Suppression du corps préfectoral : Macron veut inféoder les préfets

Sous l’apparence séduisante d’une ouverture à la société civile, la réforme de la fonction publique conduite à marche forcée vise à assujettir la haute fonction publique au pouvoir politique.

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macron_president_louvre by French Embassy in the U.S. on Flickr (CC BY-NC 2.0)

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Suppression du corps préfectoral : Macron veut inféoder les préfets

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 mai 2021
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Par Laurent Sailly.

Dans son discours de commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon, le président de la République avait salué en Bonaparte celui qui avait su améliorer « la forme de l’État », « au travers entre autres des préfets et des maires qui se déployèrent bientôt partout dans le pays et permirent à la Nation de rester Une ».

Devenu premier consul après le coup d’État du 18 Brumaire, Napoléon Bonaparte avait alors décidé d’une réforme en profondeur de l’organisation de l’État. C’est ainsi que le 17 février 1800, il créait la fonction de préfet (loi du 28 pluviôse an VIII). Dans chaque département, le «préfet sera chargé seul de l’administration», était-il écrit.

La déconstruction de l’État : après le délitement, le démantèlement

« En même temps », Jean Castex déclenchait la polémique en annonçant la disparition du corps préfectoral comme l’a rapporté le site Acteurs Publics.

Si la fonction en tant que telle est vouée à perdurer dans la mesure où l’État compte toujours sur ces hauts fonctionnaires pour le représenter dans les régions et les départements et pour mettre en œuvre les politiques du gouvernement, le statut particulier qui guide le parcours des préfets tout au long de leur carrière va quant à lui disparaître.

Une information révélée par Acteurs Publics qui précise que la fonction tend à devenir un emploi sur lequel on serait détaché pour un temps, comme les administrateurs civils le sont aujourd’hui sur des postes de sous-préfet.

L’idée est aussi de « fonctionnaliser » le poste de préfet, c’est-à-dire y nommer des « non professionnels » sous couvert d’une ouverture à la société civile. Une mesure qui s’inscrit dans la grande réforme de la haute fonction publique décidée par le président de la République en avril dernier.

Cette réforme sera sans doute présentée comme une simplification, une cohérence et une efficacité renforcées de la haute administration. La vérité est qu’elle affaiblirait l’État, tout spécialement par la suppression du corps préfectoral.

Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne a dénoncé sur Twitter un « démantèlement de l’État » et un « affaiblissement de l’autorité ». « Préfet est un métier qui s’apprend de postes en postes. »

C’est un professionnel de l’administration territoriale, apte à réagir aux crises et aux événements les plus imprévus, comme à mettre en œuvre les politiques de l’État dans un rapport de confiance avec les élus du territoire.

Le gouvernement peut déjà nommer 30 % des préfets sans qu’ils soient issus du corps préfectoral, ce qu’il fait avec modération. Mais demain cette faculté sera la règle. Il fera son choix sans contrainte, sans garde-fou. Plus de corps préfectoral, plus de formation au métier, plus de professionnels !

La « fonctionnalisation » des préfets

S’il est le délégué du gouvernement, le préfet doit avoir aussi l’envergure de représenter l’État, de s’affirmer comme l’homme ou la femme de la République, capable de dépasser tout attachement partisan, sinon celui le liant aux valeurs de la France.

« Fonctionnaliser » le poste de préfet signifie que le gouvernement y nommera demain une personne à partir des seules qualités qu’il reconnaîtra en celle-ci. Le préfet désigné par nos dirigeants pour ses vertus, dont la proximité avec eux, verra sa nature essentiellement réduite à celle de délégué du gouvernement et perdra largement la légitimité attachée à sa nature de représentant de l’État.

« Fonctionnaliser » la nomination des préfets conduira à une situation où chaque gouvernement aura ses préfets et le suivant les siens. Finie la continuité républicaine.

En ouvrant la porte à l’arbitraire des nominations et des révocations par non-renouvellement de fonctions à durée limitée, la réforme nous rapproche dangereusement des pratiques illibérales que nous dénonçons chez certains de nos voisins de l’Est. Elle menace ainsi notre État de droit.

L’État a-t-il toujours besoin de cadres dirigeants de métier dans l’administration territoriale ?

La raison d’être ultime du préfet qui, aux termes de l’article 72 de la Constitution, « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois », c’est d’assurer l’ordre public qui protège l’État et les citoyens.

Or la France a abordé affaiblie une succession de crises depuis 2005, et n’a pas profité des moments de répit pour se refaire une santé. Avec cette série d’épreuves, quelque chose s’est brisé et notamment la confiance dans le sommet de l’État. Le temps est à la reconstruction.

Les préfets dont on a redécouvert dans la crise le rôle majeur, en binôme avec les maires, sont, pour les gouvernants, le meilleur point d’appui dans cette remobilisation. Loin de les déstabiliser, il faut au contraire les conforter pour assurer les priorités de la nation sur le territoire.

