Chine : le communisme à l’ère de la sublime pensée de Xi Jinping

Dorénavant, la Chine pensante doit s’éclairer à la lumière de la sublime pensée socialiste de son nouveau président à vie.

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President Xi Jinping by Chairman of the Joint Chiefs of staff (CC BY 2.0)

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Chine : le communisme à l’ère de la sublime pensée de Xi Jinping

Publié le 5 juillet 2021
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Par Nathalie MP Meyer.

Cent ans d’existence, 72 ans de pouvoir sans partage, 95 millions de membres et 1,4 milliard de citoyens docilement blottis sous son aile impérieusement protectrice – telles sont les impressionnantes mensurations du Parti communiste chinois (PCC). Né le 23 juillet 1921 à Shanghai au sein d’un petit comité de 13 délégués, il fut porté au paroxysme de la démesure par le président Mao Zedong, ce géant d’un genre certes banalement humain, mais dont il est définitivement et politiquement établi dorénavant que la « pensée surpasse les Dieux ».

Jeudi dernier, le 1er juillet 2021, le Secrétaire général du PCC qui se trouve être aussi le président de la République populaire de Chine Xi Jinping n’allait certainement pas manquer de souligner tant de grandioses qualités alors qu’il célébrait le 100ème anniversaire de son parti, en costume Mao s’il vous plaît, face à une place Tiananmen bondée et pavoisée aux couleurs récurrentes du communisme : du rouge, des faucilles, des marteaux, des militaires et une jeunesse aux ordres.

L’histoire du PCC regorge d’autres records encore plus exorbitants, mais de ceux-ci, on ne parlera pas.

Oublié, l’échec retentissant du « Grand Bond en avant » (1958-1962) qui déboucha sur une famine ayant entraîné la mort de 30 à 40 millions de personnes. Effacés, les errements de la « Révolution culturelle » lancée en 1966 par Mao pour lutter contre les « traîtres » et les « capitalistes » qui avaient selon lui infiltré le Parti communiste (encore un million de morts, au bas mot). Enterré, le souvenir de la répression sanglante de la Place Tiananmen menée en 1989 par le « réformateur » Deng Xiaoping pour signifier clairement aux étudiants et autres naïfs que la modernisation de la Chine n’atteindra jamais le stade des libertés individuelles.

Depuis l’arrivée de Xi au pouvoir, on pourrait aussi parler des milliardaires en dollars qui peuplent les instances du PPC et de la corruption quasi institutionnalisée qui accompagne l’influence grandissante du Parti sur toutes les activités économiques du pays. On pourrait parler de la mise au pas de Hong Kong, de la répression des Ouïgours, de la surveillance de masse et du contrôle social qui dissuadent si efficacement les Chinois de s’opposer à leurs dirigeants. On pourrait parler des contradictions et non-dits équivoques qui entourent la gestion chinoise de la pandémie de Covid-19 ainsi que la recherche de son origine.

Mais non, les célébrations du centenaire du PCC n’ont qu’une seule raison d’être : dire et redire aux Chinois et au monde comme l’a fait Xi Jinping jeudi dernier que si la Chine est aujourd’hui la seconde puissance mondiale, c’est grâce au socialisme, et que si elle veut poursuivre sur sa lancée, c’est dans la voie du socialisme et lui seul qu’elle doit continuer à avancer. Un avertissement sans frais pour qui envisagerait de s’interposer entre la Chine et ses « idéaux » à Taïwan ou ailleurs. Quant à Xi Jinping lui-même, il se voit comme l’aboutissement naturel, comme l’incarnation moderne de ce socialisme à la chinoise aimablement revisité par ses soins.

Personne ne peut nier que la Chine a connu un extraordinaire développement économique sous l’impulsion de Deng Xiaoping à partir de 1978. En 1980, le PIB de la Chine se trainait à 195 dollars par habitant faisant du pays l’un des plus pauvres de la planète. En 2020, il atteignait 10 500 dollars par tête1. Ce n’est pas encore mirifique, d’où l’expression « modérément prospère » utilisée par Xi dans son discours de jeudi, mais ce n’est pas rien. Plus généralement, 60,8 % des habitants de l’Asie de l’Est – dont la Chine constitue le plus gros morceau – vivaient sous le seuil international de pauvreté en 1990 et ils n’étaient plus que 4,1 % en 2015.

