« Métavers » : le nouvel Eldorado ?

Le concept de métavers imaginé en 1992 voit aujourd’hui une convergence d’éléments conduisant à une nouvelle renaissance.

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« Métavers » : le nouvel Eldorado ?

Publié le 31 octobre 2021
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Par Stéphane Bourliataux-Lajoinie.

Facebook mais aussi Alibaba et Tencent se lancent dans la course au « métavers » en investissant plusieurs millions de dollars. Si le concept de métavers n’est pas récent, l’usage commercial de ce monde digital connait depuis 30 ans des essais tout aussi réguliers que ses échecs. Les nouvelles technologies immersives peuvent-elles transformer ce concept en réalité économique pérenne ?

Le terme de métavers a été proposé par Neal Stephenson en 1992 dans son ouvrage Snow Crash. L’auteur définit lui-même ce mot comme une précision du terme de monde virtuel qui est trop vague et onirique. Le métavers est un « meta-univers ». Il existe donc en propre, en parallèle d’un univers réel dans lequel nous vivons.

Stephenson définit un métavers de la façon suivante :

C’est un méta-univers qui repose sur une base technologique (informatique), à finalité économique (une monnaie locale peut y avoir cours, elle génère des transactions et des bénéfices). Les participants ont un avatar interactif (pour transmettre des émotions). Le métavers doit pouvoir représenter une quantité réelle d’individus pour renforcer la similitude avec le monde physique (une foule est composée de plusieurs individus et non par un message de type « 200 personnes sont en salle d’attente »).

Immédiatement des images de films (Matrix, Ready Player One) ou de jeux (les Sims, Clash of Clans, Fortnite) viennent à l’esprit, celles d’un monde virtuel souvent utopique qui vit sa propre vie.

Mais ces illustrations ont bien trop de limites. Si les films représentent parfaitement le concept du métavers, nous n’en sommes que spectateurs et n’y participons pas. Si les jeux en sont une application interactive, ils concernent un public précis (les joueurs de « simulateur de monde » connectés ou non, de MMORPG et s’appuient sur des consoles de jeux, des ordinateurs auxquels le pack écran-clavier-souris ou écran-manette de jeu reste la seule interaction possible.

Quelques « vrais » métavers ont pourtant vu le jour.

En 1997 Canal+ lance le premier monde virtuel en ligne français Le Deuxième Monde. L’utilisateur recevait par le poste un CD avec la carte de Paris (partiellement) numérisée en 3D, installait le CD sur son ordinateur, créait un avatar et se promenait dans la ville en très très bas débit. Il faisait des rencontres et se réunissait en groupe, discutait via un chat texte, regardait de la publicité. Nous retrouvons ici trois des quatre règles proposées par Stephenson, la dimension économique se résumait à de la publicité pour des produits du monde réel.

En 2003, le très connu Second Life propose une version plus aboutie et grand public du métavers en reprenant les concepts fondamentaux y compris une monnaie locale le Linden Dollar (L$) qui a eu une cotation officielle.

Le Deuxième Monde et Second Life ont été des étapes importantes, dont le dernier a été sans doute la plus belle réussite. Mais l’engouement du métavers s’est épuisé pour deux raisons : tout d’abord l’interface homme-machine (le trio écran-clavier-souris) est encore une barrière à l’immersivité de l’usager. Enfin, la bulle spéculative générée par Second Life a rebuté les puristes des métavers (l’engouement spéculatif des investisseurs est assez loin des rêves de F. Turner dans son ouvrage Aux sources de l’utopie numérique et a ruiné les opportunistes. L’enrichissement de la valeur sociale (au sens de Holbrook) n’a pas tenu ses promesses. Les réseaux sociaux émergents dont un certain Facebook remplissaient les besoins sociaux sans avoir les contraintes de faible immersivité liée à l’interface. La micro-segmentation des usages de Second Life (il existait des régions dédiées à toutes sortes d’activités) a créé une explosion du métavers en le rétrogradant à une sorte de MMORPG ultra spécialisé.

Pourquoi les géants du web se lancent-ils aujourd’hui dans cette course ?

Le marché actuel est assurément plus mur que durant les années 2000. Le taux d’équipement informatique et d’accès à Internet haut débit est de près de 90 % de la population en Europe et aux États-Unis.

La pandémie a démocratisé les relations humaines à distance. Les jeux basés sur la création d’un monde virtuel (Mindcraft, Fortnite, etc.) touchent aujourd’hui un public plus vieux et plus large. La popularité des cryptomonnaies (bitcoin, shiba, etc.) banalise l’usage des monnaies virtuelles et les aléas de leur cotation.

