Par Mehmet Ozalp.
Vainqueur au second tour de l’élection de dimanche face à son rival de longue date, Kemal Kiliçdaroglu, Recep Tayyip Erdogan restera président de la Turquie pour cinq années supplémentaires. S’il va jusqu’au bout de son mandat, il aura été au pouvoir pendant 26 ans.
Ce qui est étonnant, c’est que la majorité des Turcs ont élu Erdogan malgré une économie qui se dégrade et une hyperinflation désormais chronique – une situation qui ferait probablement tomber n’importe quel gouvernement dans un pays démocratique.
Comment Erdogan a-t-il pu remporter les élections et, plus important encore, comment s’annonce le futur proche du pays ?
Une élection libre mais inéquitable
L’élection présidentielle a été libre, dans la mesure où les partis politiques ont pu présenter des candidats de leur propre chef et mener campagne. Les partis avaient également le droit d’avoir des représentants dans chaque bureau de vote afin de s’assurer que les bulletins étaient correctement comptés. Enfin, les électeurs étaient libres de voter.
Cependant, l’élection a été loin d’être équitable.
Tout d’abord, un rival potentiel dans la course, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, a été condamné en décembre dernier à plus de deux ans de prison pour « insulte à des personnalités publiques ».
En réalité, le populaire Imamoglu avait surtout eu le tort d’infliger au parti d’Erdogan une rare défaite aux élections municipales de 2019 à Istanbul. Les sondages avaient montré que s’il s’était porté candidat à la présidentielle, il aurait pu gagner contre Erdogan avec une marge confortable. Certains soutiennent que la condamnation d’Imamoglu était motivée par des considérations politiques. Quoi qu’il en soit, Imamoglu étant hors jeu, l’opposition a dû se rallier à Kiliçdaroglu, le plus faible de tous les candidats à forte notoriété.
Erdogan exerce également une emprise sur les médias turcs pratiquement généralisée, par l’intermédiaire de Fahrettin Altun, responsable des médias et de la communication au palais présidentiel.
Les médias turcs sont soit directement détenus par des proches d’Erdogan, comme le journal populaire Sabah, dirigé par Sedat Albayrak, soit contrôlés par des rédacteurs en chef nommés et surveillés par Altun. Certains sites d’information indépendants sur Internet, comme T24, pratiquent l’autocensure pour rester opérationnels.
Grâce à ce contrôle massif des médias, Erdogan et ses proches s’étaient assurés d’avoir un temps d’antenne à la télévision bien supérieur à celui de l’opposition. Le président réélu avait été dépeint dans les médias comme un leader mondial faisant progresser la Turquie en construisant des aéroports, des routes et des ponts. Il s’était présenté devant des dizaines de journalistes à la télévision, mais toutes les questions étaient préparées à l’avance et Erdogan a simplement lu ses réponses à l’aide d’un prompteur.
Altun avait également orchestré une vaste campagne de diffamation contre Kiliçdaroglu. Le leader de l’opposition avait bénéficié d’un temps d’antenne minimal, et lorsqu’il apparaissait dans les médias, il était dépeint comme un dirigeant inapte à gouverner le pays.
Altun contrôlait non seulement les chaînes de télévision et la presse écrite traditionnelles, mais aussi les réseaux sociaux. Sur Twitter, Altun, une plateforme très influente en Turquie, utilise depuis longtemps des robots et une armée de trolls et d’influenceurs rémunérés pour tenter de contrôler les débats.
Et cela a fonctionné. Un nombre suffisant d’électeurs ont été influencés par la confusion et la peur que le pays serait dans un bien pire état si Kiliçdaroglu venait à être élu.
Enfin, il y avait un risque de fraude en raison de l’opacité du traitement des résultats des élections. Une fois chaque urne dépouillée, le bulletin de vote et la feuille de résultats sont transportés par la police (dans les villes) et par l’armée (dans les régions) jusqu’aux bureaux de la commission électorale. La police et l’armée sont toutes deux sous le contrôle étroit d’Erdogan.
Ajoutons que les résultats sont rapportés uniquement par l’agence publique Anadolu, alors qu’auparavant ils étaient rapportés par de multiples agences indépendantes.
Même si aucune preuve incontestable de fraude n’est révélée, le spectre de la manipulation pourrait remettre en question l’intégrité de l’ensemble du processus électoral.
Le soutien massif des électeurs religieux
Deux autres facteurs ont joué un rôle décisif dans les élections.
Le premier est l’appel à voter en faveur d’Erdogan lancé par Sinan Ogan, qui était arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle il y a deux semaines, avec 5,2 % des suffrages. Erdogan a persuadé Ogan de lui apporter son soutien.
Le deuxième facteur, le plus important, est la perception quasi surnaturelle qu’ont les électeurs conservateurs et religieux d’Erdogan. Pour eux, le président sortant est un héros religieux et un sauveur.
La population religieuse de Turquie a longtemps souffert de persécutions au nom de la laïcité. Pour eux, Kiliçdaroglu et son Parti républicain du peuple symbolisent cette persécution. Bien que Kiliçdaroglu ait abandonné les politiques laïques strictes du parti, ces électeurs ne lui ont jamais pardonné d’avoir empêché les femmes musulmanes de porter le foulard dans les établissements d’enseignement et les institutions publiques, et d’avoir tenu la religion à l’écart de la vie publique et de la politique pendant des décennies.
