450 ans après, la Saint-Barthélémy ou l’énigme d’un crime d’État

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450 ans après, la Saint-Barthélémy ou l’énigme d’un crime d’État

Publié le 24 août 2022
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C’était il y a 450 ans, jour de la Saint-Barthélémy. En cette aube du 24 août 1572, des milliers de catholiques parisiens se lancent dans une chasse systématique et sanguinaire, celle des protestants résidant dans la capitale.

La Saint-Barthélémy reste, à peu près, le seul événement qui surnage dans l’imaginaire collectif de cette trouble période de guerre civile qui ravage la France au XVIe siècle et qu’on appelle les guerres de religion. Il faudra attendre la Révolution française pour dépasser en violences et en vandalisme ce terrible, long et douloureux conflit entre Français qui s’étend de 1562 à 1598. Mais les événements de 1572, par leur ampleur exceptionnelle, constituent bien le point d’orgue d’une guerre civile qui va paradoxalement déboucher sur l’instauration de l’absolutisme.

 

La légende noire de Catherine de Médicis

La Saint-Barthélémy et la légende noire de Catherine de MédicisLe massacre de la Saint-Barthélémy a fortement contribué à la légende noire de Catherine de Médicis. Celle qui fut un des meilleurs monarques français avait le malheur d’être femme et étrangère (la « Florentine »). Un fameux tableau pompier d’Édouard Debat-Ponsan, Un matin devant la porte du Louvre (1880) campe ainsi l’image d’un vampire avide du sang huguenot. La Reine Margot, un des plus populaires romans d’Alexandre Dumas, en a fixé l’image littéraire. Cette figure sinistre vêtue de noir fut reprise dans Intolérance de Griffith (1916) et bien sûr dans les adaptations du roman de Dumas par Jean Dreville, René Lucot et surtout Patrice Chéreau. Françoise Rosay, Alice Sapritch (à deux reprises à la télévision) et Virna Lisi ont incarné la reine étrangère et diabolique, rusée et sans scrupules.

La dimension religieuse, et donc idéologique, du massacre est illustrée par son nom même. Barthélémy, un des Douze selon les évangiles synoptiques, aurait été crucifié, écorché vif puis décapité selon La Légende dorée. Il était par conséquent le patron des bouchers, des tanneurs et des relieurs. Rarement massacre aura été placé sous un patronage aussi symbolique.

 

Un royaume divisé dont le prince est un enfant

Ce massacre de la Saint-Barthélémy n’a pas éclaté soudainement dans un ciel serein.

Il est la conséquence de dix ans de conflits marqués par des tueries nombreuses mais de moindre ampleur. Si les combats ont commencé en 1562, le feu couvait sous la cendre depuis la mort accidentelle d’Henri II en 1559. La couronne était revenue à des adolescents, François II puis Charles IX, placés sous la tutelle de leur mère Catherine. La faiblesse du pouvoir royal, accentuée par la médiocrité des derniers Valois, va jouer un rôle majeur dans un royaume divisé par les querelles religieuses.

Soucieuse de préserver la paix civile, la reine mère avait tenté à plusieurs reprises d’établir un compromis doctrinal entre catholiques et protestants. Le chancelier Michel de L’Hospital avait un temps incarné cette politique de conciliation : « ôtons ces mots diaboliques, noms de partis, factions et séditions, luthériens, huguenots, papistes. Ne changeons le nom de chrétien. » Les qualificatifs injurieux de « huguenot » et « papiste » avait même été interdits par un édit royal en 1561.

 

La Saint-Barthélémy résultat de dix ans de conflits

Mais cette politique d’équilibre qui visait à neutraliser les ambitions des grands princes, Bourbons et Châtillon d’un côté, Guise de l’autre, se révéla un échec. « Autant demander aux chats et aux rats de vivre en bonne amitié » en concluait la Reine-mère.

La guerre avait donc éclaté, marquée par des exactions de part et d’autre. Les protestants, loin d’être d’innocentes victimes, avaient témoigné d’une férocité et d’une violence aussi inouïe que leurs adversaires. Ils y ajoutaient les particularités du vandalisme sacrilège. Les destructions iconoclastes des protestants, abattant autels et images, les massacres de prêtres et de moines, heurtaient ainsi profondément les catholiques. L’intensité des violences renvoyait à la nature même d’un affrontement idéologique. Les uns voulaient extirper l’hérésie, les autres détruire l’idolâtrie.

Une haine inexpiable opposait d’autre part les Guise, dont le père avait été assassiné en 1563, à Coligny, qui avait stipendié son assassin. Mais dans ces guerres à répétition, aucune bataille n’avait été décisive et toutes les paix s’étaient révélées boiteuses.