En revanche, silence radio sur les raisons profondes de ce magnifique exemple de développement réussi. Xi Jinping préfère parler de « socialisme aux caractéristiques chinoises » plutôt que de reconnaître le rôle primordial d’une politique économique fondée principalement sur la libéralisation des échanges, la dé-collectivisation de l’agriculture, la levée du contrôle des prix et le recul des nationalisations. Autrement dit, une politique d’inspiration libérale absolument contraire aux principes économiques du socialisme.

Mais peu importe à Xi Jinping. Son ambition personnelle le pousse à se présenter autant comme l’héritier de Deng que comme celui de Mao et toujours, quoi qu’il arrive et quoi qu’il se soit réellement passé, comme l’héritier de la grande aventure du socialisme impulsée par Karl Marx, dont il estime pompeusement que « la théorie rayonne encore avec la lumière brillante de la vérité ».

Anecdote révélatrice. En 2018, à l’occasion des célébrations du quarantième anniversaire de l’accession de Deng au pouvoir, le National Art Museum of China, l’un des plus grands musées de Chine situé à Pékin, présenta un bien curieux tableau. Au centre, non pas l’ancien dirigeant chinois comme on aurait pu s’y attendre compte tenu du thème de l’exposition, mais Xi Zhongxun, obscur officiel du régime et… père de l’actuel président ! On le voit présenter un plan de la ville de Shenzhen sous l’œil bienveillant d’un Deng manifestement subjugué par la qualité de son intervention.

Devant le tollé soulevé par cette mainmise sur l’histoire, la peinture fut décrochée, mais l’incident et de nombreux autres du même ordre indiquent clairement que la Chine de Xi Jinping s’achemine tous les jours un peu plus vers une forte personnalisation du pouvoir.

Cette façon de vouloir s’inscrire dans la filiation de Deng est d’autant plus paradoxale que ce dernier, convaincu par l’exemple de Mao que le pouvoir personnel illimité est facteur de corruption et de stagnation économique, est aussi l’auteur de la réforme institutionnelle qui limite le mandat des présidents chinois à deux quinquennats.

Or Xi, arrivé au pouvoir en 2012, a été réélu en mars 2018 pour un second mandat à l’unanimité des députés chinois, non sans avoir obtenu d’abord une modification de la Constitution afin de pouvoir rester président à vie. Comme Mao. D’ailleurs, le culte du Grand Timonier rebondit de plus belle. Plus question de dire comme Deng que son bilan à la tête de la Chine fut seulement 70 % positif et 30 % négatif. Xi Jinping est convaincu qu’un examen trop critique du rôle de Mao ouvrirait dangereusement la voie à un affaiblissement du PCC.

Comment, dès lors, réconcilier les acquis de Deng avec ceux de Mao ? Comment être à la fois l’héritier de l’un et de l’autre ? Eh bien, chers lecteurs, c’est très simple ! Il suffit de purger le tout des malencontreux pourcents que la Chine communiste préfère passer sous silence, y compris chez Deng, puis de le sublimer dans une nouvelle et merveilleuse doctrine socialiste unifiée appelée… « pensée de Xi Jinping » !

Voici une autre anecdote. Mais est-ce seulement une anecdote ? En décembre 2019, le ministère de l’Éducation chinois a exigé de l’Université Fudan de Shanghai, établissement de renom classé au 34ème rang mondial dans le baromètre QS World 2020, qu’elle modifie sa charte. Un passage contenant l’expression « liberté de pensée » dut être retiré et remplacé par un appel à :

armer les esprits des professeurs et des élèves avec la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère.

Et voilà. Dorénavant, la Chine pensante doit s’éclairer à la lumière de la sublime pensée socialiste de son nouveau président à vie. Inutile de dire que cette initiative a d’abord soulevé des montagnes de protestation chez les étudiants, d’autant que d’autres établissements de prestige ont dû passer par là également. Mais très vite, la censure sur les réseaux sociaux et les menaces de sanctions sociales ont fait leur œuvre. En 2019, 30 ans après Tiananmen, plus que jamais. Et la contestation est retombée.

