De l’architecture en général et du brutalisme en particulier

L’architecture aujourd’hui n’est souvent que la somme arrangée de l’horreur normative. C’est un art qui a un pied public et un pied privé, et c’est là tout son drame.

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De l’architecture en général et du brutalisme en particulier

Publié le 9 mai 2021
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Par Julien Gayrard.

Une scène du film Les Monstres de Dino Risi montre Vittorio Gassman quitter la cabane dans laquelle il vit avec femme et enfants, planté sur le terrain vague des nouvelles banlieues romaines. Il marche sur un sentier naturel puis s’enfonce dans un passage souterrain, un passage en béton, il n’y a que de grandes marches s’enfonçant entre des murs de soutènement. La lumière de son ombre portée sur chaque marche finit sur le mur d’en face. Il n’y a rien d’autre. Le gros-œuvre aura suffi. Et l’ombre du comédien disparait sous la voûte.

Cette scène m’a rappelé mes séances de contemplation de l’escalier qui servait de toiture à la Casa Malaparte. Je sautais alors par-dessus le grillage qui clôturait la villa et je restais assis là, écrivant, dessinant, traduisant – j’étais traducteur alors – c’était une sorte de négatif du passage souterrain, il n’y avait heureusement rien qui bordait l’escalier, l’effet brutaliste était assuré. L’effet formel. Savez-vous que les ponts de Venise ne possédait parfois pas de garde-corps ? Et savez-vous pourquoi ?

L’architecture et la norme

C’est qu’un noble vénitien n’avait pas à accrocher son corps de ses mains à une quelconque rambarde pour pouvoir traverser. Non. L’élégance de sa démarche devait s’associer à la sûreté de son pas pour accéder à son palais. Voilà toute l’affaire. Et voilà bientôt trente ans que je fais aussi l’architecte. Ou ne le fais-je qu’à petits pas ?

Car lorsqu’il s’agit de dessiner un escalier pour un bâtiment public qui devra en outre accueillir du public, toutes sortes de publics, de toute mobilité, outre le fait qu’il me faille dessiner une marche dont la somme du double de la hauteur par la profondeur du giron doit mesurer 64 centimètres pour une profondeur de 28 centimètres, il faudra encore que la volée ne dépasse pas 12 marches et si plus de trois personnes le traversent à la fois, – on parle alors d’unités de passage, selon un module ordonné en 90, 140, 210… – il faudra alors que j’installe sur son autre bord un autre garde-corps, lequel ne devra pas faire moins de 100 centimètres et proposer des sous-lisses dont l’écartement ne fera pas plus de 11 centimètres afin qu’un enfant n’y loge pas sa tête, et 9 centimètres pour la lisse basse.

Ai-je prévu la rampe pour la personne à mobilité réduite ? Celle-ci ne devra pas avoir une pente supérieure à 5 % pour une longueur d’au maximum 8 mètres, et 8 % seront tolérés pour une longueur de 5 mètres au plus. Il faudra par ailleurs que le palier propose une rotation de 150 centimètres et je devrai ajouter des bandes podotactiles sur les marches, destinées aux mal-voyants et y associer un rail de guidage au sol pour la canne des non-voyants.

Le massacre se poursuivra sur la totalité du bâtiment dont le formalisme n’exprimera plus que la somme des normes et standards du Code de la construction et du Code du travail. L’architecture aujourd’hui n’est souvent que la somme arrangée de l’horreur normative.

On peut alors rêver de ce qui faisait d’elle autrefois un art formel. Il reste le privé. L’architecture est un art qui a un pied public et un pied privé, et c’est là tout son drame. Il n’y a plus que son intérieur qui soit encore privé, c’est-à-dire libre de tout, et encore. Voilà qui pourrait aussi servir de philosophie personnelle…

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  • A remarquer que la taille des Français croît de quelques cms par génération.

    Le nombre et l’épaisseur des normes aussi.

    Pas les dimensions des marches.

    Cherchez l’erreur

  • Tant que vous arrivez à placer 1,618…

  • Je n’avais jamais entendu parler de « brutalisme », je découvre que les mochetés de Le Corbusier et autres relèvent ainsi de l’architecture « brute ».
    Ce n’est que mon appréciation personnelle, mais en plus d’être triste à mourir, ce brutalisme tel qu’il est décrit ici s’approche aussi d’une certaine forme de brutalité.

  • L’architecture se veut fonctionnelle.

    C’est dans le délire de la normalisation et de l’élitisme qui veut que certains décident pour les autres ce dont ils ont besoin, qu’elle devient monstrueuse.

    On fait l’impasse sur l’aspect psychologique écrasant des grandes structures de béton, les nuisances sonores, la promiscuité, la disproportion (comme dans l’application des normes pour handicapés qui transforment les toilettes en hall de gare), la qualité de vie en lui substituant des normes techniques …

    Comme dans bien d’autres domaines, cette normalisation à outrance empêche l’émergence de solutions en uniformisant les mauvais choix et en interdisant le choix.

  • L’usage des escaliers est économique et bon pour la santé, mais ils sont aussi le lieu de graves accidents, outre le fait qu’un escalier mal dimensionné crée un obstacle qui entrave la circulation. D’où le soin apporté à leur conception.

    Le pas usuel vaut 2 pieds (soit de l’ordre de 64 cm) et la hauteur confortable d’une marche s’établit à un maximum de 16 cm. Selon la formule 64 = 2h + g, où h est la hauteur et g le giron (distance entre 2 nez de marche consécutifs dans la ligne de foulée), une hauteur de 16 cm induit un giron de 32 cm.

    La norme proposée dans l’article avec un giron de 28 cm conduit à une hauteur de marche de 18 cm, ce qui est excessif. Si elle est imposée à l’architecte, c’est une norme abusive.

    Le problème des normes quand elles ménagent une possibilité de faire moins bien que devrait être la norme, c’est qu’elles font baisser le niveau en donnant un droit à en faire le moins possible. Ce « droit à » une insuffisance d’exigence finit par passer pour une obligation de ne surtout pas faire mieux.

    Le rôle des architectes est de refuser de se plier à ces diktats. La condition est que leur formation soit assez complète pour qu’ils aient une réelle culture du bâti qui résulte de l’art d’unir le minéral et le vivant. Tout converge dans l’architecture et les questions qu’est chargé de résoudre l’architecte le dépassent largement. Ce métier d’art par excellence a été tellement dégradé par des maitres d’ouvrage préoccupés de produire des clapiers et des conditions de vie limitantes qu’il a du mal à s’en relever. Mais toutes les erreurs faites appellent ce qui peut les transmuter, il suffit d’écouter.

    • « Ce métier d’art par excellence a été tellement dégradé par des maitres d’ouvrage préoccupés de produire des clapiers »

      Je pense que l’architecture est un art (majeur comme aurait dit Gainsbourg), mais alors Le Corbusier était-il un architecte ?

    • « Tout converge dans l’architecture et les questions qu’est chargé de résoudre l’architecte le dépassent largement. »

      J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire mon numéro …

      Moi, j’aurais voulu être architecte : pour concilier l’art (le « beau »), le savoir-faire (« l’artisanat »), la création (« l’inventivité »), et l’ingénierie (la réponse à un problème concret). Je suis ignorant en la matière, mais toujours un peu choqué qu’on sépare et isole ces exigences.

  • Les commentaires sont fermés.

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