Pour dépasser les controverses sur Napoléon 

En cette année du bicentenaire de la mort de Napoléon, Thierry Lentz surprend le lecteur en proposant un dictionnaire historique couvrant de façon thématique l’intégralité des dimensions de la période.

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Napoleon by Thomas Quine on Flickr (CC BY 2.0)

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Pour dépasser les controverses sur Napoléon 

Publié le 30 mars 2021
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2021 est la date du bicentenaire du décès de l’un des trois personnages préférés des Français  selon toutes les études, c’est-à-dire Louis XIV, Napoléon, Charles de Gaulle.

Le Covid venant au secours des autorités, permet à ces dernières de faire le service minimum durant l’année 2021, baptisée « année Napoléon ». C’est que les petits gestapistes de la pensée se sont préparés en rangs serrés qui, pour faire de l’Empereur celui qui a rétabli l’esclavage, qui, pour l’assimiler à l’un des pères du patriarcat, qui encore, pour en faire un assoiffé de batailles rêvant à des saignées, qui enfin, rendant compte du Code civil, le présente comme celui qui a gravé dans le marbre le statut subordonné de la femme.

Cette énumération pourrait être suivie de bien d’autres : ainsi du débat sur la nature du régime ou encore sur les conséquences des Cent Jours, de Waterloo et d’une  France plus resserrée à l’issue du Congrès de Vienne en 1799.

Bref, la liste est interminable et chaque jour des faux savants, des idéologues, des historiens de pacotille nous expliquent à coups d’à peu près toutes les raisons pour lesquelles il faut effacer, si cela était possible, de la mémoire collective cet épisode, passant directement de la fin de la Révolution aux lois de 1875. Comme  l’histoire serait belle si l’on effaçait le Consulat, le Premier Empire, les deux Restauration, le Roi des français, le Second Empire enfin.

C’était compter sans Thierry Lentz avec « Napoléon, Dictionnaire Historique » et « Pour Napoléon »

Le grand historien de Napoléon n’est pas un mystère, ni un individu mystérieux. Mais il y a néanmoins un mystère Thierry Lentz. Avec Napoléon, Dictionnaire Historique et Pour Napoléon, il atteint son quarante-et-unième ouvrage. Habituellement, même chez les plus grands historiens, quand ils cèdent à la facilité d’une production trop abondante, les contenus s’en ressentent. Mais avec Thierry Lentz, on ne court pas ce risque. Il a beau en être à son quarante-et-unième ouvrage sur le Consulat et l’Empire, nulle répétition d’aucun ordre.

En cette année du bicentenaire de la mort de Napoléon, on attendait de lui une biographie couronnant des décennies de recherches. Thierry Lentz surprend le lecteur en proposant un dictionnaire historique fort de plusieurs centaines de notices couvrant de façon thématique l’intégralité des dimensions de la période.

Rien n’y manque : bien sûr les batailles ou les institutions, ou encore les personnages, ou enfin l’ensemble des Codes déclinés durant la période, sans omettre les Constitutions ou la grande loi sur les lycées et les universités. Mais encore, de l’économie jusqu’aux cardinaux noirs, des chevaliers de la foi au Concordat, de la Cour des comptes au divorce de Napoléon et Joséphine, des arts jusqu’à l’exécution du Duc d’Enghien, du franc germinal jusqu’à l’Hôtel des Invalides, de l’Institut à la Marseillaise, des  Mémoires aux voyages officiels, rien, absolument rien ne manque.

L’information est sûre, le style simultanément alerte et concis, le format des notices miséricordieux, la bibliographie complète. Pour chaque notice, les faits, d’abord les faits, toujours les faits. Mais parsemés ici ou là de jugements, toujours fondés, quelquefois cruels mais mérités, toujours cependant équitables.

Le travail formel de l’éditeur est d’une qualité remarquable. On goûte aux notices comme on choisirait  dans une boîte de chocolats dont chacun le disputerait en saveur aux autres. Beaucoup sont un tel régal intellectuel que l’on y revient. Et alors de découvrir la remarquable richesse d’informations de chaque description.

Le seul reproche que l’on pourrait faire à l’auteur, c’est le sentiment de découragement qu’il nous laisse, car une question légitime pourrait être la suivante : comment peut on tout savoir sur tout, fût-ce sur une période aussi courte, mais aussi riche ? On imagine que, directeur général de la Fondation Napoléon, notre auteur est entouré de toute une équipe qui, ici fait les recherches, là écrit un premier jet. Une fréquentation de l’auteur permet d’affirmer qu’il n’en est rien.

Thierry Lentz écrit tout seul, chaque matin, fait lui-même ses recherches, et pousse le vice jusqu’à non seulement tout écrire, mais encore tout contrôler.

Il en résulte un instrument de travail  incomparable permettant de dire que dans les études napoléoniennes, il y a un avant Napoléon, Dictionnaire Historique, et un après. Évidemment, en ce domaine, loin de retrancher, tout s’additionne.

Ce n’est pas un hasard si l’ouvrage est dédicacé à Jean Tulard et que le maître des études napoléoniennes à Paris IV Sorbonne, Jacques-Olivier Boudon, est cité autant de fois que nécessaire, sans compter de très anciens complices de l’auteur à la Fondation Napoléon, Pierre  Branda et Peter Hicks (qu’un Anglais soit l’une des pièces maîtresses de la Fondation n’efface pas Trafalgar et Waterloo, mais adoucit ces épisodes et surtout, démontre qu’un ennemi héréditaire ne l’est pas pour l’éternité).

