Société du divertissement : l’éternelle actualité des leçons de Pascal

Selon le philosophe Blaise Pascal, le divertissement est une recherche de consolation face à la difficulté d’être soi.

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Société du divertissement : l’éternelle actualité des leçons de Pascal

Publié le 29 mai 2023
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Par Charles Hadji.

 

L’écho mondial rencontré, fin avril, par l’annonce de la plainte déposée par Disney, le « géant du divertissement », contre le gouverneur de Floride, candidat potentiel à l’investiture présidentielle aux États-Unis, témoigne, parmi beaucoup d’autres signes, de l’importance prise par le divertissement dans notre société – la dernière campagne de publicité pour Amazon prime ne promet-elle pas « du divertissement à l’infini ? »

Or – tous les lycéens le savent – le divertissement a fait l’objet d’une sévère critique de la part de Blaise Pascal, né il y a 400 ans. Mais cette critique, faite au XVIIe siècle, dans le contexte d’une recherche sur « la vérité de la religion chrétienne » a-t-elle encore un sens et un intérêt aujourd’hui ? Plus que jamais, nous semble-t-il, et pour trois raisons.

 

Une analyse magistrale du divertissement

Se divertir c’est, étymologiquement, se détourner. Aujourd’hui, le terme « divertissement » a pris le sens de simple distraction, d’amusement procurant du plaisir, qu’il s’agisse de scroller sur l’écran de son portable, de « binge-watcher » une série ou de chanter dans un karaoké. Quelque chose d’anodin, et au fond de bien légitime, pour compenser le poids des soucis de la vie quotidienne et du travail, ou des préoccupations dues au contexte socio, voire géopolitique.

Mais, dans son acception classique, le divertissement est une occupation qui détourne de penser à ce qui devrait essentiellement nous préoccuper. Son sens est alors plus à rechercher dans l’importance de ce dont il détourne, que dans l’intérêt de l’occupation qu’il privilégie. Telle est la première grande leçon de Pascal.

Pour lui, « la seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères ». Pourquoi ? Parce qu’il « nous empêche principalement de songer à nous », et à la misère substantielle de l’Homme (sans Dieu). Le divertissement est une misère… parce qu’il n’est qu’un cache-misère !

Tous les traits dont Pascal souligne la dimension négative (« courir après les fumées », « le bruit et le remuement », « l’agitation »), tirent leur négativité de leur fonction d’étourdissement. La société du divertissement est en fait une société de l’étourdissement. On bavarde, on court, on joue, on courtise, on chasse (« la chasse, et non pas la prise »), on fait la guerre, pour oublier le terrible secret de sa vacuité.

Moins que le fait de « ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre », qui n’est que « la cause de tous nos malheurs », c’est leur « raison » qui importe, « qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près ».

Le « plein repos » ne nous est « si insupportable » que parce qu’il est l’occasion de sentir « son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide ». Ce qui est condamnable dans le divertissement est donc moins le mouvement de fuite, que le refus qu’il exprime de se voir tel que l’on est. C’est-à-dire, finalement, le refus de penser.

 

Une invitation pressante à penser

Pour Pascal, « L’Homme est visiblement fait pour penser ; c’est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est de penser comme il faut ». Il insiste :

« Pensée fait la grandeur de l’homme. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant… Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale ».

Mais qu’est-ce que « bien penser » ? La réponse apportée par Pascal est claire, qui fonde le jugement négatif porté sur le divertissement : celui-ci n’est qu’une « occupation… qui détourne de penser à soi ». Or, penser, c’est d’abord et avant tout penser à soi, non comme individu particulier, mais dans son universalité d’être humain (homme et femme) ; et à sa (triste) condition : « Or à quoi pense le monde ? Jamais à cela ; mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi, et qu’être homme ».

C’est pourquoi la solitude n’est qu’un moyen, et non une fin. Un moyen nécessaire, car on ne peut se « reposer dans la société de nos semblables : misérables comme nous, impuissants comme nous, ils ne nous aideront pas : on mourra seul. Il faut donc faire comme si on était seul ». Auquel cas « on chercherait la vérité sans hésiter ».

C’est en cette recherche de la vérité que consiste la pensée, qui sans doute fait aujourd’hui cruellement défaut, à l’heure de la désinformation massive, tandis que triomphent les fausses nouvelles, et prolifèrent les fausses œuvres de création. Il est plus urgent que jamais de travailler à « bien penser », telle est la deuxième leçon.

 

Une focalisation sur deux questions essentielles

Ainsi l’analyse que fait Pascal du divertissement a-t-elle le grand mérite de nous suggérer un programme pour « bien penser ». Il apparaît nécessaire, in fine, de s’attacher aujourd’hui à deux grandes questions, qui finalement se rejoignent.

La première est de savoir qu’est-ce que vivre, pour un être humain. Car « nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ». Autrement dit : qu’est-ce qu’être un homme ? « Il faut se connaître soi-même », mais en allant à l’essentiel, pour saisir ce par quoi on est un « honnête homme », membre de la société des « gens universels ». Être homme est une « qualité universelle », qu’il convient d’appréhender, pour la faire sienne, et s’en montrer digne.

Il s’agit pour Pascal de poser la question du sens et de la valeur de la vie humaine, de façon à savoir ce que l’homme peut espérer de mieux pour ce qui le concerne, et à quoi il doit s’attacher. C’est la première façon de trouver un « port pour la morale », c’est-à-dire de trouver un « point fixe » pour juger de ce qui est digne de donner du prix à la vie, en échappant à l’errance dans l’« illusion perpétuelle » – celle, précisément, que nous propose la société du divertissement.

La deuxième grande question est de savoir si l’homme peut encore se penser (se situer) dans un rapport à l’Absolu, c’est-à-dire à Dieu, et comment. Pascal a dépeint la misère de l’homme sans Dieu. Mais ne faut-il pas constater que, à la suite de ce qu’il aurait pu désigner comme un « étrange renversement », il faut surtout déplorer aujourd’hui la misère de l’homme (et surtout de la femme !) à qui on prétend imposer Dieu ? En tout cas dans les pays théocratiques, qui se transforment si facilement en dictatures !

Le problème est le même : trouver, pour donner du sens à notre vie, un fondement possible dans une transcendance qui, d’une part, ne serait pas totalement incertaine, et de l’ordre de la simple illusion. Et qui, d’autre part, ne serait pas aliénante, mais libératrice, en faisant perdre à la religion le visage, qu’elle prend trop souvent, d’une fabrique de la servitude.

On conçoit que la grandeur et la difficulté de la tâche puissent, encore et toujours, nous jeter sans cesse dans les bras du « divertissement » !

 

Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.The Conversation

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