 

Une réconciliation trompeuse

La paix de Saint-Germain en août 1570 avait irrité les catholiques par les concessions faites aux protestants. « Nous gagnons, nous, par les armes, eux, par ces diables d’écriture » grommelle ainsi le maréchal de Monluc. L’Amiral Coligny revient à la Cour et met genou à terre devant Charles IX. Le roi le relève et l’embrasse. À l’automne 1571, le chef protestant paraît dominer le roi qui l’appelle « mon père » et passe son temps en sa compagnie. L’amiral ne sait pourtant pas saisir sa chance et repart bientôt pour son château de Châtillon.

Mais l’affection du roi est-elle sincère ? Il n’a pas oublié la « surprise de Meaux ». Quatre ans plus tôt, Condé et Coligny avaient tenté de s’emparer de la famille royale. Charles IX, réfugié à Meaux, avait du fuir sous la protection de ses Suisses. Il s’était juré de venger cette humiliation.

Pour l’heure, la réconciliation est à l’ordre du jour. Marguerite de Valois, la fille de Catherine, autrefois amoureuse du bel Henri de Guise, le « Balafré », doit épouser son cousin protestant, Henri de Navarre. L’union entre les Valois et les Bourbons va-t-elle rétablir celle de tous les Français autour de la famille royale ? Mais trop de haines subsistent entre les deux partis. Henri de Guise, qui avait un père à venger, est très populaire dans un Paris où le mot d’ordre est « Mort aux huguenots ». En s’opposant au pape, hostile au mariage, en provoquant le roi d’Espagne, le roi de France ne va-t-il pas basculer dans le camp hérétique ?

 

Des noces au drame

Loin d’apaiser les tensions, le mariage ne fait ainsi qu’aviver la profonde hostilité des catholiques intransigeants. La présence d’un grand nombre de protestants à Paris, venus pour les noces, irrite d’autant plus les Parisiens. Catherine, sans doute, n’a pas bien pris la mesure des passions religieuses. Simon Vigor, le curé de Saint-Paul, dénonce par exemple les « lépreux spirituels » et prophétise qu’un jour Dieu les exterminera tous. Les noces sont ainsi célébrées, le 18 août 1572, dans une atmosphère électrisée. Le consentement des époux est reçu sur le parvis, les protestants n’assistant pas à la messe à Notre-Dame. De joyeuses festivités préludent au drame de la Saint-Barthélémy.

Le 22 août, tout bascule. Coligny est victime d’une tentative d’assassinat. Un coup d’arquebuse l’a touché à la main et au coude. L’auteur appartenait à l’entourage des Guise. Charles IX, apprenant la nouvelle au jeu de paume, en brise sa raquette de rage. « N’aurai-je donc jamais de repos ? »

Les protestants parlent haut et fort, menacent de remettre en question la paix. De son côté, la milice bourgeoise prend les armes malgré les ordres du roi. L’ambassadeur d’Espagne quitte la cour, rompant les relations diplomatiques avec la France. Les Guise réunissent autour d’eux les mécontents.

 

La Saint-Barthélémy un « crime d’amour » qui a mal tourné ?

Le pouvoir royal se retrouve réduit à l’impuissance, coincé entre les deux factions. Comment interpréter ce qui va suivre ? L’historien Denis Crouzet a parlé de « crime d’amour ». Charles IX méditait de sauver la concorde en éliminant les principaux chefs huguenots. Le roi ne songeait nullement à un massacre généralisé. De leur côté, le duc d’Anjou, frère du roi, et le duc de Guise poussent au meurtre. Faut-il voir derrière eux la main de l’Escorial et du Vatican ?

En attendant, le « Balafré » agit, sans doute avec l’accord tacite du roi. Avec une poignée d’hommes, il entre dans la maison de Coligny qui est tué et décapité, son cadavre jeté dans la rue. Cette même nuit du 23 au 24 août, vers trois heures du matin, les cloches de nombreuses églises entrent en branle. Le tocsin sonne le début du massacre de la Saint-Barthélémy proprement dit mené par la milice bourgeoise aidée par les hommes du roi et de Guise.

Pendant trois jours, les protestants pris au piège d’une ville aux portes closes, vont tomber sous les coups de la violence populaire. Femmes et enfants ne seront pas épargnés. On tue davantage dans les maisons que dans la rue, en dépit de l’imagerie traditionnelle. Dépouillés, dénudés, parfois mutilés, les cadavres sont jetés en masse dans la Seine.

Seules quelques figures protestantes, à commencer par les princes du sang, le roi de Navarre et le prince de Condé, échappent à la mort. Se voulant exécuteurs de la justice divine, les catholiques parisiens, croix au chapeau et écharpe blanche au bras, tuent entre 2 à 4000 personnes.

