Les périodes de non-travail dans la vie

Un système privé de financement des périodes de non-travail conduirait un peu à une redistribution des ressources, comme cela est le cas pour le système public.

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Les périodes de non-travail dans la vie

Publié le 21 août 2022
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Comme cela a d’ailleurs été le cas assez souvent dans le passé, on se préoccupe souvent actuellement, et en particulier les politiciens, des changements éventuels à décider pour les allocations chômage et pour les retraites.

Il s’agit dans les deux cas des périodes durant lesquelles des personnes cessent de travailler pendant un certain temps (chômage) ou définitivement (retraites). Les revenus qui sont gagnés au cours des périodes de travail cessent évidemment de l’être et il est donc normal que les travailleurs puissent disposer de ressources au cours de ces périodes.

Dans un pays comme la France c’est l’État qui a organisé des systèmes de financement. Ceux qui ne travaillent pas bénéficient des ressources que les travailleurs sont obligés de payer pour financer ces systèmes de chômage et de retraite. Et bien entendu on doit considérer comme arbitraires les décisions concernant les taux de prélèvement de ces financements, les montants accordés à ceux qui ne travaillent pas et par exemple l’âge auquel on prend sa retraite.

Pour bien évaluer ces systèmes il est utile d’analyser ce qui pourrait se passer si ces procédures étatiques n’existaient pas. De ce point de vue on peut envisager le rôle joué par ce qu’on appelle le revenu permanent. C’est en particulier le célèbre économiste Milton Friedman qui a développé la théorie du revenu permanent.

Elle consiste à dire que les dépenses effectuées par un individu (en particulier les dépenses de consommation) au cours d’une période ne dépendent pas uniquement des revenus obtenus au cours de la même période, contrairement à ce qui est souvent considéré (par exemple dans des études économétriques qui consistent à calculer le rapport entre dépenses de consommation et revenu).

Cela est à juste titre opposé à la théorie keynésienne qui considère que la consommation d’une période (ou plus généralement la demande globale) détermine le niveau de la production et qu’il existe une relation entre la consommation d’une période et le revenu de cette même période.

 

Le revenu permanent

Le revenu permanent constitue en quelque sorte le revenu obtenu en moyenne au cours de toutes les périodes de la vie (par exemple chaque année). Pour bien envisager ce problème du revenu permanent faisons tout d’abord une hypothèse extrême : supposons qu’un individu ait une connaissance totalement parfaite de tous les revenus qu’il va gagner au cours de sa vie, mais aussi de l’âge auquel il prendra sa retraite et de l’âge auquel il va mourir. Il peut donc essayer de calculer son revenu permanent.

Mais le revenu permanent n’est pas très simple à calculer, d’autant plus qu’il convient de tenir compte des taux d’intérêt que l’on doit payer lorsqu’on emprunte de l’argent et des taux d’intérêt dont on bénéficie lorsqu’on épargne. En effet si un individu a cette année un revenu plus faible que son revenu permanent – par exemple parce qu’il a une période de chômage – et s’il veut faire des achats de consommation correspondant à son revenu permanent il doit emprunter des ressources et donc payer un taux d’intérêt. Par ailleurs s’il considère à juste titre qu’au cours de sa retraite il ne disposera pas des revenus nécessaires pour ses consommations il est incité à accumuler du capital, ce qui lui permettra de faire des achats soit en utilisant les rendements de son capital, soit en dépensant peu à peu ce dernier.

Si cet individu a une connaissance parfaite de ses ressources et de ses dépenses futures, il saura exactement quand il devra emprunter de l’argent et quand il devra épargner. Et en outre son calcul dépendra évidemment de ce qu’il souhaite éventuellement léguer, par exemple, à ses enfants.

Certes il est évident que personne ne peut avoir des informations aussi précises sur toutes les années futures de sa vie en ce qui concerne les périodes au cours desquelles il travaille et gagne des revenus et les autres périodes au cours desquelles il emprunte ou utilise son capital pour financer ses dépenses. On doit donc considérer que le revenu permanent ne peut pas correspondre parfaitement aux hypothèses ci-dessus et qu’il s’agit d’un montant calculé de manière un peu arbitraire.

