Comment l’argent facile a tué la Silicon Valley Bank

La SVB ne s’est pas effondrée en raison d’une gestion imprudente mais parce qu’elle a fait exactement ce que les keynésiens et les interventionnistes monétaires voulaient qu’elle fasse.

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Comment l’argent facile a tué la Silicon Valley Bank

Publié le 15 mars 2023
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Par Daniel Lacalle.

 

La deuxième plus grande faillite d’une banque de l’histoire récente après celle de Lehman Brothers aurait pu être évitée. Aujourd’hui, l’impact est trop important et le risque de contagion est difficile à mesurer.

La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) est le résultat d’un bank run classique provoqué par un problème de liquidité mais la leçon importante pour tout le monde est que l’énormité des pertes non réalisées et le trou financier dans les comptes de la banque n’auraient pas existé s’il n’y avait pas eu une politique monétaire ultra-accommodante. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Au 31 décembre 2022, la Silicon Valley Bank disposait d’un total d’actifs d’environ 209 milliards de dollars et d’un total de dépôts d’environ 175,4 milliards de dollars, selon ses comptes publics. Ses principaux actionnaires sont Vanguard Group (11,3 %), BlackRock (8,1 %), StateStreet (5,2 %) et le fonds de pension suédois Alecta (4,5 %).

La croissance et le succès incroyables de SVB n’auraient pas pu se produire sans les taux négatifs, la politique monétaire ultra-accommodante et la bulle technologique qui a éclaté en 2022. En outre, l’épisode de liquidité de la banque n’aurait pas pu se produire sans les incitations réglementaires et monétaires à accumuler de la dette souveraine et des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS).

 

« Ne vous battez pas contre la Fed »

La base d’actifs de SVB est l’exemple le plus clair du vieux mantra « Ne vous battez pas contre la Fed ». SVB a commis une grave erreur : suivre exactement les incitations créées par la politique monétaire accommodante et la réglementation.

Que s’est-il passé en 2021 ? Un succès massif qui, malheureusement, a aussi été le premier pas vers la disparition. Les dépôts de la banque ont presque doublé avec le boom technologique. Tout le monde voulait une part du nouveau paradigme technologique imparable. Les actifs de la SVB ont également augmenté et presque doublé.

La valeur des actifs de la banque a augmenté. Plus de 40 % étaient des bons du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires à long terme. Le reste était constitué d’investissements dans les nouvelles technologies et le capital-risque, apparemment à la conquête du monde.

La plupart de ces obligations et titres à « faible risque » étaient conservés jusqu’à leur échéance. La SVB suivait les règles habituelles : des actifs à faible risque pour équilibrer des investissements en capital-risque. Lorsque la Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt, la SVB a dû être choquée.

L’ensemble de ses actifs reposait sur un seul pari : des taux bas et un assouplissement quantitatif pour plus longtemps. Les valorisations des entreprises technologiques ont grimpé en flèche pendant la période de relâchement de la politique monétaire, et la meilleure façon de couvrir ce risque était de miser sur les bons du Trésor et les titres adossés à des créances hypothécaires. Pourquoi parier sur autre chose ? C’est ce que la Fed achetait par milliards chaque mois. Il s’agissait des actifs les moins risqués selon toutes les réglementations et selon la Fed et tous les économistes traditionnels, l’inflation était purement « transitoire », une anecdote à effet de base. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

 

Bonjour la panique

L’inflation n’était pas transitoire et l’argent facile n’était pas illimité.

Les hausses de taux ont eu lieu. Et la banque s’est retrouvée avec des pertes massives partout. Adieu, les prix des obligations et des titres adossés à des créances hypothécaires. Adieu, les valorisations technologiques du « nouveau paradigme ». Et bonjour la panique. Une bonne vieille ruée sur les banques, malgré la forte reprise des actions SVB en janvier. Les pertes non réalisées, évaluées à 15 milliards de dollars, représentaient presque 100 % de la capitalisation boursière de la banque. La déroute.

Comme le dit le directeur de la banque dans le célèbre épisode de South Park : « Aaaaand it’s gone ». La SVB a montré à quelle vitesse le capital d’une banque peut se dissoudre sous nos yeux.

La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) interviendra mais cela ne suffira pas car seuls 3 % des dépôts de la SVB étaient inférieurs à 250 000 dollars. Selon le magazine Time, plus de 85 % des dépôts de la Silicon Valley Bank n’étaient pas assurés.

Et ce n’est pas tout. Selon Bloomberg, un tiers des dépôts américains se trouvent dans de petites banques et près de la moitié ne sont pas assurés. Les déposants de la SVB perdront probablement la majeure partie de leur argent, ce qui créera également une grande incertitude dans d’autres entités.

La SVB était l’exemple type de la gestion bancaire dans les règles de l’art. Elle a suivi une politique conservatrice consistant à acquérir les actifs les plus sûrs – les bons du Trésor à long terme – alors que les dépôts augmentaient.

La SVB a fait exactement ce que recommandaient ceux qui ont attribué la crise de 2008 à la « déréglementation ». La SVB était une banque ennuyeuse et conservatrice qui investissait ses dépôts croissants dans des obligations souveraines et des titres adossés à des créances hypothécaires, croyant que l’inflation était transitoire, comme tout le monde le répétait, sauf nous, la minorité de fous.

