Comment les banques centrales ont créé une nouvelle crise financière

Les banques centrales sont tombées dans un piège : on ne peut pas faire tourner les machines à imprimer de la monnaie à plein régime sans provoquer tôt ou tard de l’inflation.

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Comment les banques centrales ont créé une nouvelle crise financière

Publié le 9 mai 2023
- A +

Entre fin septembre 2022 et fin mars 2023, les parts d’un fonds immobilier commercial américain dans lequel j’ai investi ont été dévaluées, passant de 6,13 millions de dollars à 3,81 millions de dollars, ce qui signifie que j’ai perdu 2,3 millions de dollars en seulement six mois. Personnellement, il s’agit de la perte la plus importante que j’ai jamais subie sur un investissement. Cette perte est principalement due à la dévaluation des immeubles de bureaux et des commerces de détail aux États-Unis en raison de la hausse des taux d’intérêt. Au cours du seul premier trimestre 2023, les biens immobiliers du fonds ont été dévalués de 14 %. Mais avec un ratio d’endettement de 50 %, cela signifie une perte de 28 % au niveau du fonds.

Et ma douloureuse expérience ne fait pas exception. En fait, le fonds est en meilleure position que d’autres fonds plus fortement endettés. Fin mars, Elon Musk a averti sur Twitter que l’état du marché de la dette de l’immobilier commercial (CRE) était « de loin le problème le plus grave qui se profilait ». M. Musk avait réagi à un rapport indiquant que 2500 milliards de dollars de dettes immobilières commerciales arriveraient à échéance au cours des cinq prochaines années et que de nombreux emprunteurs pourraient manquer à leurs engagements, ce qui entraînerait de lourdes pertes pour les petites banques. En effet, ces dernières détiennent environ 70 % de l’ensemble de la dette immobilière commerciale américaine. Compte tenu de l’importance de la dette immobilière commerciale arrivant à échéance au cours des prochaines années et des taux d’intérêt plus élevés qu’ils ne l’ont été depuis des années, il est très probable que les propriétaires constateront que leurs biens ne sont pas suffisamment rentables pour payer les taux du marché sur leurs dettes refinancées.

Nous voyons maintenant les effets catastrophiques des politiques des banques centrales. Souvenons-nous : après l’éclatement de la bulle de la nouvelle économie à la fin des années 1990/début 2000, la Réserve fédérale américaine a réagi en réduisant considérablement les taux d’intérêt, qui se sont rapprochés de zéro.

Dans un article d’opinion publié dans le New York Times en 2002, le lauréat du prix Nobel Paul Krugman a fait la recommandation suivante à la Fed :

Pour lutter contre la récession, la Fed a besoin de plus qu’un retour en arrière ; elle a besoin d’une augmentation des dépenses des ménages pour compenser les investissements moribonds des entreprises. Et pour ce faire, comme l’a dit Paul McCulley de Pimco, Alan Greenspan doit créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq.

Quelle stratégie « ingénieuse » de la part de l’économiste anticapitaliste ! Il conseillait à la banque centrale de poursuivre une politique de faible taux d’intérêt afin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle Internet. Cette politique a créé la bulle suivante, à savoir la bulle immobilière, qui, comme on le sait, a éclaté en 2008/2009 et a conduit à la grande crise financière. Et comment la Fed a-t-elle réagi ? En abaissant encore les taux d’intérêt et en lançant les plus vastes programmes d’achat d’obligations que le monde ait jamais connus.

Il y a cinq ans, dans mon livre Le pouvoir du capitalisme, j’ai écrit sur cette crise financière et la réponse des banques centrales :

La crise financière a été causée par des taux d’intérêt excessivement bas, des interventions musclées sur les marchés et le surendettement. Devons-nous sérieusement croire que la bonne thérapie implique des taux d’intérêt encore plus bas, des interventions plus fortes sur les marchés et davantage d’endettement ? Ces mesures peuvent avoir un impact à court terme, mais les marchés deviennent de plus en plus dépendants des taux d’intérêt bas. Des taux d’intérêt aussi bas ne résolvent en rien les problèmes sous-jacents – ils ne font que supprimer les symptômes et les repousser dans l’avenir. La combinaison actuelle d’une réglementation excessive et de taux d’intérêt nuls entraînera des problèmes considérables à moyen terme pour de nombreuses banques et constitue le terreau de nouvelles crises encore plus graves.

C’est exactement ce qui s’est passé.

Les banques centrales sont tombées dans un piège : on ne peut pas faire tourner les machines à imprimer de la monnaie à plein régime sans provoquer tôt ou tard de l’inflation. L’inflation a d’abord provoqué une hausse des prix des actifs tels que l’immobilier, les obligations et les actions. Aujourd’hui, elle atteint les prix à la consommation.

Les banques centrales se sentent donc obligées d’augmenter les taux d’intérêt. Elles entraînent cependant des problèmes massifs sur les marchés des actions et de l’immobilier, car il y a des dépréciations gigantesques. Les banques centrales sont tombées dans un piège qu’elles ont elles-mêmes créé, et il n’est pas du tout évident de savoir comment elles vont s’en sortir.

Dans mon livre In Defence of Capitalism, j’ai écrit :

« Et c’est un jeu qui ne fonctionnera pas indéfiniment. Lorsqu’il cessera de fonctionner, vous pouvez être sûr que les hommes politiques et de larges pans des médias chercheront à blâmer le capitalisme et les groupes qui ont toujours été des boucs émissaires populaires, tels que les « riches », les « banquiers cupides » et les « gestionnaires à la botte ». Une crise essentiellement causée par l’intervention des gouvernements et des banques centrales est ainsi réinterprétée dans la conscience publique comme une crise du capitalisme ».

