Comment expliquer le sexisme dans le milieu des jeux vidéo ?

Pour Léo Sick, l’explication du sexisme dans les jeux vidéo est à rechercher dans la sociologie des joueurs, plutôt que dans les jeux eux-mêmes.

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Comment expliquer le sexisme dans le milieu des jeux vidéo ?

Publié le 19 juin 2023
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« La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. » Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

Une étude récente de l’IFOP pour le compte de gamertop trace un tableau peu enviable du sexisme et des différences de genre dans le milieu du jeu vidéo.

En comprendre les enjeux permet de voir comment une telle situation s’est construite et ce qui peut être fait pour y remédier, tout en tempérant certaines de ses conclusions. 

 

L’histoire des jeux vidéo pour comprendre le phénomène

Les jeux vidéo trouvent leur origine dans les ébauches de l’informatique, quand l’homme a pu transmettre sous l’état de pixel ce qui s’exprimait jusqu’alors sous des formes physiques : des échecs à La Bonne Paye, en passant par des célèbres jeux de cartes.

Sans entrer dans les détails sur l’origine des jeux, que l’on peut souvent retracer à l’Asie et aux cinq premiers siècles de notre ère, il est intéressant de comprendre que certains d’entre eux proviennent des milieux éduqués où ils étaient une véritable façon de s’instruire (par exemple, les échecs pour la stratégie militaire), mais pouvaient aussi servir de média pour raconter une histoire ou transmettre une idéologie.

Avec les Trente Glorieuses deux facteurs principaux firent exploser l’utilisation des jeux : premièrement, l’essor de la société de consommation qui apporte les moyens de production à grande échelle et la publicité pour soutenir le développement de grandes marques de jeux. Ensuite, la prospérité financière qui donne aux classes moyennes le temps et les finances pour accéder aux loisirs. Ainsi, tous les foyers possèdent un exemplaire du Monopoly, ce qui marque une différence significative avec les périodes précédentes.

Ces jeux ont historiquement touché une population principalement masculine (sans l’être exclusivement), pour deux raisons principales.

Tout d’abord, dans la plus grande partie de l’histoire, l’accès et la répartition des loisirs était extrêmement codifiés et limitaient l’accès de certaines classes sociales aux loisirs, tels que la chasse à courre ou le criquet. Au fur et à mesure, les barrières devinrent plus floues. Ce cloisonnement des loisirs était encore plus explicite lorsque l’on prend la variable « sexe ». Certains sports étaient pour les garçons, d’autres pour les filles. Ainsi, le milieu de la boxe est essentiellement masculin, et celui de la danse majoritairement féminin.

D’une manière plus générale, la société dans son ensemble et les familles elles-mêmes ont tendance à diriger les enfants vers des loisirs qui correspondent aux stéréotypes de genre. C’est tout aussi vrai si l’on observe d’autres types de loisirs : la couture et les jeux vidéo. L’impact de la culture ne suffisant pas à expliquer ce phénomène, un deuxième facteur intervient alors : l’intérêt relatif porté à certains loisirs. Les femmes ont eu davantage tendance à privilégier des loisirs culturels, sociaux ou créatifs que les hommes, et à prendre moins part aux activités compétitives (il y a seulement deux femmes dans le top 300 des meilleurs joueurs d’échec au monde).

Bien que la société a évolué ces dernières décennies pour réduire petit à petit la pression sociale sur les jeunes pour poursuivre telle ou telle activité, ces préférences produisent toujours des différences majeures. 

 

La démocratisation des jeux vidéo

Les jeux vidéo ont vécu plusieurs périodes d’évolution et sont en phase de démocratisation rapide depuis le début des années 2010 et l’avènement du smartphone. Jusqu’à l’arrivée de ces ordinateurs de poche, une console ou un PC personnel étaient nécessaires pour avoir accès aux jeux vidéo. Ces produits étaient dirigés vers un public principalement masculin.