La SVB n’a fait que suivre point par point la réglementation, les incitations de la politique monétaire et les recommandations des économistes keynésiens. La SVB était l’exemple même de la pensée économique dominante. Et le courant dominant a tué la star de la tech.

Nombreux sont ceux qui accuseront la cupidité, le capitalisme et l’absence de réglementation, mais devinez quoi ? Davantage de réglementation n’aurait rien changé, car la réglementation et la politique encouragent l’achat de ces actifs à « faible risque ». En outre, la réglementation et la politique monétaire sont directement responsables de la bulle technologique.

Les valorisations de plus en plus élevées de technologies non rentables et le flux prétendument inarrêtable de capitaux pour financer l’innovation et les investissements verts n’auraient jamais eu lieu sans des taux réels négatifs et des injections massives de liquidités. Dans le cas de SVB, sa croissance phénoménale en 2021 est une conséquence directe de la politique monétaire démente mise en œuvre en 2020, lorsque les grandes banques centrales ont porté leur bilan à 20 000 milliards de dollars comme si de rien n’était.

La SVB est une victime de l’idée selon laquelle l’impression monétaire n’entraîne pas d’inflation et peut se poursuivre à l’infini. Ils y ont adhéré sans réserve, et aujourd’hui ils ont disparu.

SVB a investi dans la bulle de tout ce qui était possible : obligations souveraines, titres adossés à des créances hypothécaires et technologie. L’ont-ils fait parce qu’ils étaient stupides ou imprudents ? Non. Ils l’ont fait parce qu’ils pensaient que ces actifs présentaient très peu de risques, voire aucun. Aucune banque n’accumule de risque dans un actif qu’elle croit à haut risque. Les banques ne peuvent accumuler des risques que si elles pensent qu’il n’y en a pas. Pourquoi perçoivent-elles qu’il n’y a pas de risque ? Parce que le gouvernement, les régulateurs, les banques centrales et les experts leur disent qu’il n’y en a pas. Qui sera le prochain ?

Beaucoup blâmeront tout sauf les incitations perverses et les bulles créées par la politique monétaire et la réglementation, et ils exigeront des baisses de taux et un assouplissement quantitatif pour résoudre le problème. Le problème ne fera que s’aggraver. On ne résout pas les conséquences d’une bulle par d’autres bulles.

La faillite de la Silicon Valley Bank met en évidence l’énormité du problème de l’accumulation de risques par des moyens politiques. La SVB ne s’est pas effondrée en raison d’une gestion imprudente, mais parce qu’elle a fait exactement ce que les keynésiens et les interventionnistes monétaires voulaient qu’elle fasse. Félicitations.

 

Traduction Contrepoints.

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  • Mais est ce qu’elle avait le choix? Les règles prudentielles n’encouragent pas les bons du trésor, elle les imposent (en tout cas en Europe).
    La banque avait investi avec un effet de levier 209/34. Donc une variation du marché de 15% était suffisant pour la mettre à terre. Sauf que les bons du trésor étant « sans risque », ils sont considérés comme fonds propres, et donc n’entrent pas dans le calcul officiel de l’effet de levier…

    • La FED ne pouvait pas ignorer les effets induits par ses hausses de taux sur le prix de marché des titres obligataires même les plus sûrs ( bons du Trésor US). La sensibilité des titres obligataires est indifférente à la sécurité de la signature du Trésor américain (comme partout dans le monde). Si les titres avaient atteint leur terme ils auraient été remboursés à leur valeur nominale. C’est donc bien d’une part la politique de taux bas de la FED et la certitude affichée qu’ils resteraient bas pour longtemps et d’autre part une non vision de celle-ci des dégâts que sa politique monétaire allait causer (de la bouche du juriste J Powell) comme de la juriste C Lagarde (BCE). Attendons jeudi (demain) pour connaître les certitudes de Mme Lagarde quant à une hausse des taux directeurs de 0,50 % (50 points de base) annoncée avec grande certitude la semaine dernière par elle même.

  • l’hyper règlementation, les tripotages monétaires de la politique etc. ont créé, encore une fois un « moral hazard », le fameux fed put.
    Les inévitables catastrophes qui s’ensuivent serviront cependant de prétexte à poursuivre l’interventionisme monétaire, mère de tous les autres…
    le socialisme est un système qui prospère grâce à ses propres échecs.

  • C’est la définition du dogme : l’obligation de croire à l’impossible. Dans tous les domaines. Avec le bûcher pour ceux qui doutent.

  • Après la SVB comme petit nimbus annonciateur, voici venir le cumulo-nimbus du Crédit Suisse. Confiance, cependant, Babeth et Bruno vont intervenir. La résolution du problème est à leur portée. Ne sommes-nous d’ailleurs pas convaincus que nos élites peuvent régler le climat de la planète ?
    https://www.lefigaro.fr/conjoncture/en-direct-credit-suisse-bruno-le-maire-aura-un-contact-avec-son-homologue-suisse-dans-les-prochaines-heures-20230315

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