Rainer Zitelmann est l’auteur du livre In Defence of Capitalism

 

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  • La critique est facile. Où est votre stratégie plus ingénieuse que celle de l’économiste ?
    Vous préfériez la déflation ?

    -1
    • Il faut laisser respirer l’économie, et s’autoriser à voir les prix descendre autant que monter. Mais depuis qu’on a créé le salariat qui ne peut que progresser avec des salaires à la hausse (interdiction de régresser), la seule issue pour « sécuriser » le capitaliste c’est de garantir la croissance en diabolisant la décroissance, en voulant lisser la courbe. C’est justement le contraire qui se passe. C’est en intervenant qu’on génère des bulles qui produisent ces crises cycliques.
      Si on flexibilise le facteur travail sans poubelliser les compétences, on réduit le besoin addictif de croissance à tout prix. Mais de grâce, arrêtons de fausser le prix du temps et du risque !

    • L’inflation est la conséquence de l’augmentation de la monnaie en circulation qui réduit son pouvoir d’achat. La déflation c’est l’inverse. On parle souvent dans ce dernier cas de monnaie forte.

      • L’inflation, comme son nom l’indique, est une masse monétaire qui gonfle plus vite que la masse des biens/services disponibles (l’excédent, dette insolvable, s’appelle de la fausse monnaie qui déprécie la vraie et finit par une hausse des prix).
        La déflation c’est une masse monétaire qui ne suit pas le gonflement de la production.
        L’inflation est une aubaine pour les états gloutons qui attendent que leur dette s’évapore (une sorte d’impôt sur la fortune des prêteurs).
        La déflation est une aubaine pour les consommateurs qui savent attendre que les prix baissent, moins pour les commerçants qui doivent retarder leurs ventes.

  • Oui, les ignares en économie vont encore montrer du doigt le capitalisme. Le vrai problème c’est le capitalisme de connivence qui, entre banquiers centraux et politiques, introduit un biais malsain en faussant l’information économique. En tripatouillant les taux d’intérêts qui devraient s’ajuster naturellement par la loi naturelle de l’offre et de la demande, ils donnent une information erronée sur la réalité économique. En micro-économie on sait tous qu’on a besoin de « sincérité » dans les comptes pour avoir la confiance des investisseurs. En macro-économie, on a tout autant besoin de cette sincérité sur les informations économiques pour prendre des décisions sereines et point trop hasardeuses. On a assez de risques dus aux aléas du futur pour ne pas en plus se taper les mirages générés par les interventions de ces apprentis sorciers. Il faut arrêter cette addiction à l’intervention, par la création monétaire et la fausseté des prix (ici le prix du temps et du risque).
    C’est justement cet interventionnisme d’état et des banques centrales sur nos monnaies qui sont génératrices de ces crises cycliques. C’est le capitalisme naturel qui est malmené.
    Comme il vaut mieux une fin horrible qu’une horreur sans fin, il est probablement temps de se mettre à réfléchir à trouver un moyen d’ubériser les banques centrales : n’est-ce pas ce que permet de faire la technologie de la blockchain ?

    • Excellent.
      J’émettrais pour l’illustration historique l’Edit du Maximum décrété par l’empereur Dioclétien en 301 après Jésus Christ qui vient régulièrement battre en brèche depuis dix-huit siècles toute intervention sur les prix. Mais gouverner n’est-il pas le fait d’ignorants pour des ignorants ?

      • Les exemples historiques des méfaits de l’inflation sont nombreux. Qu’il faille les réexpliquer encore et encore, redire que l’argent ne se mange pas, est à désespérer de l’intelligence humaine.

    • Ubériser les banques centrales ne sert à rien en pratique, tant qu’on n’aura pas aussi ubérisé les politiciens.

      • C’est pas faux !
        Cela nous fait un beau projet collaboratif en open source et blockchain (pour la sincérité et la confiance), avec un peu d’IA quand même, ça relèvera le niveau. Depuis quelques jours, je me demande si je ne vais pas me reconvertir en Prompt Engineer…

  • Le problème, c’est que même quand les banques centrales montent les taux de 3 points, nos politiciens ne se gênent pas pour dépenser des milliards à faire la même chose en plus cher avec des plans vélo, des transitions énergétiques, des repas gratuits pour les étudiants, etc. Et tant que le peuple pensera que c’est BIEN, et que tout le mal vient des banques centrales, on n’en sortira pas.

    • Tout à fait!

      • Pardon, mais les dirigeants des banques centrales sont quoi sinon des politiciens ?

        • Ce sont des Ledru-rollin. “Il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef.” Sans Emmanuel ou Bruno à suivre, nul ne sait si leur politique serait délétère ou pas.

    • Vivement que le repas des étudiants soit gratuit. La France comptera alors 66 millions d’étudiants français + 30 millions d’étudiants étrangers. La France, le plus grand pays pour l’éducation permanente !

  • En d’autre termes, tous ces soucis que connaissent les peuples, ont bien comme cause le capitalisme débridée. Nombre de détenteurs de capitaux s’enrichissent jusqu’à l’étourdissement et planquent leur argent indûment gagné dans n’importe quoi (pourvu que ça rapporte au moins un peu) et spéculent comme des fous. Eh bien tout le monde va passer à la trappe et « dieu reconnaîtra les siens » !

    -6
    • Vous parlez des dealers, là, pour l’argent indûment gagné, ou bien du RSA ?

    • Le capitalisme n’est pas débridé. Si on veut faire l’analogie avec un cheval, au contraire il est totalement entravé par un propriétaire pervers et corrompu qui laisse le jockey obèse et sur-dopé à la coke s’énerver sur la pauvre bête.
      Pas sûr que ça va bien se finir !

  • Les commentaires sont fermés.

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