Par Karl Eychenne.
À l’aube d’un déconfinement mondial, la situation n’est pas aussi rassurante qu’il n’y parait. Les chiffres de l’emploi soufflent le chaud et le froid, notamment aux États-Unis mais aussi en Europe. Quant à l’inflation, la flambée des prix du mois d’avril fait froid dans le dos des banquiers centraux.
Ainsi, le présent reste bien nébuleux. Dès lors, les investisseurs préfèrent prendre du recul et regarder plus loin devant, considérant que l’avenir sera forcément plus désirable, une fois les masques tombés et la campagne de vaccination achevée. Au présent perplexe est opposé un avenir serein.
L’investisseur serait donc devenu presbyte alors qu’il était plutôt réputé myope. En effet, d’ordinaire le présent lui paraissait plus rassurant que l’avenir car il en distinguait mieux les contours. Mais avec la Covid, la pupille financière s’est dilatée. Les investisseurs éprouvant davantage de difficulté à voir la réalité de près, ils furent invités à prendre de la hauteur.
La presbytie n’est pas une tare dans la finance
Ne pas voir de près n’est pas gênant tant que l’on arrive à y voir de loin. Et a priori, c’est le cas, preuve à l’appui : les meilleurs indicateurs avancés de l’économie (PMI : confiance des industriels) ne cessent de grimper et sont désormais sur des niveaux très élevés, ce qui est très bon signe. Le PMI est réputé être l’hirondelle qui annonce le printemps en économie, on peut donc lui faire confiance, le PIB va rebondir, la croissance va se raffermir.
D’ailleurs, il n’en faut généralement pas davantage pour convaincre les analystes financiers que les bénéfices des entreprises vont aussi s’envoler. C’est ce qui est prévu pour 2021, entre + 30 % et + 50 % selon les sources, une hausse monstrueuse, après l’effondrement de 2020 (environ – 30 %).
Les PMI élevés seraient la preuve irréfutable que le baume des politiques s’est finalement transformé en aubaine pour les agents économiques désormais prêts à consommer et investir. Dès lors, nul besoin de s’attarder sur le présent, il suffit de regarder demain pour être rassuré. La Covid a peut être rendue la finance presbyte, mais ce n’est donc pas un handicap.
En fait, non seulement la presbytie n’est pas une tare, mais elle est en fait un atout. C’est la théorie moderne de la finance qui le dit. En vérité, les pathologies oculaires ont toujours été des stratégies gagnantes en finance. Jadis, ce fut la myopie, depuis près de 50 ans c’est la presbytie, bien avant la Covid donc.
En effet, jusqu’aux années 1970, la finance théorique consacrait les myopes. Elle considérait qu’il n’y avait pas besoin de regarder loin devant, le présent suffisait car il résumait tout ce qui allait advenir. Les prix contenaient déjà toute l’information nécessaire et suffisante pour voir l’avenir, car l’investisseur était supposé faire des anticipations rationnelles : et si l’investisseur se trompait, cela ne pouvait être dû qu’au hasard.
Et puis, les progrès de la finance amenèrent à penser que peut-être l’investisseur n’était pas aussi naïf. Peut-être même était-il capable de prévoir un peu : ce fut l’avènement de la finance prédictive. Et c’est ainsi que la presbytie devînt alors une stratégie optimale.
Car de près, c’est-à-dire à court terme, on y voit pas grand-chose : le marché peut aller dans tous les sens. Alors qu’à l’horizon, à moyen terme, on y voit plus clair : le marché va revenir vers sa valeur intrinsèque, celle en phase avec les fondamentaux économiques.
La finance serait devenue presbyte il y a bien longtemps
Cela dit, la Covid n’aurait rien arrangé à l’affaire, les investisseurs éprouvant davantage de difficulté à voir la réalité de près. Ils furent alors invités à prendre de la hauteur. Mais attention avec ce genre de mot à double sens en finance…
En effet, les investisseurs pratiquent l’antanaclase elliptique sans modération, cette figure de style consistant à donner deux sens au même mot. Ainsi, prendre de la hauteur peut vouloir dire qu’il faut surtout prêter attention aux indicateurs avancés (PMI) plutôt que s’attarder sur les marqueurs du présent (l’emploi). Mais prendre de la hauteur peut aussi vouloir dire qu’il faut amener les marchés d’actions sur des niveaux perchés.
Dans le doute, l’investisseur fit les deux, d’autres se seraient abstenus. Demain dira, mais demain n’aura pas intérêt de décevoir, car aujourd’hui les niveaux de marché intègrent déjà un déconfinement sans faute.
“les bénéfices des entreprises vont aussi s’envoler. C’est ce qui est prévu pour 2021, entre + 30 % et + 50 % selon les sources, une hausse monstrueuse, après l’effondrement de 2020 (environ – 30 %).”
Cette “hausse monstrueuse” ferait revenir les profits des entreprises à 91 % à 105 % des profits avant Covid ( .7 x 1.3 à .7 x 1.5 ).
Bref, rien qui justifie l’explosion des valorisations des entreprises.
Eh oui, pour compenser une baisse de 30% il faut une hausse de 43%.
Et vu ce qu’il va falloir confisquer tous azimuts pour compenser le quoiqu’il en coûte, il va falloir brûler beaucoup de cierges pour espérer y parvenir.
En résumé, cet article m’explique qu’en finance, il vaut mieux être presbyte que myope, et qu’en prenant du recul on s’aperçoit qu’en fait tout va bien.
Avec ça je suis bien avancé, et j’y vois aussi clair que dans du jus de boudin.
Un seul chiffre pour appuyer le propos: + 20 à + 50 % de bénéfice pour les entreprises en 2021. + 50 % … de bénéfice, sérieusement? Ca concerne toutes les entreprises? Ou sinon, lesquelles? Les Gafam?
Je crois que tout s’éclaire.