La droite conservatrice et religieuse turque voit en Erdogan un leader mondial et un héros qui a lutté contre des forces mal intentionnées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour rendre à la Turquie sa grandeur.
Que va-t-il se passer en Turquie après les élections ?
La Turquie avait désespérément besoin d’un changement de gouvernement et d’une bouffée d’air frais. Aujourd’hui, l’asphyxie sociale, politique et économique risque de s’aggraver.
Il y a quelques années, Erdogan avait promis une renaissance de la Turquie d’ici à 2023, date du centième anniversaire de la fondation de la République. La Turquie était censée entrer dans le top 10 des économies mondiales d’ici là. Cependant, la Turquie se situe à peine dans le top 20.
L’économie a connu un ralentissement important au cours des trois dernières années. La valeur de la livre turque a chuté, ce qui a conduit à une économie basée sur le dollar.
Mais les dollars sont difficiles à trouver. La Banque centrale turque a maintenu l’économie à flot en vidant ses réserves au cours des derniers mois en vue des élections. Le déficit du compte courant a été de 8 à 10 milliards de dollars chaque mois, et les réserves sont tombées dans le négatif la semaine dernière pour la première fois depuis 2002.
Erdogan doit maintenant trouver de l’argent. Il aura recours à des prêts étrangers à des taux d’intérêt élevés et se lancera dans une tournée diplomatique des pays musulmans riches en pétrole pour attirer une partie de leurs fonds vers la Turquie. L’incertitude qui entoure le succès de ces initiatives risque de plonger l’économie turque dans la récession.
Pour la population turque, cela pourrait se traduire par un chômage massif et une hausse du coût de la vie. Le taux d’inflation a atteint son plus haut niveau en 24 ans, 85,5 % l’année dernière, et pourrait encore augmenter, car le gouvernement, à court d’argent, continue d’imprimer de la monnaie numérique pour payer son importante main-d’œuvre bureaucratique.
En matière de politique étrangère, Erdogan continuera d’essayer de faire de la Turquie une puissance régionale indépendante de l’OTAN, de l’Union européenne et des États-Unis. Il continuera probablement à renforcer les liens de la Turquie avec le président russe Vladimir Poutine, ce qui inquiète les alliés occidentaux du pays.
Que nous réserve l’avenir ?
Il s’agit du dernier mandat d’Erdogan, conformément à la Constitution turque, et il est possible qu’il soit écourté.
Le président, âgé de 69 ans, a de nombreux problèmes de santé. Il est de plus en plus fragile physiquement, il a du mal à marcher et ses discours sont souvent saccadés. Dans les années à venir, son état de santé pourrait se dégrader et il pourrait être contraint de céder sa place à un homme de confiance.
L’autre possibilité est que des dirigeants potentiels de son parti décident de commettre un coup d’État pour renverser Erdogan avant la fin de son mandat, afin d’obtenir le soutien de l’opinion publique en vue de l’élection présidentielle de 2028.
Bien que la Turquie postélectorale connaisse pour l’instant une certaine stabilité politique, le pays sera en proie à des troubles économiques, sociaux et politiques dans un avenir prévisible.
Mehmet Ozalp, Associate Professor in Islamic Studies, Director of The Centre for Islamic Studies and Civilisation and Executive Member of Public and Contextual Theology, Charles Sturt University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
En fait, la description faite est exactement la même que pour les élections démocratiques partout dans le monde, tout comme en France…
Par contre, on est quand même des rigolos avec nos 70% de participation… 😉
Il ne faut pas oublié qu’Erdogan est élu avec 52%, ceci depuis plusieurs élections… Ce qui provoque très certainement la confusion dans les médias (et peut être l’auteur ?). En effet, ça signifie qu’il y a quasiment autant de personnes pour ou contre, donc il suffit qu’une « minorité » parle plus fort dans les médias pour que tout le monde pense qu’Erdogan est bien vu ou pas.
L’islam n’est pas qu’une religion, c’est aussi une organisation politique de la société en khalifa. À partir du moment où un dirigeant se tourne vers l’islam, de facto, il se tourne vers le khalifa. Ce qu’a fait Erdogan. Cela lui assuré de façon certaine sa réélection.
Qu’importe l’inflation : elle est dûe à l’Occident infidèle. Donc pas au khalifa d’Ankara. Et Dieu protégera, s’il le veut, ses sujets.
Seuls les médias occidentaux ont rêvé, on ne sait sur quelle base ni sur quelle raison, la chutte d’Erdogan.
La Turquie, à l’opposé de la France, a une âme nationale et ces citoyens sont fiers d’y appartenir. Il est donc hors de question d’aliéner ce nationalisme à une quelconque démocratie issue de l’Occident.
Il a pourtant essayé de nous faire croire qu’il avait attrapé une gastro-entérite. Gastro due à la peur de perdre son élection, il commençait à faire dans son froc? En fait , son état de santé paraît très délabré, il n’ira probablement jusqu’au bout de son mandat.