À une époque où la majorité des ingénieurs informatique étaient des hommes, et avant l’explosion des jeux vidéo, les développeurs créent alors le jeu auquel ils auraient aimé jouer enfant. Ces jeux sont inspirés des jeux de rôle des années 1970 et des fantasmes de l’heroic fantasy… Inévitablement, cela conduit à un ensemble de tropes et de stéréotypes sexuels dont les jeux vidéo actuels héritent encore : sous-représentation des personnages féminins, sexualisation des attributs féminins dans les jeux…

L’essor des consoles portables et des smartphones change petit à petit la donne et la répartition des joueurs par genre atteint une équité en 2023. 

Cependant, on continue de voir des différences de préférence entre les genres.

Alors que les hommes favorisent les jeux hardcore : jeu de rôle de combat (Skyrim, Resident Evil, Metal Gear Solid), les jeux de guerre (Call Of Duty, Battlefront), les MMORPG (World of Warcraft, Everquest…) et les MOBA compétitifs (League of Legends, Dota), les femmes préfèrent les jeux de plateforme (Mario, Rayman), les jeux de simulation (Nintendogs, Les Sims, Animal Crossing), les jeux mobiles (Candy Crush) et favorisent de manière générale les jeux facilitant les interactions sociales (Among US, Mario Party, Fall Guys).

 

Des stéréotypes passifs aux discriminations actives

Bien qu’ayant aujourd’hui une place au premier rang sur le marché des jeux vidéo, portés par les jeux mobiles, les femmes subissent toujours des discriminations dans les communautés en ligne, parce qu’elles sont bien moins nombreuses à jouer à des jeux massivement multijoueurs qui sont le cœur de ces communautés.

Le développement du jeu vidéo multijoueur par et pour les hommes est une barrière à l’entrée difficile à franchir pour les femmes et les jeunes filles, obligées de s’adapter à un environnement très masculin et souvent cible d’attention non désirée. Comme montré par l’IFOP, une grande partie des joueuses ont subi des remarques sexistes ou un traitement différent à cause de leur sexe avec une fréquence croissante lorsqu’elles jouent à des jeux hardcore, c’est-à-dire des jeux à fort enjeu, multijoueur et nécessitant un investissement plus lourd en temps et une expérience accrue. 40 % d’entre elles ont déjà mis en place une stratégie d’évitement (cacher son genre, ne pas participer à un chat vocal) pour se protéger des conséquences. 

Ces critiques violentes, remarques désobligeantes et menaces sexuelles se placent dans un contexte social particulier. Ces milieux, principalement masculins et souvent jeunes, manquent parfois d’expérience dans leurs interactions avec les femmes et adhèrent à différents stéréotypes sexistes bien plus que les non-joueurs. 

 

Les jeux vidéo n’en sont pas la cause

L’erreur serait de considérer que les jeux vidéo sont la cause de ces dérives, alors que les communautés en ligne sont bien généralement un lieu de rencontres et de refuge pour des individus justement en marge de la société, pour qui l’accès aux relations romantiques est compliqué et pour qui échanger avec le sexe opposé est un défi. C’est par exemple le cas pour les célibataires involontaires (incels) mais aussi pour les jeunes hommes dans un contexte d’hyper-sexualisation des relations (TikTok, Instagram, publicités, contenus pornographiques…). 

En effet, une partie significative des hommes âgés entre 15 et 28 ans présentent des difficultés à rencontrer des partenaires et cherchent en ligne des alternatives à ces relations : l’essor d’OnlyFans ou de la categorie Just Chatting sur twitch (des streameuses en maillot de bain dans leur piscine discutent avec leurs dizaines de milliers d’abonnés, à 85 % masculins) montre l’ambivalence du rapport aux femmes des communautés masculines en ligne, ou des armées de modérateurs sont nécessaires pour réguler les flots d’insultes parfois proférées à l’encontre des youtubeuses ou streameuses.

Certaines de ces communautés développent et colportent des messages de haine qui n’ont rien à voir avec les jeux vidéo, mais bien plutôt avec la misère sexuelle et l’éducation. 

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, les femmes ont tout intérêt à prendre en main leur destin pour créer des jeux sur mesure correspondant à leurs attentes : en effet, elles représentent une part très significative des parts de marché et ne devraient plus se contenter de s’adapter à des jeux masculins si elles n’y trouvent pas leur place.

