2023 : fin de l’hégémonie du dollar américain ?

L’Arabie saoudite, pourtant partenaire de longue date des Américains et pilier de la puissance même du pétrodollar, semble résolument se tourner vers la Chine.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 12
Xi Jinping in British Parliament on Wikimedia Commons

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

2023 : fin de l’hégémonie du dollar américain ?

Publié le 25 janvier 2023
- A +

Si l’Histoire nous enseigne quelque chose, c’est qu’un empire ne peut tenir dans la durée que grâce à deux éléments clés : son armée et sa monnaie.

Son armée, car l’empire doit être capable de protéger son territoire et de conquérir de nouvelles terres pour s’étendre ; et sa monnaie car c’est avec elle qu’il paye ses militaires et c’est par elle qu’il entendra échanger des richesses avec ses vassaux. Dans ces deux domaines, un empire voulant durer doit mettre en place des mesures pour maintenir la stabilité à la fois militaire et économique.

De ce point de vue, ce qui se passe actuellement du côté américain impose quelques questions : l’usage du dollar et la puissance qui lui est attachée semblent nettement amoindris par les récents événements en Europe et dans le reste du monde.

En Europe, le conflit ukrainien a fortement fait bouger les lignes : malgré la pluie drue de sanctions que son intervention en Ukraine a provoquée, il apparaît que la Russie n’est plus aussi dépendante des systèmes financiers occidentaux qu’elle ne l’était en 2014, date des derniers trains de sanctions et qui lui ont apparemment laissé le temps de s’organiser. Actuellement, l’économie russe est loin d’un effondrement (alors qu’on est en droit de se poser la question concernant les économies européennes par comparaison).

Et ce qui se passe dans le reste du monde accentue l’impression d’un changement tectonique majeur au niveau de la monnaie américaine : l’Arabie saoudite, pourtant partenaire de longue date des Américains et pilier de la puissance du pétrodollar, semble résolument se tourner vers la Chine en acceptant ouvertement des paiements en d’autres devises que le dollar pour l’acquisition de son pétrole.

La nouvelle peut ne pas sembler fraîche : dès 2018, la Chine introduisait des contrats pétroliers cotés en yuan dans le cadre de ses efforts pour internationaliser sa monnaie, bien que 80 % des transactions pétrolières mondiales soient encore effectuées en dollars américains. Et dès mars 2022, des discussions s’ouvraient entre la Chine et l’Arabie saoudite à ce sujet pour envisager le paiement du pétrole directement en rial saoudien voire en devise chinoise.

Il faut en effet se rappeler que ce rial saoudien est rattaché au dollar américain depuis des décennies tandis que les exportations de pétrole saoudien continuent de soutenir le système du pétrodollar des années 1970, dans lequel le premier exportateur mondial de pétrole fixe le prix de son brut en dollars américains.

Alors qu’il se murmurait déjà depuis quelques années que le nouveau pouvoir saoudien envisageait d’ouvrir ses exportations pétrolières à d’autres devises, les événements en Ukraine ont largement précipité ces projets : depuis, l’Arabie saoudite semble vouloir couper totalement les liens avec le dollar américain et se tourner vers la Chine.

La question est loin d’être marginale : quelque 25 % des importations de pétrole de la Chine (sur un total d’environ 10,5 millions de barils par jour) proviennent d’Arabie saoudite, le reste étant livré principalement par la Russie, l’Irak et l’Angola. Le royaume, qui exporte en moyenne 6,2 millions de barils par jour, figure également parmi les principaux fournisseurs de brut du Japon et de l’Inde.

En outre, cette question se pose avec une insistance croissante à mesure que les pays occidentaux tentent de faire valoir leurs points de vue de façon de plus en plus autoritaire aux pays producteurs : depuis les sanctions imposées au Venezuela, puis à l’Iran et maintenant à la Russie, les pays émergents sont devenus moins dépendants des États-Unis. Pour les Saoudiens, la méfiance est encore plus ancienne, notamment depuis que le prince héritier Mohammed ben Salmane a été ostracisé par l’administration Biden qui l’accusait d’avoir fomenté l’assassinat du journaliste dissident Jamal Kagoshi, distendant de façon évidente les relations entre Washington et Riyad ; les demandes de Biden à l’Arabie saoudite d’augmenter sa production pour faire baisser le prix du baril de brut n’ont pas été suivies du moindre effet et pire, la production a même été réduite dans ce qu’on peut qualifier de véritable camouflet infligé au président américain.

Cet alignement progressif de l’Arabie avec la Chine et la Russie est encore plus compréhensible lorsqu’on apprend que la Kingdom Holding d’Arabie Saoudite a investi 500 millions de dollars dans les trois principales sociétés énergétiques russes quasiment au moment où la guerre en Ukraine a commencé.