Mais il n’en reste pas moins vrai que les décisions de revenu et de dépenses au cours d’une année dépendent en grande partie des idées que l’on peut avoir au sujet des dépenses et des revenus du futur. Ainsi certains individus vont considérer qu’en cas de chômage ils pourront emprunter pour financer leurs dépenses, alors que d’autres considèrent qu’ils pourront dépenser dans ce cas une partie de leur capital ou les rendements de leur capital. En ce qui concerne la retraite le financement des dépenses ne peut évidemment pas dépendre des emprunts car l’absence de revenus du travail rend cela impossible.

Ce financement est donc nécessairement rendu possible pour un individu en utilisant les rendements de son capital ou même en vendant des parties de son capital. Dans ce dernier cas il existe une incertitude importante. En effet on peut calculer le montant de son capital que l’on peut utiliser chaque année dans la mesure où l’on connait la durée de sa retraite. Mais évidemment on ne peut pas avoir une connaissance parfaite de l’âge de son décès et donc de la durée de sa retraite.

Il y a de ce point de vue un risque important. Mais il est vrai aussi par ailleurs qu’il existe une incertitude au sujet de l’existence éventuelle de périodes et de durée de chômage.

 

Le problème du service public

Comme on le sait, dans le système public tel qu’il existe en France tous les individus bénéficient de ressources lorsqu’ils ne travaillent pas, en fonction de conditions précises pour éviter qu’ils ne soient continuellement incités à ne pas travailler du tout et de bénéficier malgré tout de ressources de consommation.

Ces ressources proviennent évidemment de ceux qui travaillent. Ainsi un individu contribue au financement des ressources pour les chômages et les retraites d’autrui lorsqu’il travaille et il bénéficie de ressources lorsqu’il ne travaille pas. Le montant obtenu en cas de non-travail dépend essentiellement du revenu obtenu lors des périodes de travail.

Si au cours de sa vie il a connu de très longues périodes de chômage et de retraite, le montant de ses cotisations lors des périodes de travail n’en a pas été augmenté, contrairement à ce qui se passe dans le système de financement individuel du non-travail que nous avons précédemment évoqué.

Il y a uniquement une augmentation de la redistribution entre autrui et lui. Et inversement, bien entendu, si un individu aura eu une très courte durée du non-travail au cours de sa vie, il aura beaucoup contribué à l’allocation de ressources pour le non-travail d’autrui. Dans le système d’origine étatique – tel qu’il existe en France – le financement des périodes de non-travail constitue donc un système de redistribution des ressources de tous les citoyens. Or ceci peut être considéré à juste titre comme contestable puisque le fait de travailler oblige à fournir des ressources à autrui.

La redistribution des ressources entre individus ne constitue pas une caractéristique inhumaine, mais il existe une grande différence entre la redistribution volontaire décidée par ceux qui la financent et qui font des dons à autrui et par ailleurs la redistribution obligatoire de la politique publique.

 

Le financement des périodes de non-travail

Envisageons alors ce qui pourrait se passer logiquement en l’absence des systèmes publics de financement du chômage et de la retraite, ce qui correspond à une réforme importante qui pourrait être décidée. Contrairement à ce qui se fait dans les politiques publiques, on doit considérer que le chômage et la retraite ne sont pas deux situations indépendantes l’une de l’autre. Ce qui compte c’est le rapport entre les périodes de travail et les périodes de non-travail.

On peut considérer que les dépenses de consommation et les décisions d’épargne dépendent du revenu permanent. Mais évidemment, contrairement à l’hypothèse extrême que nous avons faite ci-dessus, les individus ne peuvent pas avoir une connaissance parfaite de leurs périodes de travail et de non-travail. Mais pour les politiques publiques on ne peut pas non plus prévoir la répartition future des périodes de travail et de non-travail de l’ensemble de la population.

Il y a donc un risque de décisions imparfaites, de telle sorte que les politiques devraient normalement être modifiées bien souvent (pour accroître les cotisations ou diminuer les dons ou, par exemple, pour modifier l’âge de la retraite ou le montant des paiements accordés en cas de chômage).

Si au lieu de politiques publiques pour le financement des périodes de non-travail, on laissait à chacun le soin d’agir en fonction de ses revenus permanents on peut se demander ce qui se passerait probablement. Comme nous l’avons vu il serait incité à épargner et à emprunter. Mais dans la mesure où les individus ne peuvent pas avoir une connaissance parfaite de leurs périodes de travail et de non-travail dans le futur, on doit considérer qu’ils subissent des risques.