Le deuxième ouvrage, Pour Napoléon, est d’une nature très différente et plus difficile à qualifier. De taille réduite – un peu plus de deux cents pages –, de petit format, il constitue une démonstration de son courage intellectuel. Sans aucune pudeur, ni hésitation, ni autocensure, en vingt chapitres courts et alertes, l’auteur passe en revue toutes les accusations concernant le Consul  puis l’Empereur et s’interroge pour savoir ce qu’il y a d’admissible et ce qu’il faut évincer dans les accusations en question.

Là encore, l’information est de premier ordre, les démonstrations impeccables, et notre auteur n’hésite pas à donner dans l’historiquement incorrect, fustigeant les  ignorants, les désinformateurs, les idéologues. Certains cumulent ces trois caractéristiques.

Notre auteur sait d’avance qu’il va décrocher à ce jeu-là l’insulte désormais suprême, c’est-à-dire d’être  lapidé sur le thème : « l’histoire a dorénavant son Zemmour ». L’auteur a bien raison de n’en avoir cure. C’est qu’il rappelle à bien des reprises que les groupes qui terrorisent les médias sont d’infimes groupuscules ne représentant que des parties résiduelles de l’opinion publique.

Il ne s’agit donc pas de se laisser impressionner par ces minorités. À bien des reprises, Thierry Lentz marque son  indépendance d’esprit en départageant ce qui chez Napoléon est à créditer, mais aussi à porter à son débit.

Qu’il soit permis cependant d’exprimer deux regrets.

D’une part, le titre est-il judicieusement descriptif du contenu ? Titrer Pour Napoléon laisse entendre au lecteur que l’on va trouver un plaidoyer pro domo, alors qu’à l’inverse, Thierry Lentz  tient les plateaux de la balance à l’équilibre, non pas du tout par une volonté centriste, mais tout simplement parce que pour un personnage de cette importance et qui a tant agi, il est aisé ici de récolter le bon grain, là de séparer l’ivraie.

D’autre part, l’ouvrage aurait sans doute gagné à se débarrasser une fois pour toutes de la question de la pollution intellectuelle et de ses procédés en deux ou trois chapitres, pour ensuite se concentrer exclusivement sur le fond des réussites et des échecs de l’Empereur.

Or, dans presque tous les chapitres, l’auteur, révolté par l’ignorance et la propagande, revient encore et encore sur les petits terroristes de la pensée. Un lecteur hâtif, il en existe, risque d’apprécier l’ouvrage comme étant d’abord un pamphlet, alors qu’il s’agit d’une mise au point sur l’Empereur.

À ces réserves près, que le cadencement des fêtes de Pâques et anniversaires soit l’occasion de faire un immense plaisir à tous ceux que l’on veut honorer en offrant l’un ou l’autre ouvrage.

 

Thierry Lentz, Napoléon, Dictionnaire Historique, Perrin, 2020, 29€ 

Thierry Lentz, Pour Napoléon, Perrin, 2021, 15€

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  • Ce qui ne change rien au constat. Il a mis l’Europe à feu et à sang, causant une saignée immense pour l’époque, plus de 2 millions de morts!

  • Serge Schweitzer nous invite à “dépasser les controverses sur Napoléon”; il nous relate le pouvoir de ces “infimes groupuscules” qui représentent “des parties résiduelles de l’opinion publique”, presque comme s’il s’agissait du pouvoir actuel de “l’Enarchie”!…
    Mais alors, le bonapartisme serait-il l’apanage de “cocorico boys” en mal de gloriole?
    Que serait il advenu si Napoléon d’ Ajaccio ne s’était pas imposé à la suite d’un coup d’état ayant balayé le pouvoir démocratique de parlementaires élus par les français?
    Le bicentenaire du règne Napoléonien et le moment de revisiter l’histoire de France sous l’angle de l’objectivité.
    “Le mal napoléonien” écrit par Lionel Jospin nous décrit le règne d’un aventurier sans scrupule qui est très loin du héros emblématique de “l’Empereur des français”; une analyse d’une grande objectivité inhabituelle et surprenante de la part d’un socialiste…

  • Quand on voit les trois personnages préférés des Français, on se dit que ce pays court définitivement à sa perte. L’éducation nationale a bien réussi son travail de destruction des esprits.

    Louis XIV fut le plus mauvais roi de France, celui qui a réussi à transformer une monarchie consensuelle en une dictature impitoyable et qui mit l’économie du pays en déroute. Il est directement le responsable de la révolution et de tous les troubles qui s’en suivirent.

    Napoléon Ier a mis l’Europe à feu et à sang, il est le précurseur d’Hitler et de Staline. Son seul mérite était d’être moins socialiste qu’eux.

    De Gaulle est un opportuniste, mais dont le coup de culot a permis à la France de pavaner avec les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, alors qu’elle fait en réalité partie des vaincus. La France n’a d’ailleurs aucune reconnaissance ni pour les USA, ni pour le Royaume-Uni qui l’ont pourtant élevée à ce rang, puisqu’elle ne cesse depuis de cracher sur eux. De Gaulle a donné à la république française un virage autoritaire qui est à l’origine de l’effondrement du libéralisme dans le pays.

    Si seulement les Français leur préféraient Frédéric Bastiat, Blaise Pascal et Louis Pasteur, à qui ils doivent pourtant bien plus, que ces trois sinistres individus.

    • Tout à fait d’accord!

    • Absolument. Louis XIV était un mégalomane qui a ruiné la France avec ses dépenses insensées. Versailles, plus d’une centaine de forteresses construites par Vauban, les guerres continuelles et le pire: massacres des civils lors de la conquête manquée du Palatinat !

  • “plus resserrée à l’issue du Congrès de Vienne en 1799”: “plus resserrée à l’issue du Congrès de Vienne QU’en 1799”, je suppose…

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