Saviez-vous que les 2000 statues de Mao Zedong érigées dans les années 1967 à 1969, c’est-à-dire au plus fort de la « Révolution culturelle », mesuraient toutes 7,1 mètres de haut en référence à la date de création du PCC (1er juillet) et qu’avec le socle en pierre, elles atteignaient 12,26 mètres en référence à la date de naissance de Mao (26 décembre) ?

On n’attend plus que de voir fleurir partout des statues de Xi Jinping de 7,1 mètres de haut perchées sur un socle de 6,15 mètres, le président chinois étant né un 15 juin. Ça ou autre chose. Mais soyez tranquille, Xi saura trouver un moyen de se glisser dans les habits sales du président Mao.

Sur le web

  1. En dollar PPA (à parité de pouvoir d’achat), le PIB par habitant est de 63 500 aux États-Unis, de 46 200 en France et de 17 300 en Chine (chiffres Banque mondiale 2020).
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  • En tant qu europeen, il faut plutot se feliciter de la politique de Xi. Dejà il a fait comprendre aux chantre de la mondialisation heureuse (cf Minc) que les chinois ont en train de nous bouffer et que si on continue a deloclaiser on va se retrouver en slip. Ensuite s il fait comme Mao, il va reussir a defaire ce que Deng a fait et la chine restera un pays de second ordre

  • L’article persifle beaucoup sur la Chine et son président. À tort. Non pas qu’il faille idéaliser. Mais simplement reconnaître que depuis Deng Xiaoping, la Chine a su trouver un cocktail d’une efficacité remarquable, qui lui a permis de retrouver une stature de premier plan et une prospérité inconnue dans son histoire.
    Ce résultat constitue un challenge historique pour les pays occidentaux, y compris sur le plan intellectuel. Les « démocraties libérales », autrefois défiées uniquement par des régimes communistes qui maintenaient leurs peuples dans la misère, ont désormais à lutter contre un adversaire crédité d’un formidable succès économique.
    De plus, les méthodes chinoises de gestion des populations, à base de coercition et de contrôle numérique, suscitent à l’évidence bien des idées chez ceux qui nous dirigent.
    Pour toutes ces raisons, le dénigrement de la Chine est une impasse : aussi dérangeant qu’il soit, ce modèle est là pour durer.

    • On n’a pas dû lire le même article, s’il persifle sur le Président actuel, il ne dit pas de mal des chinois en tant que peuple. Merci de ne pas réutiliser les éléments de langage du PCC, où critiquer le dirigeant revient à critiquer le pays.
      Quant à l’avenir du pays… difficile de se projeter avec la personnalisation actuelle du pouvoir : l’économie chinoise s’est mise à respirer quand Deng a forcé le Parti à relâcher son contrôle. Xi a lancé le mouvement inverse en se plaçant clairement dans la filiation de Mao, qui peut dire si le résultat ne sera pas un nouvel étouffement…? Bon, l’avantage, c’est que vu que la propagande tourne à plein, il sera facile de se dédouaner sur l’étranger si ça devait mal tourner !

    • Mais justement: Xi ce n’est PAS Deng. Xi déteste Deng. Il en hait la mémoire, il hait son clan, et il hait sa politique. Défendre Xi en parlant de Deng c’est faire montre d’une ignorance totale des diverses factions en Chine.
      Sans aucun jugement de Xi, ce dernier s’incrit bien plus dans la ligne de Mao que de Deng. Refuser de la voir c’est faire du déni de réalité. Ce qui a permis à Deng de faire de la Chine une grande puissance ce n’est pas du tout ce que fait Xi. La seule inspiration que Xi garde de Deng c’est le massacre de Tien Anmen…

    • « Ce modèle est là pour durer ».
      Mais les régimes autoritaires existent depuis tout le temps, et c’est plutôt les démocraties libérales qui sont mortelles.
      Vous êtes confortablement installé dans un système qui respecte de plus en plus mal les droits de l’homme, et dans votre post il transparait une attirance pathologique pour la servitude.
      Dites vous bien que quand la servitude est installé, il est très difficile d’en sortir.