Par conséquent dans un système de nature privée – que l’on pourrait à juste titre envisager en remplacement du système étatique – les individus seraient certainement incités à faire partie d’un système de couverture des risques. Il y aurait par exemple des organisations chargées de financer des périodes de non-travail plus importantes que prévu. Ainsi on considérerait comme normal qu’un individu accumule du capital en fonction de ce que l’on considère comme la durée moyenne de la retraite pour tous les individus, mais par ailleurs il paierait les cotisations d’une organisation qui garantirait un paiement dans le cas où la durée de sa retraite serait supérieure à ce qui était prévu.

De ce point de vue le système privé de financement des périodes de non-travail conduirait un peu à une redistribution des ressources, comme cela est le cas pour le système public.

Article initialement publié le 13 janvier 2022

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  • C’est quoi cette histoire de revenu permanent ? Je n’y trouve absolument aucun sens, c’est vraiment une idée d’universitaire élaborée pour justifier son salaire.

    -5
    • Manifestement, vous n’avez rien compris à la problématique exposée dans cet article. Savez vous au moins comment votre retraite « SECU » est calculée? ( La Sécu calcule une revenu moyen annuel de tous vos revenus de travail et après de savants calculs assez opaques, vous attribue un revenu mensuel en général assez riquiqui, que vient compléter votre caisse de retraite complémentaire si vous avez eu la sagesse d’en prévoir une!).
      Votre pseudo laisse supposer que vos études universitaires ont été de courte durée et que vous opérez plus sur une pelouse que dans un amphi d’université!
      Je ne prétends aucunement défendre les universitaires, mais vos conclusions à deux balles sont indignes d’un prétendu libéral. Je vous sent un peu aigri, n’est-il pas?

  • Indemniser les périodes de non travail (allocations chômage principalement) serait un quasi non sujet si le marché du travail était plus fluide. La surprotection de certains au détriment des autres bloque le système. Mieux vaudrait des périodes de non travail peut-être plus nombreuses mais beaucoup plus courtes pour tous.
    Mais il faudrait que les mentalités changent tant du coté des salariés et de leurs syndicats que de celui des employeurs pour lesquels la compétence dans les fonctions devrait primer la capacité à se couler dans un moule soit disant pour la vie. Mais la clef est alors le sens des responsabilités pour les uns et la capacité à déléguer et faire confiance pour les autres.
    Mais est ce possible dans un pays qui se vautre dans le collectivisme?

  • Si sur un plan comptable et idéologique cette solution peut s’entendre, je ne suis pas certain que sur un plan plus général, la vie en société, les individus se sentiront plus libres et heureux. Soit tu cotises, soit tu ne cotises pas mais sache que dans le premier cas tu feras partie de la société et dans le second tu en seras exclu. Ce n’est pas ce que j’appelle un choix libre, c’est un choix avec le couteau sous la gorge.
    On ne peut pas définir un mode de fonctionnement social seulement sur un critère, économique par exemple, sans prendre en compte d’autres aspects fondamentaux humains : en gros on adapte notre société au fonctionnement de notre cerveau et non l’inverse. Après on s’étonne que ça ne marche pas, que les gens ne suivent pas, qu’il y a de plus en plus de désordres. etc.

    • Sauf à vivre sur une île déserte, on « cotisera » toujours d’une manière ou d’une autre en prévision de coups durs, éventuelle vieillesse comprise. La question est de savoir si c’est vraiment à l’État de faire main basse sur cette manne pour la dilapider à tort et à travers.
      Et c’est justement une neutralité distante de l’État qui favoriserait le développement d’une solidarité sociale authentique.

  • C’est vrai que personne à la sécurité sociale n est capable de vous fournir un mode de calcul pour définir votre retraite c’est plus q opaque.
    Si nous informions les gens sur la différence entre répartition et capitalisation ils auraient le choix de choisir en toute liberté.
    Nous savons très bien que ce n’est pas le but des politiciens de notre pays et d autres d ailleurs.

    • Le pire, peut-être, est que pour les politiciens « capitalisation » signifie exclusivement « souscription à l’emprunt d’Etat ». Donc même s’ils prétendaient laisser choisir en toute liberté, on ne pourrait pas parler de choix éclairé, il s’agirait juste de se fier à une parole de l’Etat ou à une autre parole de l’Etat.

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