Banque centrale : la quatrième blessure narcissique

La Banque centrale n’est pas le centre du monde, elle n’est pas née de la cuisse de Jupiter, et n’est pas aussi rationnelle qu’elle le croyait. Pire, depuis 2008, une quatrième blessure narcissique fait son chemin : la Banque centrale ne peut pas tout comprendre.

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Banque centrale : la quatrième blessure narcissique

Publié le 17 septembre 2019
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Par Karl Eychenne.

Devinette : existe-t-il une entité qui ait le pouvoir de multiplier les pains, en quantité illimitée, lorsqu’elle le désire et pour qui elle le désire ? Une entité telle que rien ne puisse se penser de plus grand ?

Dieu ou la Banque Centrale. Mais pour Dieu ce sera quand même difficile (Einstein à propos de la stupidité de l’Homme.). Ainsi, on accordait alors à la Banque Centrale une forme de privilège exorbitant, pour la bonne cause. Et puis finalement…

La Banque centrale n’est pas le centre du monde

Jadis, on pensait que la Terre était au centre de l’Univers, que tout tournait autour d’elle. On a même pensé qu’elle était plate. Il aura fallu attendre le XVIe siècle pour mettre tout le monde d’accord : non, la Terre n’est pas au centre de l’Univers, et c’est même elle qui tourne autour du Soleil. Un sérieux revers redéfini comme une première blessure narcissique par Freud : « la Terre, loin d’être le centre de l’Univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur ».

Notre Banque centrale aussi a pu un temps être considérée comme l’horloger d’un monde qui gravitait autour d’elle ; une véritable machine à saucisses transformant toute question en réponse, une machine de Turing capable de calculer toute sorte de choses, une machine à bulles aussi… Aujourd’hui, on n’en est plus là. La Banque centrale a autant d’influence sur le monde que le monde en a sur elle. Illustration éclairante : plus aucune décision, commentaire, ou geste des autorités monétaires ne se font sans penser à la réaction des marchés. Autrement dit, les deux ne font plus qu’un : consubstantialité. D’autres chercheront quand même à savoir qui fait l’œuf ou la poule. Mais la conclusion est la même : la Banque centrale n’est pas, plus, le centre du monde.

La Banque centrale n’est pas née de la cuisse de Jupiter

Deuxième blessure narcissique : « le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique inspirée des travaux de Darwin, de Wallace, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’Homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal… » (Freud). Ainsi, Adam et Eve n’avaient donc pas encore l’apparence et la connaissance des homo œconomicus que nous sommes.

La Banque centrale non plus n’est pas née de nulle part ou tombée du ciel, avec son statut d’indépendance et d’omniscience :

  • d’abord, il s’agissait d’être le bras armé des gouvernants afin de financer la dette publique ; puis de mettre de l’ordre dans les différentes monnaies métalliques.
  • une fois ces missions assurées, on assigna un nouvel objectif à la Banque centrale : que la machine économique ne s’emballe pas en contrôlant les prix. Dans le même temps il fallait aussi que les gouvernants ne l’utilisent plus comme une éponge à dette : d’où l’indépendance.
  • puis l’inflation a disparu mais pas les crises. Du coup, la Banque Centrale a inventé de nouveaux jouets : le QE, le taux négatif. Le statut d’indépendance ? de l’histoire ancienne avec la MMT invitant la Banque centrale à redevenir le bras armé du gouvernement.
  • demain ? le défi environnemental, les cryptomonnaies anticipent déjà un relooking de la politique monétaire traditionnelle.

La Banque centrale n’est pas aussi rationnelle qu’elle le pensait

Descartes pourrait se retourner dans sa tombe, mais la thèse de l’Homme rationnel avançant de manière censée et usant de son plein libre arbitre a vécu. Finalement, nos choix seraient biaisés par nos émotions ou heuristiques boiteuses. Pire, il paraîtrait que nous choisissons sans le savoir (expérience célèbre de Benjamin Libet) ! Ainsi naquit la troisième blessure narcissique de l’Homme : « Un troisième démenti infligé à la mégalomanie humaine… le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » (Freud).