 

La Saint-Barthélémy, un « massacre d’État » ?

Le monarque, impuissant, se dit victime d’une « grande et lamentable sédition ». La province ne se révèle pas davantage obéissante. La fureur catholique se déchaine à Orléans, Bourges, Angers, Rouen, Lyon, Bordeaux ou Toulouse contre la volonté expresse du roi. La « saison des Saint-Barthélémy », selon l’expression de Janine Garrisson, a peut-être fait 10 000 victimes au total.

Soucieux de sauver les apparences, le roi, dans un lit de justice tenu le 26 août, endosse la responsabilité des événements, affirmant avoir fait exécuter Coligny pour conspiration contre l’État. Dans le même temps, il avait ordonné à ses représentants en province de maintenir l’édit pacificateur de 1570. Comprenne qui pourra ce malheureux prince… Élevés dans les valeurs de l’humanisme, ces pauvres Valois n’étaient pas taillés pour ces temps de brutalité sanguinaire.

Au final, ce « massacre d’État » paraît avoir échappé aux mains des divers protagonistes en présence, ouvrant le champ à toutes les hypothèses. Il fascine toujours aujourd’hui car il paraît préfigurer les horreurs de la Révolution française et les massacres de masse du XXe siècle.

 

Catholique qui rit, protestant qui pleure

Sur le moment, côté catholique, la Saint-Barthélémy provoque un enthousiasme sans bornes. Le pape Grégoire XIII fait chanter un Te Deum et confie à Vasari la réalisation d’une fresque célébrant la mort de Coligny. La nouvelle arrache même un sourire à l’impassible Philippe II, louant Charles IX « d’avoir une telle mère, puis la mère d’avoir un tel fils. » Ronsard glorifie Charles IX pour avoir purgé le royaume de la souillure hérétique.

Côté protestant, le son de cloche était tout autre. Un certain François Hotman dans sa Franco-Gallia (1573) ne se contente pas de dénoncer la tyrannie du roi. Il appelle à rétablir la tradition « gauloise » reprise par les Francs, l’élection du monarque par les représentants du peuple. Théodore de Bèze, à Genève, écrit un traité Du droit des magistrats sur leurs sujets, soutenant l’idée d’un contrat liant le peuple et son chef. Magistrats et États pouvaient donc révoquer un chef indigne.

 

La Saint-Barthélémy ne règle rien

En dépit de son côté spectaculaire, la Saint-Barthélémy n’avait donc rien réglé, sinon contribué à affaiblir encore davantage le pouvoir des Valois. Les théories du tyrannicide, qui se propageaient tant d’un côté que de l’autre, devaient justifier plus tard l’assassinat d’Henri III (1589). L’ancien massacreur de la Saint-Barthélémy tomba sous le poignard d’un moine lui reprochant de s’être rapproché de son cousin Henri de Navarre. Les guerres de religion ne devaient s’achever qu’avec l’entrée de Henri IV à Paris en 1594, même si le dernier ligueur ne rendit les armes qu’en 1598, soit un quart de siècle après la Saint-Barthélémy.

L’édit de Nantes, promulguée la même année, s’efforçait d’instaurer une coexistence religieuse unique en Europe. Mais c’est une autre histoire…

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  • merci pour cet exposé.
    l’événement n’est-il pas plus politique que religieux (comme les guerres de religion) ?

    • Plus politique, plus religieux, qu’importe ? A chaque fois que cette époque vient sur le tapis, la complexité m’interpelle du cas de Bernard Palissy, protégé huguenot de Catherine de Médicis, mais écrivain, scientifique et artiste sans rôle politique, qui finira sur le chevalet et son corps jeté aux chiens.

  • Tout à fait passionnant. On oublie en effet souvent que derrière les massacres soi disant religieux se cachent des objectifs 100% politiques . Notre époque ne fait pas exception.

  • Les fameuses guerres de religion est un qualificatif de l’Histoire officielle de la Troisième République. C’était en réalité une invasion intérieure. On a certes massacré des meneurs politiques reconnus. Mais, de l’autre côté, on connaît les nombreuses places-fortes protestantes, les tueries et déprédations commises par les Huguenots dans le Sud-ouest, le Languedoc et la vallée du Rhône… Les opposants ont fait de la propagande auprès de paysans ignares en leur expliquant que tous leurs malheurs venaient du régime en place (les Camisards, par exemple). On y a peu rencontré de martyres ! Les coupeurs de têtes de 89 sauront propager les mêmes idées et chausser les mêmes bottes.

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