La centralisation et la concentration de trop de décisions et la négligence des échelons territoriaux aboutissent à une radicalisation des mouvements de contestation et au recours à des mesures indifférenciées de restrictions des libertés.

C’est l’unité de l’État qu’il faut assurer sur le territoire, pour rétablir son autorité. Pour cela, l’État doit disposer de préfets compétents et expérimentés, assumant leurs responsabilités et suffisamment assurés de leur autorité pour prendre des risques au service de l’État et de la population.

La haute fonction publique dépendante de l’État

Selon Dominique Bur :

L’inféodation de la haute fonction publique au pouvoir politique est en marche – Le Figaro –  (11 mai 2021)

En créant le corps préfectoral le Premier consul avait mis sur pied une organisation efficace, performante, capable de tenir, et l’expérience l’a prouvé, la barre de l’État et le service du bien public, malgré les tempêtes de l’Histoire, les changements de régimes, les alternances politiques.

Détruire le corps préfectoral c’est certes s’attaquer à une œuvre napoléonienne mais à travers elle c’est à l’État en tant que puissance, à l’État souverain, à l’État compétence que l’on s’attaque encore un peu plus.

Le projet d’une fonction publique à la main du pouvoir apparaît clairement. Certes, le Premier ministre assure que le gouvernement n’entend pas politiser la haute fonction publique. Mais ne nous y trompons pas, ce qui est à l’œuvre c’est une mainmise accrue du politique sur les préfets, une politisation à l’extrême de celui qui avait jusqu’alors vocation à incarner la présence de la République sur l’ensemble du territoire national. Le but est de faire entrer la France dans la nouvelle norme mondialisée du management et de la gouvernance.

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  • « La vérité est qu’elle affaiblirait l’État.. »
    Et bien cela serait une bonne chose. On a un état hyper centralisé, avec des préfets aux ordres de Paris, alors qu’il existe des conseils départementales qui peuvent faire le job.
    On l’a bien vu dans la ‘crise’ du COVID, il y avait les mêmes interdictions à Paris ou en Creuse, dans les départements touchés ou non. Et les préfets n’ont pas brillés par leurs décisions. Un conseiller départemental ferait plus attention, il y a les élections.

    • «…aux ordres de Paris»
      La France est géographiquement un petit pays ! De vouloir éclater toutes les structures nationales n’est pas nécessairement la bonne solution.
      Créer des Conseils (ailleurs, ça s’appelait des Soviets) départementaux ou régionaux avec plus de pouvoirs peut donner naissance à des barons locaux voir des ducs ou des marquis des provinces lointaines. Le futur serait un retour au moyen âge ?
      Et, «Un conseiller départemental ferait plus attention, il y a les élections» OUI ! Soyez heureux, à chaque élection on vous offre la réfection des bordures de trottoirs…

      • La suisse est un petit pays aussi, avec des cantons qui ont des vrais pouvoirs.
        En France les préfets sont aux ordres d’un seul homme.. Pas très sain.
        Alors qu’un fédération a des organisations qui sont en concurrence, en tout cas que l’on peut comparer.
        Les USA, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, etc.. c’est le moyen-âge ?
        Pas très sérieux 🙂

  • « une justice indépendante et élue par les citoyens »

    Une justice dépendante de l’opinion publique ne me paraît pas tellement plus rassurante qu’une justice dépendante de l’exécutif.
    Faut-il faire condamner les justiciables impopulaires comme sur les fora internet?

    • si les droits des citoyens sont par ailleurs respectés, ce n’est pas forcément problématique. Le rôle du pouvoir judiciaire est d’agir quand les lois décidées par le pouvoir législatif ont été violées, des juges élus ne pourraient pas tomber dans l’arbitraire, sauf si les lois le sont. Et dans ce cas là, le problème ne sera pas le côté électif de la fonction de juge…

  • «Détruire le corps préfectoral» ?
    À l’origine, l’idée était qu’un citoyen ait accès à un représentant de l’État à moins d’une journée de son domicile… Une journée de cheval. Aujourd’hui nous disposons de moyens de déplacement plus rapide et également de moyens de communication beaucoup plus performants.
    A-t-on encore besoin d’une structure aussi dense qu’à l’origine ? Peut-être faut-il simplement nommer (ou élire) un préfet de Région (puisqu’on nous a ajouter cette couche administrative) et conserver les préfets dans les préfectures supprimant complètement les sous-préfectures devenues inutiles. Les employés de celles-ci étant des administratifs peuvent être réaffectés dans d’autres administrations (justice, police, par exemple -pour remplacer l’agent qui tape avec 2 doigts sur son clavier).
    Suppression de l’ÉNA, NON modifier le recrutement plus d’ÉNArques jeunes diplômés mais des personnes diplômés (Centrale, HEC, ÉNS, Mines, X, etc.) du public et du privé qui ont opéré dans dans l’administration (30%) ou dans l’industrie et service (70%) pendant au moins 20 ans.
    Réformer oui mais pas nécessairement détruire !

