patient peut estimer l’ampleur de sa douleur.

      • Bonjour, vous avez du mal comprendre ma réponse. Quand une fin de vie se fait dans la souffrance, le premier objectif selon moi est justement de faire en sorte de faire disparaitre la douleur. Obtenir une fin de vie apaisée me semble plus juste que d’abréger une vie de douleur. C’est la raison d’être des services de soins palliatifs. Ils sont reconnus pour être tout aussi efficaces qu’humain. Il n’y en a pas assez en France. La loi prévoyait un service par département et le contrat n’est pas tenu.

  • C’est ça la France.
    Soit l’excès de zèle quand il faut réglementer.
    Soit l’extrême frilosité quand il s’agit d’innover.
    Enfin, innover… Juste copier les bons élèves !
    « La France va mieux. Pas mieux que l’année dernière. Mais mieux que l’année prochaine. » (Coluche)

  • Quelques remarques : « Mourir dans la dignité » . Qu’entend l’auteur et les promoteurs de ces demandes par ce terme ? J’attends une réponse sérieuse . La dignité des uns est des autres est fort fluctuante, comme le reste . Cette demande est donc à la base , un sable mouvant. « son opposition à l’euthanasie va maintenir des personnes dans une souffrance aussi inutile qu’inhumaine… » : on voit ici dès le départ le biais : le choix est présenté comme : on te donne la possibilité de t’expédier « dignement » tout de suite et sans douleur contre , tu souffriras pour rien en perdant ton humanité . C’est faire fi des soignants , des bénévoles qui sont là auprès de nous quand la mort arrive (et que l’auteur se rassure , elle ne déçoit jamais ) . Le choix le plus juste ne serait il pas : on met tout en œuvre pour accompagner , soulager des souffrances vers l inévitable mort ? comme le prône d’ailleurs l excellent serment d Hyppocrate . Quant à l humanité je me demande qui se propose de la perdre . Petit témoignage : une connaissance est atteinte d’un trouble neurologique . Un jour ,comme je lui demandai comment il allait , il me dit « ça va , mais des fois c’est dur . Il y a des jours je me dis que je vais aller en Suisse ou en Belgique mais c’est compliqué bien sûr, alors je ne le fais pas. Alors je me dis heureusement , la loi n’existe pas en France , parce que ces jours là je serais tenté , et peut être que je le ferais . Et je ne vivrais pas une belle journée comme aujourd’hui  » L’auteur pense que la vie est linéaire , ce n’est pas le cas , n’avons nous pas tous eu des moments de souffrances indicibles où nous avons rêvé de pouvoir en finir ? Est ce cela la dignité , de tendre à ces personnes (par définition en état de fragilité à ce moment là) la fiole fatale ? En Belgique on euthanasie les mineurs . Est ce digne ?

    • La dignité, c’est d’abord le respect.
      Le respect du choix individuel.
      Considérer que certains, parce qu’ils seraient fragiles, n’auraient pas les mêmes droits est dangereux pour les libertés publiques.
      Et c’est le propre des gouvernants d’infantiliser ses citoyens. C’est pour votre bien. Vous ne savez pas. Nous sommes des experts.
      Alors.
      Qu’on laisse entier le choix de chacun. En faire un être responsable. Enfin.

      • La dignité ce n’est pas le respect, ça semble évident mais il faut donc venir rappeler que ce sont deux mots différents, deux définitions, deux principes différents. La dignité c’est comme l’honneur, c’est une considération personnelle subjective et très variable d’une personne à l’autre.
        La dignité ne peut donc pas être un argument ou un fait suffisamment précis pour servir de base à une législation globale s’appliquant à tous.
        Le respect de la volonté individuelle, ça, oui, c’est un principe de base qui devrait s’appliquer à toute loi quelle qu’elle soit en fait. Mais concernant la fin de vie, les maladies pénibles et incurables, le jugement personnel pouvant être altéré, la famille étant impliquée, la médecine évoluant et le personnel médical étant également de la partie, cela fait beaucoup de facteurs qui compliquent la chose… et pour cette raison, je suis favorable au maintien de ce qui existe déjà, et de faire confiance au corps médical en lui laissant la liberté de proposer les meilleures solutions possibles à leurs patients et famille, ce qui se résume par : subsidiarité.

      • @abon « Le respect du choix individuel » oui . Quand ce choix est bien individuel : ie. que l’on ne demande pas à autrui d’intervenir , ie. ne pas demander à autrui de pousser la seringue , ou de fournir le produit . Les mêmes droits aux plus fragiles , bien sûr , c’est effectivement ce que je demande. Un individu éclairé et responsable sait qu’il va mourir un jour , sait qu’il peut potentiellement être en situation de vouloir se donner la mort et donc , si cette volonté est chez lui puissante, se garde bien au chaud un kit pour le faire . Il ne demande pas à maman état de lui faire une loi et ne demande pas son avis pas souvent éclairé et surtout intéressé (à qui profite l’euthanasie à votre avis ?). Qui infantilise qui ? Un tres vieil ailleul de 102 ans en toute liberté , a choisi d’abréger sa longue vie , il a cessé de se nourrir , tout simplement . Il n’a pas demandé de loi . Mais bon , compagnon de la libération , vie romanesque , pas donné à tout le monde d’assumer ses choix , jusqu’au bout .

      • Qu’aurais je à dire s’il ne s’agissait que de respecter la volonté de mourir de quelqu’un? Rien. Mais ce n’est pas (uniquement) ce dont parle l’article.
        Il parle de personnes qui souhaiteraient mourir, mais qui n’ayant pas le courage de se suicider elles mêmes, demandent à d’autres de les tuer, qui eux demandent à l’état d’être couvert légalement pour cet acte.
        Et de plus l’article ne le présente pas clairement ainsi, en évoquant des personnes pleinement conscientes souhaitant mourir, mais n’ayant pas la capacité physique d’appuyer sur le bouton final. Alors que l’on peut douter que cela existe!

    • Cette critique suppose, au fond, je veux dire fondamentalement, qu’on puisse regretter de s’être donné la mort. Or, ça, c’est faux. Bien sûr que ce monsieur est content d’avoir évité la mort, le regretterait-il, s’il avait réussi à se donner la mort ? Je crois que dans cette réflexion sur la mort assistée (suicide ou euthanasie), il faut d’abord faire la part des choses entre la volonté, le souhait du patient et le comportement de son entourage: l’entourage, que ce soient les proches ou l’assistance médicale ont-t-ils le droit de se prononcer ? Hippocrate est-il encore pertinent après deux millénaires et demi d’évolution de l’humanité ? Je pose la question.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don