De la bonne politique économique à mener

Comment se terminera le rapport de force entre gouvernants et gouvernés ? L’économique n’explique pas tout, et le politique ne peut pas tout, en France comme ailleurs. Mais alors que sait-on vraiment de la bonne politique économique à mener ?

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Sausage machine by clement127 (CC BY-NC-ND 2.0)

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De la bonne politique économique à mener

Publié le 30 novembre 2019
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Par Karl Eychenne.

« Que le devoir ait des carrefours c’est étrange. La responsabilité peut être un labyrinthe ». Victor Hugo

Il faut se rendre à l’évidence. Les politiques économiques menées depuis de nombreuses années ne donnent pas les résultats escomptés, ni en France ni au sein d’autres vieilles démocraties. Alors, on se tourne vers la théorie économique, que l’on accuse d’avoir fourni clefs en main des solutions toutes faites à des problèmes qui la dépassent.

« Comment avez-vous pu croire que le réel se laisserait encapsuler dans le formel ? », entend-on ici et là. La faute au résultat fracassant d’Arrow et Debreu en 1954 : « laisser chacun choisir au mieux de ses intérêts, et tous finiront par s’entendre dans le meilleur des mondes possibles ».

La messe était dite. Il suffisait à nos gouvernants de mettre en place les conditions nécessaires pour qu’une libre concurrence s’exerce au sein d’une économie de marché, et l’intendance suivrait.

En réalité, la théorie économique n’a jamais été aussi claironnante : d’ailleurs les principaux artisans de l’article climatérique ci-dessus n’ont jamais caché leurs réserves quant à toute tentative de résumer le Graal de l’idéal à un équilibre général.

Et pour cela, nul besoin d’invoquer les biais cognitifs, l’asymétrie d’information, ou la concurrence pas si pure et parfaite, tous mis en évidence et récompensés par de nombreux prix Nobels récents.

En fait, le ver était dans le fruit dès le départ, ou plutôt il s’agit de 3 vers éliminant toute possibilité de loi naturelle. Il est bon de rappeler ces limites à l’aide d’images originales : le Baron de Münchausen, l’escalier de Penrose, et la machine à saucisse.

L’idéal est insondable

Un jour le baron de Münchhausen, menacé d’une noyade certaine, réussit l’exploit de se soulever tout seul en se tirant par les cheveux. Un exploit que nous serions bien incapable de réaliser.

Et pourtant, il s’agit bien d’un fantasme de l’homo politicus : découvrir par lui-même l’être qu’il doit être. Incapable d’assouvir son fantasme, l’homo politicus ère entre un « je fais ce que je veux » et un « je fais ce que l’on me dit ». Miloš Forman (cinéaste) utilisera une formule piquante pour résumer ces deux extrêmes : « Vous devez décider où vous voulez vivre, dans la jungle ou dans le zoo ».

Tout serait tellement plus simple si la feuille de route était tombée du ciel, écrite en latin ou gravée dans le marbre. Peut-être est-elle cachée quelque part dans la nature ? Cela ne changerait rien, elle nous serait inaccessible : « on ne peut pas déduire ce qui doit être de ce qui est » ; c’est la fameuse guillotine de Hume (l’un des fondateurs de l’empirisme moderne). Les normes, les valeurs, relèvent de choix, de croyances, pas d’une démarche scientifique. Puisque nous n’avons pas de feuille de route, il nous faut la produire.

De Hobbes à Rousseau, puis Kant, Bentham et Pareto, plus récemment Nozick, Rawls, et enfin Sen, différentes expressions d’une société désirable furent ainsi proposées. Toutes ces visions prêchent tantôt pour davantage d’égalitarisme, ou de méritocratie, d’utilitarisme, d’équité, d’efficience… Mais lequel de ces idéaux est-il plus idéal que les autres ?

Vers un idéal imparfait

Vous montez un escalier, vous passez du rez-de-chaussée au premier étage, du premier au second, puis du second au troisième, et enfin du troisième au… rez-de- chaussée. Comment se fait-il que la dernière marche se retrouve sous la première ? Cet escalier défie le bon sens et pourtant il existe bien : l’escalier de Penrose.

Il se trouve que cet escalier est celui qu’emprunte l’individu rationnel lorsqu’il va voter, ou lorsqu’il exprime ses préférences dans une économie de marché ; il se retrouve alors dans une situation paradoxale : préférant A à B, B à C, et C à… A (paradoxe de Condorcet).