Enfin, et peut-être surtout, la démocratisation des casques de réalité virtuelle permet de dépasser la principale limite des anciennes expériences : l’immersivité. Être dans le métavers, acteur immergé et non plus acteur spectateur. Nous voici proches des acteurs du film Ready Player One ! Et que se passera-t-il si nous vivons dans un monde parallèle de manière durable ? Nous consommerons dans ce monde ! Services, goodies, avatars, effets spéciaux, autant de services numériques à acheter en monnaie virtuelle ou dollars réels. Une sorte de super Second Life dans lequel le consommateur sera immergé pour consommer, travailler, se divertir, se réunir.

Pour les grands acteurs économiques comme Facebook, Alibaba mais aussi de nouveaux entrants dans le business c’est ici un moyen de fidéliser leurs usagers en leur proposant une expérience immersive. Acheter les produits dans un métavers d’Alibaba « comme » dans un magasin physique avec la créativité visuelle sans limites, voici de quoi incarner l’expérience client en ligne, le graal du e-commerce.

Facebook peut s’appuyer sur près de deux milliards d’usagers quotidiens dont l’âge et le pouvoir d’achat les situent dans une cible économiquement rentable.

Les grands acteurs chinois tels Tencent se lancent dans l’aventure. Chaque société dépose des noms de marques dédiées aux futurs métavers. Fortnite a pour sa part amorcé depuis quelques années la vente en ligne dans son univers de jeux, il dispose d’un vivier très vaste (environ 350 millions de comptes) et plus jeune que Facebook, les acheteurs de demain sont les joueurs communautaires d’aujourd’hui.

Le concept de métavers imaginé en 1992 voit aujourd’hui une convergence d’éléments conduisant à une nouvelle renaissance : antécédents techniques (qualité et faible prix des connexions à haut débit, baisse du prix des casques de VR), antécédents sociaux (acceptation des relations humaines virtuelles, taux d’usage des réseaux sociaux et des jeux en ligne). Le point capital sera l’offre de services proposée. Comment faire converger dans un monde virtuel le jeu (Fortnite), l’e-commerce (Alibaba), les relations sociales (Facebook), le travail (Teams) ? L’enrichissement de valeur a rarement bénéficié aux leaders. On se souvient de l’échec de Google dans les réseaux sociaux, de Facebook dans l’email ou dans la vente en ligne. Les métavers verront peut-être apparaître de nouveaux entrants réussissant la convergence des services.The Conversation

Stéphane Bourliataux-Lajoinie, Maitre de conférences (HDR) en Marketing Digital. Directeur du MiM2 E-business and Digital Marketing, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Article publié initialement le 20 octobre 2021.

The Conversation

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  • je suis si vieux…

  • Si je comprends bien, l’aboutissement suprême du Métavers, ce serait qu’on puisse non seulement s’immerger dans un univers virtuel, mais que celui-ci soit en plus tangible : qu’on puisse le toucher, le sentir et le ressentir, s’y déplacer, serrer les gens qu’on y rencontre dans nos bras, etc., pas seulement visuellement mais physiquement. Et le mieux bien sûr, ce serait de ne pas avoir besoin pour cela d’un casque ou d’une combinaison spéciale… Tiens, je crois que je suis en train d’inventer un truc. Je vais appeler ça « le monde réel ». Ça peut marcher, non ?

    • Imaginez un handicapé qui, grâce au métavers, retrouve la sensation de marcher (en attendant que la médecine réelle le lui permette). Il y a des usages positifs à cette technologie.

      • Sur Second Life, vous aviez déjà des communautés d’handicapés qui aimaient se retrouver et bâtir ensemble. Certains de leur avatar étaient même carrément en fauteuil roulant.

  • J’ai connu aussi des philatélistes enragés…

  • Effectivement, le parallèle avec Matrix vient à l’esprit. Mais affirmer que c’est un monde « utopique qui vit sa propre vie » est faux: c’est un monde d’esclavage où l’illusion numérique sert à faire avaler aux humains la servitude absolue à laquelle ils sont réduits.
    À propos de ce film, je m’étais parfois demandé comment les machines avaient réussi à enchaîner les humains à leurs cocons de réalité virtuelle. On commence à avoir l’explication : les humains s’y enchaineront d’eux-mêmes. Il suffira de les persuader qu’il est mieux que la réalité qui ils ont sous les yeux. Notez que pour cela, il est important que la « vraie réalité » soit aussi invivable que possible. Pas mal de gens s’y emploient…
    Dernière chose: « relations humaines à distance », ce n’est pas un truc qui a été « démocratisé par la pandémie ». C’est un oxymore. Quand on commence à vous faire prendre comme évident et souhaitable quelque chose qui n’existe pas, il faut s’inquiéter.

  • Peut on faire des enfants en métavert?

  • « consommer dans le metavers » : vous connaissez une bonne boulangerie dans le métavers ?

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