    • Pourquoi vouloir nommer un préfet de région ?
      Toujours cette volonté de pouvoir, d’asservir.

    • un certain nombre de démarches nécessitent encore un déplacement en sous-préfecture – notamment pour les travailleurs étrangers le renouvellement de leur titre de séjour. Dans certaines d’entre elles, il est nécessaire de prendre une journée pour cette démarche, et de commencer à faire la queue à l’extérieur aux aurores pour espérer entrer dans le quotta du jour – sous peine de recommencer plus tard.
      Pas sûr que supprimer la sous-préfecture soit une bonne idée dans ce contexte, à moins de déléguer la prise de ces dossiers à une entreprise externe, possédant une vraie présence territoriale – après tout, les ambassades le font pour les demandes de visa…

      • Une sous-préfecture peut très bien se passer d’un sous-préfet. Un directeur des services, deux fois moins cher, est amplement suffisant.

        Ensuite, on peut se poser la question de la pertinence des démarches administratives qu’on doit réaliser en préfecture … Est-ce utile ? Est-ce qu’on pourrait les faire faire sur internet ?

  • je rajouterais des salariés qui récupèrent l’essentielle de la richesse qu’ils créent.

    • Trop gros, ça passera pas lol.

    • La richesse qu’ils crée « créent » est déterminée par la rareté de qu’il créent, et cette rareté est reflétée par le prix du marché. Les salariés qui récupèrent beaucoup de richesse sont ceux qu’on a du mal à remplacer.

    • Si vous voulez parlez du salaire complet, c’est une excellente idée

  • Un juge indépendant ne rend de compte à personne, surtout pas aux victimes. Oh wait, c’est bien le cas.

  • Remplacer un préfet tous les cinq évite d’avoir des types aux manettes du genre E. J Hoover qui a fait ce qu’il a voulu pendant trente ans à la tête du FBI.

  • Avec la Macronie, on assiste à un double mouvement: d’une part l’annexion du pouvoir politique par la haute fonction publique (Macron, Castex, Le Maire, Philippe, etc.), d’autre part la destruction de certains cadres qui rendaient cette haute fonction publique indépendante des politiques.
    Cette suppression du corps préfectoral est une étape supplémentaire : il sera possible au pouvoir de nommer encore plus de ses copains aux postes clés.
    La tendance globale est la mise en coupe réglée de l’appareil d’Etat par une caste d’individus issus pour la plupart des rangs de la haute administration, en collusion avec les oligarques qui contrôlent les grandes entreprises et les médias.

    • « d’une part l’annexion du pouvoir politique par la haute fonction publique » : c’est le cas depuis l’ENA et VGE.

      la vraie question : a-t-on besoin de ces préfets ?

  • l’état est affaibli parce qu’il se disperse…

    je doute que cette poudre aux yeux change quelque chose.

  • « Au secours Jean Moulin, il sont devenus fous ! » (pourquoi sont DEVENUS ?)

  • J’ai pas vraiment compris, (normal je suis Alsacien)

    c’est bien ou c’est pas bien ?

  • Franchement, que des préfets (et autres sous-préfets à ne pas oublier) soient issus d’un corps ou nommés ou autre, on s’en tape. Ils n’exécutent, depuis longtemps, que les directives qui leurs sont données par le gouvernement en place. Et lorsqu’il y a des velléités de différence, elles ne sont que pour empirer les choses. Tous ces étages sont à virer.

    • À Toulouse le préfet a interdit l’ouverture des bars après 19.00 pour cause de finale de rugby. Décision retoquee par le tribunal administratif qui a estimé que sa décision était disproportionnée eu état de la siymtuation sanitaire. Ça n’aurait pas empêché le sens de brailler et klaxonner dans la rue.

  • Et voila… Un bel article pour « sauver le soldat Préfet » !!!
    Il ne faudrait pas oublier que le Préfet ou administrateur public du même style, n’existe que dans une vingtaine de pays (sur plus de 190 pays dans le monde). Et que la majorité de ces pays sont d’anciennes colonies françaises ou sous administration française du temps de Napoléon !!!
    Mais alors, comment font donc les autres pays ? ILS SE PASSENT TRES BIEN du préfet !!!
    Conclusion : la vraie réforme serait tout simplement de supprimer la FONCTION de préfet.
    Après tout, nous avons des Conseils Généraux et des Conseils Régionaux.

  • 1/ Élection au suffrage universel d’un gouverneur de région (avec des régions regroupant maximum 3/4 départements).

    2/ Élection au suffrage universel d’un parlement de région à la proportionnelle totale.

    3/ Suppression des départements. Suppression des préfets.

    • Je suis pour la suppression des grandes régions suceuses de l’argent des contribuables.
      Les départements sont plus proches de la population. Qu’ils en récupèrent les compétences

  • Le corps préfectoral est le bras armé de l’état dans les régions.
    Qu’il soit supprimé ne m’émeut pas.
    En fait c’est une bonne nouvelle.

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