  • Ne trouvez-vous pas qu’il ressemble à Ceausescu (le génie des Carpates, phare de la pensée humaine), à tous points de vue?
    Je lui souhaite sincèrement une retraite imminente plus paisible …

  • Excellent article comme toujours !

    Je me permettrais d’apporter une petite précision sur l’assertion d’une modification de la constitution pour permettre à Xi de rester au pouvoir.
    La règle pas officiel crée par Deng et appliquée depuis 20 ans, est que au moment du congrès du PCC, si le premier a 68 ans révolu, il se doit de renoncer a se présenter au vote du Politburo pour le terme suivant. Xi aura 68 ans la semaine prochaine et le 20th congres seras en octobre 2022.
    Xi a toujours critiquée cette règle en indiquant que cette règle était trop rigide. Effectivement le Politburo, a modifié cette règle en 2018 ouvrant donc la voie a Xi pour un possible troisième et dernier terme.
    Cependant, ce changement ne s’applique pas pour les membres du Politburo et le prochain congrès va renouveler une grande partie du Politburo qui décide de la nomination du prochain leader.
    Du fait que Xi n`a pas précisé son successeur à la fin de son premier mandat, il est très probable que Xi continuera jusque en 2026 avec l’obligation de préparer sa succession durant ce dernier mandat.

  • Pas faux. Personnellement ça ne me fait ni chaud, ni froid, j’ai tendance à laisser les Chinois gérer leur civilisation comme ils l’entendent, avec la grille de lecture suivante:

    1- Le libéralisme est Européen et chrétien, la sauce ne prend pas trop dans d’autres cultures majeures (islamiques, Chinoise.)
    2- La Chine est impériale, hiérarchique et clanique. Le PCC va se couler dans le moule classique, sous une forme ou une autre. D’ores et déjà le culte de Mao s’apparente plus à un culte ancestral qu’à la mise en œuvre de ses idées (heureusement.)

    Il découle des 2 premiers que:
    1- Nous avons singulièrement intérêt à nous bouger pour sauver la liberté en Occident (et notre civilisation tout court) et;
    2- Pas la peine d’aller au clash avec une Chine qui craindra toujours davantage, jusqu’à l’obsession, le désordre intérieur que la guerre à ses frontières. Historiquement un inter-règne en Chine c’est des centaines de millions de morts.

    Cultivons notre jardin, tout en gardant un gros bâton à portée de main.

    • Dizaines, pas centaines: je projetais sur la population actuelle.

    • @ Pangazi,

      La sauce prend plutôt bien au Japon, en Corée du sud, à Singapour, ou en Israël. Pays orientaux et non chrétiens.

      • Si vous vous limitez à l’économie, Singapour est un modèle, oui. Et plutôt autoritaire en termes de gouvernance.
        Le Japon et la Corée du Sud sont au semi-indépendants, soumis à une relation un peu déséquilibrée avec les USA (constitution imposée au Japon, guerre froide en Corée.) Livrés à eux-mêmes je ne sais pas s’ils resteraient « naturellement » dans le moule.
        Pour Israël, je n’y suis jamais allé, mais il serait intéressant de savoir dans quelle mesure la longue immersion culturelle des Juifs en Occident a imprégné la culture du nouvel état (influences réciproques probablement?)

  • Pourquoi s’opposer à un parti qui n’aspire qu’à la grandeur de la Chine et à l’épaisseur du portefeuilles de ses dirigeants ?
    Si on compare à un pays démocratique comme la France , y a pas photo, vaut mieux être chinois… Avec peu de libertés mais un avenir.

  • Ce que je note c’est qu’actuellement, Xi Jinping est un président avec une vision claire et transparente pour son pays et ne cache absolument pas ses ambitions ; contrairement à Macron ou d’autres présidents « bien pensants »…

    • En soi, que les totalitaires avancent masqué signifie que c’est dangereux pour eux de trop s’exposer. Ce qui en soi est plutôt réconfortant.
      Mais attention de ne pas se mettre à croire qu’ils n’existent pas.

  • Ce n’est qu’une question d’années avant que le soufflé chinois ne retombe.

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