C’est Kenneth Arrow (1951) qui formalisera tout cela à l’aide de son théorème d’impossibilité devenu célèbre. En fait, Arrow nous invite à réfléchir sur un axiome posé dès le départ et qui change tout : la rationalité. C’est cette hypothèse qui sème la zizanie :

Si les individus sont vraiment rationnels, alors il n’existe pas de moyen de déterminer un choix collectif qui corresponde à leur souhait.

Cela signifie notamment que tous les idéaux mentionnés dans la première partie ne sont pas pleinement réalisables, à moins de faire l’entorse sur certains points… comme d’instaurer une dictature par exemple ou d’accepter que certains choix soient indécidables.

Un idéal en équilibre instable

« Rentrez-y des cochons par un bout, il en sortira des saucisses ou des jambons par l’autre bout ».

Telle était la critique adressée par le mathématicien Henri Poincaré à ceux qui péchaient par excès de formalisme. Et il avait raison, puisque quelques années plus tard, quelques résultats négatifs majeurs établirent certaines limites indépassables (Gödel, Turing).

Mais quel est le rapport avec la quête d’un idéal ? Le rapport c’est la recherche d’un  point fixe, notion au combien importante qui va révolutionner toute la théorie économique jusqu’à aujourd’hui.

Le point fixe est ce point que l’on atteint lorsque l’on avance mais que l’on se retrouve au même endroit : une forme d’équilibre stable.

Dans certains cas, ce point fixe est paradoxal et produit alors des résultats négatifs qui contredisent les hypothèses de départ.

Dans d’autre cas, ce point fixe produit des résultats positifs spectaculaires comme celui d’Arrow et Debreu (1954), qui dit en substance :

Une économie de marché finit toujours par converger vers un équilibre.

Ainsi, le point fixe œuvrait pour le pire comme pour le meilleur, peut être fallait- il déjà se méfier…

Mais si ce résultat eut un écho si particulier, c’est qu’il dressait un pont naturel entre l’efficience économique et un certain idéal (optimum de Pareto). En effet, quelques années auparavant, en 1951, les mêmes Arrow et Debreu avaient remarqué que si l’équilibre économique se réalisait alors il serait compatible avec cet idéal (deux théorèmes du bien-être) ; puisqu’ils venaient de démontrer que cet équilibre se réalisait naturellement alors l’idéal devait aussi se réaliser.

Et si l’idéal défini par l’optimum de Pareto ne vous plait pas, aucun problème : il suffit alors de pratiquer la politique de redistribution adéquate qui incite les individus à converger naturellement vers le nouvel idéal souhaité.

Fin de l’histoire ? Non. Tout allait bien jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’il y avait une forme de vice de fabrication :

On arrive bien à un équilibre, mais rien ne garantit qu’il soit unique et que l’on y restera.

Constat amer qui fut interprété de diverses manières selon les religions.

Mais alors que sait-on vraiment de la bonne politique économique à mener ? À cette question centrale, il n’y a finalement pas de réponse toute faite. Et cela donc, nous le savions déjà.

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  • Si il est difficile ou vain de définir une bonne politique économique, en revanche pour qu’une politique économique soit la moins pire possible il faut qu’elle reste ouverte, c’est à dire plus pratique que dogmatique, plus subsidiaire que centralisatrice, plus créatrice que destructrice..

  • Il me semble que la seule bonne politique économique d’un état, puisque c’est de cela qu’il s’agit dans l’article, a été énoncé de façon empirique par les pécheurs de St Malo au 17 ième siècle en réponse à la volonté d’aide de Louis 14 :

    « Sire, je vous en prie, ne faites rien !!! »

    Confirmé de façon rationnelle bien plus tard par Von Mises dans l’action humaine et Ronald Coase : que l’état ne fasse rien (à part faire respecter les droits fondamentaux de chaque individu, cad le libéralisme, cad la Justice), et ce sera sa meilleure politique économique possible !!!

    • Voir aussi Turgot : « L’intérêt particulier, abandonné à lui-même, produira toujours plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement, toujours fautives et dictées par quelque théorie vague et incertaine »

    • En fait, l’État ne devrait pas avoir d’autre rôle que de garantir à chaque citoyen que nul ne pourra attenter impunément à sa personne ou à ses biens ; ainsi sa liberté (et plus généralement ses libertés fondamentales : d’expression, de circulation, d’entreprendre, de conscience) et son droit de propriété seront assurés, ce qui est la condition sine qua non d’une société apaisée (et prospère).

  • « L’intérêt particulier abandonné à lui-même produira plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement, toujours fautives et nécessairement dirigées par une théorie vague et incertaine » (Turgot)

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