Et notre Banque centrale ? Jadis, la politique monétaire consistait à lire dans les règles de Taylor le bon dosage de taux à appliquer à l’économie : ni trop, ni trop peu, afin de ne pas trop freiner ou trop doper la croissance. Ce dosage était déterminé à l’aide d’un savant mélange de potentiel de croissance économique et de cible d’inflation. Les banquiers centraux eux-mêmes pratiquaient un discours aride, laissant peu de place aux fantasmes des investisseurs. Mais chassez l’irrationnel, il revient au galop : déjà durant les années 1990, Alan Greenspan innova avec son fameux : « si vous avez compris ce que j’ai dit, c’est que je me suis mal exprimé ». Puis, les crises de 2000, 2008, et 2012 ont semé la pagaille finale, donnant l’impression que les autorités n’avaient plus la maîtrise des éléments. Comme un chien qui a perdu ses dents mais qui ne veut pas qu’on le sache sans défense, les autorités se mirent alors à aboyer plus fort : forward guidance, QE, whatever it takes

La quatrième blessure narcissique : elle ne peut pas tout comprendre

Freud ne pouvait pas encore le savoir, mais l’Homme allait subir un quatrième affront : il ne pourra jamais tout savoir, tout comprendre. Il faut oublier le projet d’une connaissance parfaite espéré par certains (Laplace, Hilbert). Ce rêve nous est interdit pour toujours par des résultats dits négatifs du siècle dernier dans des domaines clefs : physique (Poincaré), quantique (Heisenberg), informatique (Turing), et mathématique (Gödel). Il faut s’y résoudre : Le fantôme de la transparence n’existe pas (Girard).

Pourtant les Banques centrales y ont cru. Il y avait les théories et leurs modèles, ne manquaient plus que les données pour obtenir la réponse à la question posée. Mais parfois cela coince, soit parce qu’il manque des données, soit parce que le modèle n’est pas le bon, ou soit simplement parce qu’il n’y a pas de réponse à la question. Pas découragées pour autant, les Banques centrales ont multiplié les tentatives pour tenter de percer le mystère de la croissance qui ne fait pas ce qu’on lui dit : des modèles encore plus fins (DSGE rafistolés), davantage de données (Big Data). Mais quand ca veut pas… Pourtant, Hayek avait déjà prévenu tout le monde en son temps : « sachant qu’un individu n’est même pas capable de justifier pourquoi il choisit A plutôt que B, comment une Banque Centrale pourrait-elle le comprendre pour tous les individus ? »

Conclusion

Ainsi, nos Banques centrales ont bien des pouvoirs, mais pas celui de choisir à notre place : « On ne peut pas vouloir ce que l’on veut » (Schopenhauer). On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif, même si on lui propose des tonnes d’eau de très bonne qualité. Autrement dit, la pratique de politiques monétaires ultra-accommodantes ne s’est (toujours) pas traduite par une accélération significative de la croissance et des prix.

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  • C’est comme si l’on déléguait nos pouvoirs (banque de France) à la banque centrale Européenne pour éloigner les curieux. À priori la Banque de France joue pourtant toujours un rôle ?! Il devient donc quasiment impossible d’y comprendre qq chose à moins de lire J.P Chevallier qui du coup passe pour un génie fou. Cette immense machine de destruction massive cautionne donc les Etats, et surtout les mauvais. La France ayant des passes droits puisqu’elle est à l’origine de cette magouille immense en profite allègrement. Toute bonne chose trouve un jour sa fin. Elle pourrait bien s’arrêter avec notre faim. Et alors se confronteront une réalité idéologique et philosophique des socialistes contre une réalité physique et physiologique. L’on sait déjà qui gagnera, mais cela ne sera pas dans la joie et la bonne humeur. L’on devra forcément se couper les bras et les jambes pour se débarrasser du parasite Européen puis du parasite Français. Ou devrions-nous dire cancer de la sociale-démocratie ?

  • Et la banque centrale créa Dieu. Ainsi, elle pu multiplier les petits pains.
    Du moins le croyait-elle : les croyances sont nombreuses aujourd’hui…

    • Ouaip, essayez donc de faire 200 pains avec la même masse de pâte que pour en faire 100 . La monnaie n’est pas la richesse, quel que soit celui qui la manipule .