Dès lors, on ne pourra pas être surpris par les déclarations de Xi sur la mise en place de swaps rial/yuan lors de son voyage officiel en Arabie Saoudite en décembre dernier :

The Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange platform will be fully utilized for RMB (renminbi) settlement in oil and gas trade.
(La plateforme de bourse Pétrole & gaz naturel de Shanghai sera pleinement utilisée pour le règlement en renminbi dans le commerce du pétrole et du gaz)

Et comme ceci s’ajoute aussi aux velléités logiques et officielles de la Russie (et de l’Inde) de ne plus commercer en dollar, une part croissante des échanges mondiaux de pétrole ne va plus se faire en dollars mais dans d’autres devises.

De façon évidente, là où les Américains pouvaient prétendre forcer certains pays à conserver le dollar comme monnaie d’échange internationale, il ne peut en aller de même avec la Chine qui constitue un adversaire plus dangereux. Si, au début des années 2000, l’hégémonie financière et militaire américaine ne faisait aucun doute, il en va maintenant tout autrement et l’Oncle Sam sait qu’il doit réfléchir à toute position réellement belliqueuse contre l’Empire du Milieu.

Ceci devrait avoir plusieurs effets notoires sur le dollar américain.

La demande pour ce dernier s’amenuisant avec la disparition rapide du pétrodollar, et l’offre actuelle étant plus importante que jamais, il semble assez clair que la valeur du dollar va s’effondrer dans un avenir proche.

Ceci va se traduire par une augmentation des prix du baril de pétrole ; actuellement autour de 80 dollars, il n’est pas invraisemblable de le voir rapidement grimper au-delà des 120 dollars, ce qui renchérira les biens et produits importés de l’étranger vers les États-Unis et vers l’Europe, ainsi que les biens produits localement dont la production dépend ultimement du prix de l’énergie. L’inflation constatée actuellement n’est qu’en partie seulement la résultante de cet effet ; on peut raisonnablement s’attendre à d’autres hausses de prix, plus fortes celles-là, lorsque le pétrodollar deviendra marginal.

Si l’on poursuit le raisonnement, la forte demande en actions et bons américains étant en bonne partie pilotée par le besoin des pays étrangers d’investir les dollars dont ils disposent, le pivot vers le pétroyuan pourrait favoriser les entreprises chinoises avec un afflux de nouveaux capitaux extraits des bourses occidentales. L’impact sur les bons du trésor américains pourrait être important : la baisse de leur demande se traduira mécaniquement par une augmentation de leurs taux d’intérêts, ce qui pourrait plonger l’économie américaine et, par ricochet, toutes les économies occidentales, dans une récession marquée. Les pays aux finances saines s’en sortiront mieux que les autres (surprise : la France n’en fait pas partie).

Au passage, notons que la baisse des cours des actions et de la valeur du dollar devrait normalement aussi se traduire en une hausse notable des valeurs des matières premières comme l’or, l’argent et, logiquement, des cryptomonnaies…

La situation économique américaine et occidentale largement dégradée ne laisse ensuite rien présager de bon : une telle transition internationale ne pourra se passer sans douleurs et à ce titre, un ou plusieurs conflits majeurs ne sont pas à écarter.

À plus ou moins brève échéance, la fin du pétrodollar ne fait plus guère de doute.

Si l’année 2022 vous a paru bien pleine de rebondissements, l’année 2023 pourrait lui tenir la dragée haute…

Sur le web

Voir les commentaires (8)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (8)
  • Les américains ont joué avec le feu avec leurs dollars. Les lois d’extra territorialité sont imposées à tout utilisateur de dollars. Les embargos qu’ils fixent interdisent aussi tout échange en dollars.
    Bref, qui n’est pas dans la ligne de la maison Blanche (à tort ou à raison) a de grands risques de se voir limiter voire interdire l’utilisation du dollar et donc de tout échange international.
    Donc, en cas d’alternatives, autant diversifier ses devises. Cela effectivement signifie que d’autres devises vont servir aux échanges internationaux. Et donc la fin de la loi américaine dans le monde.
    On peut rappeler que ce sont les américains qui ont développé la Chine en y délocalisent les premiers leurs industries vers un pays à bas coût de main d’œuvre. Et les Chinois ont saisit au bon cette opportunité. Ce n’est pas le cas de l’Afrique qui a été la première à bénéficier des délocalisations mais sans doute à cause de la corruption endémique, n’a pas pu saisir l’opportunité comme la Chine.

  • Bah, les usa ont suffisament de vassaux pour garder leur dollar à un bon niveau, il faut plutôt s’inquiéter pour notre euro. L’effondrement de l’ue n’est pas un hasard….