Cela aurait en plus l’intérêt d’apporter de la diversité et de la créativité dans une industrie qui s’épuise progressivement et manque à se renouveler. Cette industrie a traversé des crises et des scandales liés à son manque de diversité et à la frat-boy culture qui rendent difficile l’intégration des femmes dans les équipes de développement de jeux vidéo (Blizzard entertainment, Ubisoft..) et donc l’apport de diversité.

Cette situation évolue rapidement et passe par les révélations publiques qui poussent un monde exclusivement masculin à se remettre en question. 

Se sentir en situation d’insécurité sur son temps de loisir est particulièrement insoutenable et c’est notre responsabilité de ne pas permettre à ces communautés de se dégrader en excluant les personnes différentes qui veulent s’y mêler afin de partager une seule et même passion.

La richesse des communautés en ligne a pendant longtemps été d’accepter les excentricités et de se connecter aux quatre coins du monde en faisant fi des différences pour fuir un quotidien avec lequel on ne se sent pas toujours à sa place. Quelle drôle d’idée d’en faire un espace exclusif qui n’accueille pas les derniers arrivants avec respect, et la plateforme d’une revanche verbale contre la vie.

 

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  • Les gamers sexistes ? Et alors, on est dans un monde virtuel.
    On est dans un milieu de garçons qui a des relations avec les filles « compliquées ».
    Laissons les gamers s’organiser librement sans moraline. Certaines réflexions sont stupides, passez votre chemin.

  • C’est un peu du n’importe quoi. Il y aurait de quoi en parler longuement. Les jeux ne sont que le reflet de la vie. Ils s’adaptent à la demande et ce sont les garcons qui preferent jouer à la console. J’ai des doutes sur la rentabilité d’un jeu de foot composé d’équipes féminines et il n’y a pas de raison de faire des équipes mixtes si dans la réalité ca n’existe pas.

    Même si les jeux sont tiŕés de l’imaginaire ils se veulent un minimum crédible : combien y a til de femmes Générales ou Colonel ou qui exercent dans des commandos ? Combien y a til de femmes dealers ou super flics ? Combien y a til de femmes ninja ? Combien y a til de femmes exploratrices ?

    Ce qui vient à me dire combien de filles ou femmes jouent ? Si non pourquoi ? Et est ce qu’elles le voudraient ? Mais quelque part je m’attends à une réponse du type que les jeux ne sont que pour les (jeunes) enfants et que ce n’est pas sérieux.

    • L’article aurait dû commencé par là : mettre une statistique du nombre de joueurs par sexe/âge, marié/célibataire, etc.

  • C’est plutôt les féministes qui sont sexistes et veulent imposer leur vision du monde aux autres et dans les jeux vidéos. Et contrairement à ce qui est dit dans cet article, les femmes qui jouent en ligne ne sont pas écartées ni stigmatisées lorsqu’on découvre leur sexe au travers leur chat vocal. Dans les jeux vidéos multijoueurs, seule compte la performance de chaque joueur pour intégrer un groupe.

  • Toute une tartine alors que le problème est simple: tout fabricant fait ce qui plaît à ses acheteurs potentiels! Ceux qui jouent ces jeux sont des jeunes hommes et quoique l’on puisse dire sur le progressisme de la jeunesse, ils sont toujours très machistes et donc sexistes. On ne change pas la nature humaine même avec des camps de rééducation

  • Avatar
    jacques lemiere
    19 juin 2023 at 17 h 41 min

    les jeux seraient ils sexistes par dessein ..je n’ai pas le droit d’écrire un livre sexiste peut etre?

    les strip clubs sont sexistes..

    domaine privé…

  • Avatar
    jacques lemiere
    20 juin 2023 at 7 h 38 min

    l’article à écrire serait « doit on forcer les jeux video à faire de la morale. à éduquer.. et dans quelles limites.? » .

    le sexisme a des contours assez flous.. nous sommes une espèce sexuées et je n’ai pas l’impression que les mammifères au comportement fortement sexué l’ont appris des jeux videos..

    arrêtez de servir la soupe aux antilibéraux!!!

  • Il n’est pourtant pas difficile à comprendre que le sexisme, le suprémacisme, l’égocentrisme font partie intégrante du jeu masculin. Où serait le plaisir ? J’ai eu, par contre, un de mes pires souvenirs à m’être révélé un piètre adversaire à la corde à sauter.

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