      • Et c’est bien pour cela que j’introduis Dieu et ses miracles cités dans la Bible…
        Certains y croient. Alors les billets et la richesse qui va avec, ils doivent aussi y croire, tout comme au père Noël…

  • Bras armé pour financer les dettes publiques, certes. Bras armé des Etats, c’est à voir.
    Il faut s’intéresser à la création des banques centrales, puis à l’histoire de leurs liens avec les Etats…

  • La pratique de politiques monétaires ultra-accommodantes se traduit par la déflation du fait des taux faibles et par l’hyperinflation des actifs liée aux QE. Il est toujours plaisant d’écouter une banque centrale prétendre lutter contre la déflation quand elle la provoque sciemment par sa politique.

    Ils n’ont toujours pas retenu la leçon de 1929.

    • Peut-être qu’en 2029, il y aura un déclic, ou une nouvelle claque.

    • On peut aussi envisager des forces déflationnistes indépendantes des politiques monétaires. Par exemple ralentissement de la Chine, démographie occidentale ou mieux encore la portée croissante de la loi de Moore qui réduit les coût de production. C’est à dire que le premier effet d’une politique monétaire accomodante, de l’inflation, serait noyé par ces forces déflationnistes, rendant les banques centrales aveugles (absence de signaux).
      C’est une situation inédite par rapport à 1929.

      • Les phénomènes que nous vivons n’ont rien d’inédit. Les prix à la consommation sur la décade 1920-1929, les “Roaring 20’s”, ont baissé aux USA. Notre époque ressemble étrangement à 1929, mêmes causes, mêmes effets, même issue probable, c’est-à-dire plusieurs décennies pour se remettre d’une dépression magistrale.

        L’hyperinflation, effet de la politique monétaire accommodante, crève les yeux sur les marchés d’actifs, exactement comme en 1929. Il faut donc se poser la question de savoir au profit de qui ou de quoi l’accommodement monétaire est offert. Qui en bénéficie, qui en subira les conséquences ? Pas les mêmes, sans doute, puisque tricher sur les responsabilités est l’objectif de toute manipulation monétaire. On comprend que les Etats et les traders apprécient et réclament des QE. Le reste de la population, beaucoup moins, surtout quand il faudra passer à la caisse.

        Le ralentissement de la Chine et la démographie vieillissante sont inflationnistes, pas déflationnistes. La croissance chinoise était déflationniste et les anciens consomment plus qu’ils n’épargnent.

        La loi de Moore ne concerne que les microprocesseurs. Ce n’est pas une loi économique à proprement parler. La technologie est par nature déflationniste, autant aujourd’hui qu’au cours des “Roaring 20’s”. La déflation économique est la conséquence saine du progrès capitaliste, faire plus avec moins. Vous n’investissez pas pour faire moins bien avec plus de ressources (sauf si vous plantez des éoliennes, mais alors il faut des subventions publiques pour distordre le marché). Ce qui est en cause, ce n’est pas la déflation en soi mais la déflation monétaire. Mais si la déflation monétaire suit une inflation monétaire, alors cette déflation est saine car elle remet les marchés sur un équilibre qu’ils n’auraient jamais dû quitter. C’est ce qui arrivera quand les banques centrales réduiront leurs bilans au niveau d’avant QE.

        S’il existe une force récessive, c’est le poids des Etats dans la plupart des pays avancés. Mais même ça n’est pas inédit puisque c’était déjà le cas lors de la première guerre mondiale. Ces Etats n’ont plus que les BC pour financer leur hyper-endettement. Les mêmes qui réclamaient des QE réclament désormais des politiques budgétaires « volontaristes », autrement dit une orgie de dettes nouvelles.

        La politique budgétaire à la suite de la politique monétaire sera le dernier clou dans le cercueil.

        • Qu’est ce que vous entendez par déflation monétaire ?

          • Quand le taux de dépôt est négatif, il y a déflation par destruction monétaire. La BCE se plaint de ne pas atteindre son objectif d’inflation mais elle fait ce qu’il faut pour ne pas y parvenir.