  • Normalement les Etats unis et l’Europe pourraient compenser via la production de pétrole de schiste. Pour les Etats unis, c’est exactement ce qu’il s’est passé: grâce à la production nationale, moins d’importations ont été nécessaires, donc moins de commerce avec l’Arabie Saoudite et des prix planchers. Pour l’Europe, on attend, et on peux espérer que si la crise énergétique devient plus forte, on finira par accepter l’exploitation.
    Quant à l’Arabie Saoudite, c’est pas génial pour eux. Leurs couts de productions augmentent, et la concurrence aussi. Les finances du royaume baissent, et une petite ouverture aux chinois/inflation serait la bienvenue pour MBS et consorts. Et le pétrole saoudien (en particulier celui à bas prix) va finir par s’épuiser…

  • L’histoire pourra retenir que l’Opération Militaire Spéciale aura été le catalyseur de l’acceleration du processus de dé-dollarisation. Geler, saisir puis les tentatives en cours de voler les avoirs de la Banque Centrale Russe détenus à l’étranger est un élément déclencheur et révélateur pour les pays non-occidentaux. Même le Bresil et l’Argentine discutent d’une monnaie d’échange commune à étendre à toute l’amérique du sud. N’oublions pas non plus que les BRICS+ (candidature en cours de l’Iran, Arabie Saoudite, Algerie) avec l’appui du SCO sont dans les derniers préparatifs pour se dé-dollariser et pour appuyer leur monnaies nationales qui seront basés sur un panier de resources tangibles (or, argent, pétrole, céréales) en comparaison de la presse à papier occidentale. Dans cet univers, je mise sur le franc suisse en plus de l’or et argent pour éviter la ruine. Par contre aucune confiance pour les pseudocryptomonnaies…

  • Bon article sur un sujet qui mériterait plus d’attention.
    Une observation concernant l’Arabie séoudite [et non « saoudite » qui est une translittération anglophone] : ce royaume présente de grandes fragilités, une des plus sérieuses étant que bon nombre de gisements d’hydrocarbures sont situés dans l’est de ce pays, sur la côte bordant le Golfe et dont la population, majoritairement chiite, est souvent en opposition avec le pouvoir sunnite wahabite.
    Or, il me semble que certains responsables étasuniens gardent à l’esprit (et les Séoudiens en sont évidemment informés) l’idée que, si les relations avec le royaume d’Arabie risquaient de devenir franchement mauvaises, il pourrait être intéressant de  » favoriser  » une sécession de ces populations chiites aboutissant à la création d’un nouvel émirat côtier assurément plus docile à l’égard des États-Unis. L’abandon du dollar par l’Arabie séoudite pourrait constituer un casus belli qui inciterait l’empire étasunien à étudier davantage cette option.

  • Il est certain que ceux qui contestent l’ordre mondial cherchent à imposer leur monnaie, mais de là à considérer un effondrement du dollar…
    Quant à l’arabie, quand ils verront que l’Iran, leur ennemi, est allié privilégié de la Chine et de la Russie, ils vont se souvenir rapidement envers qui va leur allégeance.

    • L’histoire nous montre qu’à chaque fois qu’un chef d’état a voulu s’affranchir du dollar pour vendre son pétrole, cela s’est très mal fini pour lui (Irak, Libye, Venezuela. MBS prend un risque énorme mais il ne le fait pas de façon isolée comme les précédents mais à un moment où tout le monde non-occidental perd confiance dans les USA quand ils peuvent maintenant être sanctionnés très durement dès qu’ils déplaisent à l’Oncle Sam. Pas sûr que les US puissent ouvrir un nouveau front au moment où tout leur système militaro-industriel est focalisé à fond pour suivre le débit de dingue sur le front Ukraine-Russie.
      Et cette désaffection pour le dollar et les « valeurs occidentales » semblent un véritable retour de balancier avec toute l’inertie des changements de centre de gravité autant en terme de PIB que de démographie.
      Comme le disait La Fontaine, « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ». Et là, indéniablement, les gouvernements américains ont poussé le bouchon trop loin et dans un contexte nouveau: la vérité ressort beaucoup mieux qu’il y a 40 ans avec l’internet et les lanceurs d’alerte maintenant très largement répandus.
      Cela devient compliqué de contenir l’eau d’un seau qui devient de plus en plus poreux… L’unipolarité voulue par l’élite Américaine est probablement trop chère pour elle et elle n’a (et n’aura) plus les moyens de son modèle économique global basé sur la dette quand l’adversaire construit un nouvel ordre basé sur un panier de valeurs bien tangible. Quand les spéculateurs l’auront massivement compris ils investirons sur la baisse de l’Amérique et ce sera brutal. Vous ne croyez pas ?

  • La suprématie américaine provient de son armée financée par son économie et par le dollar. Les américains sont conscients que le dollar doit exercer un retour de rentabilité pour les utilisateurs extérieurs malgré sa manipulation parfois grotesque.
    Par contre je ne suis pas convaincu que les dirigeants chinois et leurs actuels alliés soient des saints et soient à la veille d’offrir une véritable alternative au dollar. Les prémisses évoquées dans le billet d’H16 alertent déjà les vrais responsables économiques US qui sont à la manœuvre en contre des politiciens
    Merci de m’avoir lu

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

7
Sauvegarder cet article

Les milieux financiers découvrent tardivement les faiblesses du modèle chinois, pourtant perceptibles depuis une décennie. C’était prévisible pour tout observateur de la démographie, des mécanismes de développement et du communisme.

On peut penser notamment aux dettes souscrites en contrepartie de faux actifs, par exemple pour la construction de logements, alors qu’il y a de moins en moins de jeunes pour les occuper ou d’infrastructures redondantes, faisant momentanément la joie des bâtisseurs. Je me doutais bien que ces dettes sortira... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles