Jirô Taniguchi, esquisse d’une œuvre poétique et atypique (1) : Quartier lointain

Retour sur une œuvre atypique et originale, hors des sentiers battus. Par le maître et poète du manga japonais, Jirô Taniguchi.

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Jirô Taniguchi, esquisse d’une œuvre poétique et atypique (1) : Quartier lointain

Publié le 14 août 2019
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Par Johan Rivalland.

Vous n’êtes peut-être pas un adepte de mangas et considérez peut-être les bandes dessinées comme une lecture plutôt pour enfants ou adolescents…

Je n’avais jamais lu de manga non plus lorsque, il y a une douzaine d’années maintenant, j’ai contemplé cette couverture de Quartier lointain, qui m’attirait et m’intriguait inexorablement depuis quelques temps déjà, jusqu’à ce que je me décide à en acheter l’intégrale et de la lire. Ce fut une magnifique découverte, et mon entrée en matière dans l’exploration des créations d’un fabuleux auteur dont j’ai ensuite lu l’ensemble de l’œuvre, jusqu’à sa disparition en 2017, à l’âge de 69 ans, qui a laissé inachevé un ensemble de projets sur lesquels il travaillait encore. Car il s’agissait d’un passionné et d’un véritable bourreau de travail, doté d’une capacité à se lancer perpétuellement dans une production foisonnante.

Une œuvre que je vous invite à présent à découvrir ou à redécouvrir, à travers cette série, si le cœur vous en dit…

Un auteur prolifique

Lauréat de nombreux prix et auteur d’une œuvre prolifique reconnue et admirée de beaucoup, Jirô Taniguchi dispose du trait de génie qui font d’un homme talentueux un être d’exception. Il a cette capacité à vous faire découvrir son Japon natal et aimé grâce à un dessin particulièrement soigné et expressif, où chaque détail est étudié, dressant ainsi un panorama assez complet de ce que représente cette civilisation riche et empreinte de toute une histoire.

En s’inspirant très tôt de la bande dessinée européenne, il réalise ainsi un compromis très réussi entre les techniques du manga japonais classique et la clarté des lignes européennes. Son Å“uvre variée s’inspire beaucoup de la vie quotidienne et des relations entre humains (voire animaux, dans certains cas, comme nous le verrons), partageant sentiments profonds et intimité et touchant à la part secrète de chacun, qui se traduit par la transcription du degré d’universalité qui nous touche tous à travers des événements somme toute assez banals. Très inspiré également par la nature, il réalise de magnifiques portraits et évocations qui ne manquent pas de vous laisser songeur et contemplatif. Et cette simplicité – qui peut ne pas plaire à tous – qui est sa marque de fabrique, mais aussi ce qui peut parvenir chez d’autres à susciter de l’émotion, de la rêverie et un attrait particulier qui en marque toute la saveur, est ce qui peut toucher et attirer.

Quartier lointain

 

Quartier lointain est donc la création qui m’a permis de découvrir l’œuvre de Taniguchi. Même si ce n’est pas sa toute première réalisation.

Prix du meilleur scénario au Festival d’Angoulême en 2003, mais aussi Prix Canal BD des librairies spécialisées, la même année, et de la meilleure BD adaptable au cinéma au Forum de Monaco l’année suivante, cette histoire est celle d’un homme père de famille de 48 ans résidant à Tokyo et enfermé comme beaucoup de Japonais dans une vie assez classique et routinière où le travail occupe une part très importante et exténuante.

À l’occasion du retour de l’un de ses déplacements professionnels, en provenance de Kyoto, il éprouve comme une sensation de malaise. Probablement dû aux excès liés à l’alcool, pense-t-il. Mais il s’aperçoit alors qu’étrangement il s’est trompé de train et… s’achemine vers la petite ville où il a vécu son enfance. Un peu résigné ou abasourdi, il se laisse guider sans résistance et sans trop savoir pourquoi vers ce quartier lointain, celui de son enfance, puis vers la tombe de sa regrettée mère, morte si jeune, au même âge que le sien actuellement.

Et c’est dans ce temps comme suspendu, qui le plonge dans la nostalgie de ces années d’enfance et de la disparition soudaine du père, sans que personne sache où il était allé, et plein des questions au sujet de cette mère exemplaire qui ne s’était jamais plainte, que notre homme s’assoupit… pour se retrouver à son réveil et à sa grande stupéfaction, dans son corps d’adolescent à 14 ans. Comme dans un songe, qui va le mener vers sa vie d’avant, avant la mort de sa mère, avant la disparition de son père, au sein de sa famille unie et heureuse. Mais avec son âme d’adulte. Une situation à la fois étrange et inédite, qui va lui offrir la perspective de vivre une seconde enfance. Avec, qui sait, peut-être le pouvoir d’agir différemment et d’interférer sur les choses…

Il est vrai qu’avec les connaissances et la maturité d’un adulte, cette seconde enfance est peut-être l’occasion d’établir un nouveau parcours, plus conquérant, plus réfléchi, moins inhibé. Et de vivre plus pleinement les choses, pour mieux contrôler son destin. Une situation dont on a sans doute tous rêvé un jour ; et que Taniguchi nous laisse l’opportunité de vivre à notre tour de manière transposée, à travers ses dessins évocateurs du Japon d’autrefois et d’aujourd’hui.

Une invitation au voyage dans le temps et dans la poésie de l’enfance. Pour notre plus grand plaisir et avec une pointe de bonheur que l’on ne boudera pas…

 

Jirô Taniguchi, Quartier lointain, Casterman, novembre 2006, 405 pages.

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  • J’avais découvert moi aussi à leur sortie ces histoires fascinantes, cette poésie de récits doux-amers, emplis de nostalgie et de bonheurs, tellement bien dessinés et traduits. Merci de m’en raviver le souvenir, je les ai repris de l’étagère pour les relire encore.

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