            • J’ai lu que cette destruction monétaire est marginale pour l’instant, donc idem pour l’effet déflationniste. La faiblesse de l’inflation semble venir de l’économie elle-même, la BCE par exemple ne change pas grand chose à la situation sauf pour la hausse du marché des actifs.

              • Les taux de dépôts négatifs sont déflationnistes. Inversement, l’achat par la BC de bons à taux négatifs serait inflationniste, un nouveau QE encore pire que le QE actuel.

                La destruction monétaire par les taux de dépôt est en réalité nulle puisque que la BCE réinjecte l’équivalent de ce qu’elle détruit, au détail près que l’argent réinjecté ne revient pas dans les mains de ceux qui ont dû subir la destruction forcée. Il s’agit plutôt de souligner l’incohérence du discours de SuperMariole alors que ses actions démentent ses affirmations. Puisque ses taux négatifs sont par nature déflationnistes, il ne peut pas faire semblant de se plaindre du manque d’inflation.

                Le manque d’inflation est par ailleurs incohérent avec l’observation de l’hyperinflation des actifs. Méfiez-vous des discours qui confondent inflation des biens de consommation et croissance, à la source de théories économiques fausses comme la stagnation séculaire ou encore la courbe de Phillips. Comme contre-exemple, la déflation des années 1920 n’a pas empêché la croissance. On comprend l’intérêt de certains à défendre les politiques monétaires hétérodoxes, mais ce n’est pas l’intérêt général. La persistance des Etats obèses financés en pure perte par les BC n’est pas conforme à l’intérêt général.

                On ne retrouvera pas une croissance forte tant que les dépenses publiques, nationales, locales et sociales, n’auront pas été réduites à moins d’un tiers du PIB dans l’ensemble des pays avancés. En attendant, les politiques monétaires actuelles nuisent à la croissance et finiront par provoquer la récession.

    • Et si au contraire ils faisaient exprès ? Que cela était jugé nécessaire pour faire comprendre aux gens qu’ils ne sont rien. Imposer la misère puis sauver, c’est pas magnifique ? C’est en tout cas ce à quoi ils travaillent à la banque centrale. Sans oublier qu’une infime partie en profite énormément pour s’enrichir et placer leur argent dans des actifs tangibles et sûrs. Et à la fin laisser les 99 pour-cent restants crever la dalle. L’on dira alors que cette politique libérale à assez durée, qu’il faut un bon régime autoritaire, que le capitalisme a apporté la guerre, la misère et la famine. C’est déjà écrit, ils préparent juste la sortie. (Ils, sont les pantins de Davos comme le dit CG)

      • Les démonstrations de CG sont appréciables. Ceci dit, juger de l’intentionnalité est délicat. Il est plus simple de penser qu’ils sont incompétents par destination, non parce qu’ils ne seraient pas assez formés et expérimentés, mais parce que l’incompétence est livrée en paquet cadeau avec les hautes fonctions publiques, trop de pouvoir conduisant à l’irresponsabilité notoire.

        • Il y a beaucoup de documents, de livres et de citations qui indiquent une intentionnalité…
          Exemple
          https://reseauinternational.net/le-phoenix-et-the-economist-de-1988/

          • Article assez confus pour moi mais qui lève des lièvres. Je voudrais juste changer le mot « élite » qui pour moi sont des vaux rien. Mais globalement n’ont ils pas intérêt à garder les moutons dans un enclos ? Et les moutons n’aim ils pas cela ? Je dirais que c’est un échange de bons procédés: les moutons donnent le pouvoir à leurs bourreaux pour éviter de prendre des responsabilités ! Ainsi il est possible de râler et éventuellement de fuguer de l’enclos de temps en temps. La plupart des gens que je connais ne voient pas plus loin que leurs pieds.

        • Sachez que je suis toujours d’accord avec vous et que je vous apprécie beaucoup 🙂 j’aimerais pouvoir organiser mes pensées comme vous. Mais à vous lire je me trouve moins stupide. Et ça c’est la preuve que vous êtes un être supérieur. C’est pas ironique, je précise.

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